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jeudi 29 février 2024

Gamètes over ? La chronique d’Anne-Sophie Moreau

Anne-Sophie Moreau publié le  

Le « réarmement démographique » promu par Emmanuel Macron a du plomb dans les flagelles. En cause, la forme et la qualité des spermatozoïdes. De quoi réviser la conception masculiniste de la reproduction, toujours en vigueur depuis Aristote.

« Ils sont amorphes, je te dis. Paresseux, voire neurasthéniques ! » Mon ami est abattu : son spermogramme est décevant. De nos jours, les mâles les plus fringants de ma génération sont nombreux à se soumettre aux tests de fertilité. Il faut dire que la situation est inquiétante : en moins d’un demi-siècle, la concentration de gamètes dans le sperme a été réduite de moitié. Pire : ce déclin s’accélère depuis les années 2000. À ce rythme, nous allons droit vers l’extinction.

Nos amis les hommes, longtemps épargnés par l’angoisse de l’infertilité, qu’on croyait à tort une affaire de femmes, sont ainsi contraints d’exposer ce qu’ils ont de plus intime – leur semence. Une expérience déroutante à plus d’un titre. L’auto-prélèvement, d’abord – « Tu te rends compte ? Ils m’ont laissé seul dans une pièce avec Madame Figaro pour toute lecture ! » Les résultats, ensuite. Vitalité, vélocité, viscosité… Rien n’échappe au microscope. Une amie m’a confié avoir découvert avec horreur la morphologie déviante des spermatozoïdes de son compagnon, dont 99 % présentent des « formes atypiques ». Il y a ceux qui ont une tête trop grosse ou, au contraire, minuscule, les bicéphales, ceux qui ont le flagelle plié, en tire-bouchon ou qui flageole… bref, une vraie cour des miracles ! Avec un tel régiment de bras cassés, le réarmement spermatique attendra.

Mais en quoi ce nouveau rapport à la semence bouleverse-t-il notre vision de la puissance masculine ? Dans son traité de zoologie intitulé De la génération des animaux, Aristote s’interroge sur la « nature du sperme ». D’après le philosophe, c’est la semence masculine qui contient le pneuma, soit le souffle de l’âme. Le sperme apporte la forme ; la femme, elle, n’en est que le réceptacle – la matière inerte et informe. « La femelle est un élément passif, et le mâle un élément actif, et c’est de lui que part le principe du mouvement », explique Aristote. S’il fallait comparer votre progéniture à un lit, la femme serait le bois, et l’homme le menuisier.

Vous trouvez cette théorie rétrograde ? Elle l’est. Sachez cependant que cette vision antique de la masculinité a laissé des traces. « Dans l’édition parue en 1984 de l’Encyclopædia Universalis, au sein de l’article “Fécondation”, la rencontre entre l’ovule et le spermatozoïde, dont le mécanisme reste toujours inexpliqué, est présentée par des biologistes comme la rencontre d’une matière inerte, végétative, qui a besoin d’être animée par un principe actif, une énergie qui apporte la vie », raconte l’anthropologue Françoise Héritier dans son essai Masculin/Féminin. La pensée de la différence. Or c’est précisément cette vision du masculin qui est mise à mal par l’œil impitoyable du microscope : le spermatozoïde n’est plus le héros mais le patient malade de la reproduction. Pour Aristote, le féminin était monstrueux : c’est désormais le masculin qui est difforme.

Vous vous sentez mou du flagelle à la lecture de cet article ? Rassurez-vous : dans la plupart des cas, la fécondation demeure possible. D’abord, parce qu’il se trouvera bien malgré tout une recrue de choix parmi les millions de spermatozoïdes que recèle un éjaculat. Ensuite, parce que tout ne repose pas sur lui : contrairement au cliché qui veut que le spermatozoïde le plus vigoureux pénètre l’ovule, ce dernier participe à choisir l’élu. Enfin, sachez que « les plus moches ne sont pas les moins fertiles », comme me l’a expliqué un andrologue. De quoi revigorer vos Quasimodo ! 


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