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mercredi 28 février 2024

Le cas extrême d’une femme rappelle l’accès déplorable aux soins dentaires au Royaume-Uni

Par  (Londres, correspondante)   Publié le 28 février 2024

Ne pouvant pas se permettre se payer un cabinet privé, ni d’attendre « trois ans » pour avoir un rendez-vous avec un dentiste du NHS, le service de santé public, Caroline Pursey, 63 ans, s’est arraché douze dents à la tenaille.

Caroline Pursey, de Scunthorpe (Angleterre), raconte comment elle a dû s’arracher douze dents à l’aide de pinces, tant elles étaient douloureuses, après avoir passé trois ans à essayer de trouver un dentiste dans le cadre du système national de santé. Ici, le 8 février 2024. 

Au début, on a pensé à un canular, tant l’histoire de Caroline Pursey, 63 ans, paraissait irréelle. Pourtant, rapportée par la chaîne ITV News le 7 février dernier, elle illustre une triste réalité britannique : l’accès déplorable de sa population aux soins dentaires. Cette habitante de Scunthorpe, dans le nord-est de l’Angleterre, a expliqué que, à la suite de graves problèmes dentaires et faute d’accès à un dentiste du NHS (le service de santé public, quasi gratuit), elle avait dû s’arracher elle-même douze dents à la tenaille, n’ayant pas les moyens d’aller dans un cabinet privé. « On m’a dit qu’il y avait trois ans d’attente », a-t-elle témoigné.

Confrontée à ce cas extrême par une journaliste d’ITV News, la ministre de la santé, Victoria Atkins, a répondu que « quelqu’un dans un tel état de souffrance doit savoir qu’il peut se rendre aux urgences de son hôpital pour obtenir de l’aide ». Un conseil aussitôt réfuté sur les réseaux sociaux, où professionnels comme citoyens ordinaires se sont empressés d’expliquer que les urgences hospitalières ne comptent pas de dentistes et que les malades sont renvoyés chez eux avec un antidouleur et le conseil de contacter… un cabinet dentaire.

Arracher ses dents soi-même : comment peut-on en arriver à une telle extrémité dans un pays riche, membre du G7 ? Le NHS traverse une crise profonde. Fondé en 1948 sur un principe généreux (l’accès gratuit et égal de tous les Britanniques à la santé), ce service public est victime de quatorze années de sous-investissements depuis l’arrivée des conservateurs au pouvoir, et de décisions peu judicieuses prises avant eux par les travaillistes. Manque criant de médecins, d’infirmiers ou d’ambulanciers, manque de matériel, infrastructures vieillissantes : plus de 7 millions de Britanniques sont sur liste d’attente pour des soins ou des opérations.

La dentisterie est particulièrement mal lotie. Etabli en 2006, le mode de rémunération des dentistes travaillant pour le NHS (offrant donc des soins gratuits) s’est révélé très peu incitatif. Il établit que ces professionnels sont payés par le service public sur la base d’UDA – des unités d’activité dentaire : un « check-up » compte pour une unité, le traitement d’une carie pour deux ou trois, etc. Les dentistes reprochent à ce système de ne pas suffisamment tenir compte de la complexité de certains soins et que les UDA n’aient pas été revalorisées en proportion de l’augmentation des coûts des matériaux, du matériel et du personnel.

Des kits pour recoller une couronne

Depuis 2010, le financement public des services dentaires en Angleterre a diminué de 8 % en termes réels, passant à 3,1 milliards de livres sterling en 2021-2022. Les dentistes assurent désormais ne plus gagner d’argent quand ils traitent uniquement des patients « NHS ». Selon une étude de la British Dentist Association (BDA) datant de mai 2022, 45 % des dentistes disaient avoir réduit la quantité de prestations « NHS » fournies depuis le début de la pandémie.

Pour dégager des profits, les cabinets n’acceptent souvent plus que des nouveaux clients « privés », qu’ils facturent hors du cadre du service public. Selon une étude publiée par la BBC en 2022, 80 % des cabinets dentaires n’acceptent plus d’enfants comme nouveaux clients dans le cadre du NHS et 90 % refusent des nouveaux clients adultes. Sur les réseaux sociaux début février, une vidéo a fait sensation, dévoilant une queue de plusieurs centaines de personnes patientant à Bristol dans l’espoir de s’enregistrer auprès d’un cabinet médical du NHS sur le point d’ouvrir.

Dans les grandes villes, à Londres en particulier, il n’est pas difficile de décrocher un rendez-vous, même en urgence, auprès d’un dentiste ou d’un orthodontiste privé. A condition de pouvoir se les offrir : il faut compter entre 700 et 800 livres sterling pour une couronne, au moins 1 000 pour un pivot et entre 200 et 300 livres sterling pour soigner une carie. L’appareillage orthodontique coûte au bas mot 3 500 livres sterling. Pour les Britanniques incapables de débourser de telles sommes (plus d’un sur cinq était considéré comme pauvre en 2022, selon un rapport de la Fondation Joseph Rowntree), il reste le recours à la « DIY Dentistry », la « Do It Yourself Dentistry », la dentisterie par soi-même…

A en croire la BDA, huit dentistes sur dix ont eu à traiter des cas de « DIY Dentistry » depuis la pandémie. La chaîne de pharmacies Boots, l’une des plus importantes du pays, vend même des kits First Aid Repair à 9 livres sterling, comprenant du comblement pour boucher une dent abîmée, de quoi recoller une couronne ou un récipient désinfecté pour conserver une dent tombée « en attendant de pouvoir voir un dentiste », précise son site de vente en ligne.

Un plan de relance très insuffisant

La situation n’est guère plus brillante en Ecosse, où la santé est une prérogative propre du gouvernement régional, dominé par les indépendantistes du SNP depuis 2007. Citée par le Daily Mail, Charlotte Waite, la directrice de la branche écossaise de la BDA, déplore que « pas une semaine ne passe sans de nouveaux cas de DIY. Nous voyons des cas qui sont davantage dignes d’un roman de Dickens que d’une nation riche au XXIe siècle ». Près de la moitié des Ecossais n’ont pas eu de check-up après d’un dentiste ces deux dernières années. Les conséquences sont spécialement alarmantes pour la santé bucco-dentaire des enfants : 40 % des petits Britanniques n’ont pas accès à des rendez-vous de routine auprès d’un dentiste.

Le gouvernement de Rishi Sunak a bien proposé une réforme des UDA en 2022 mais les dentistes jugent qu’elle reste cosmétique. Downing Street a annoncé début février un nouveau plan « de relance » pour encourager l’arrivée au Royaume-Uni de dentistes étrangers et proposé une rallonge budgétaire de 200 millions de livres censée financer jusqu’à 2,5 millions de rendez-vous du NHS supplémentaires. Des montants bienvenus mais jugés très insuffisants pour résoudre la crise : ce « plan de relance » ne mérite absolument pas son nom. Il n’enrayera pas l’exode des dentistes du NHS ni n’offrira d’espoir aux millions de personnes qui ont du mal à accéder à des soins, a déploré Shawn Charlwood, un des responsables de la British Dental Association.


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