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samedi 25 novembre 2023

Interview Réparations pour les personnes condamnées pour homosexualité : «Il vaut mieux une loi que rien du tout, mais ils ont fait le minimum»

par Margaux Gable   publié le 23 novembre 2023

Le Sénat a adopté un texte reconnaissant la responsabilité de l’Etat dans les condamnations homophobes qui pleuvaient entre 1945 et 1982. Du côté des victimes, on dénonce une proposition de loi certes symbolique, mais lacunaire.

Le texte entendait réparer les erreurs du passé. Objectif manqué selon les victimes. Mercredi 22 novembre, le Sénat a adopté à l’unanimité la proposition de loi déposée par le socialiste Hussein Bourgi pour reconnaître la «responsabilité» de l’Etat français dans sa politique discriminatoire envers les personnes homosexuelles après le régime de Vichy. Mais le volet sur l’indemnisation des victimes a été rejeté par la majorité sénatoriale de droite. Entre 1945 et 1982 – date de la dépénalisation de l’homosexualité –, on estime que plus de 10 000 personnes auraient été condamnées en raison de leur orientation sexuelle. 90 % d’entre elles auraient été concernées par des peines de prison ferme. Daniel Lemoine, qui avait témoigné en 2022 dans Libération du climat de haine et de peur qui régnait au sein de la communauté homosexuelle dans ces années-là, reconnaît un texte hautement symbolique mais lacunaire.

Dans une interview accordée à Libération, le sénateur à l’origine de la proposition de loi admettait que le texte était avant tout symbolique. Qu’en pensez-vous ?

C’est un symbole, bien sûr. On va dire, en particulier aux jeunes, que la République reconnaît et condamne l’homophobie qui a existé jusqu’en 1982. Que la République a commis une faute et qu’elle en est punie. Donc c’est bien, mais je trouve que c’est quand même un texte qui est surtout fait pour se donner bonne conscience. Sauf que ça ne suffit pas quand il y a eu des gens qui ont été victimes. L’Etat est coupable, d’accord, mais il faut aussi reconnaître et réparer les victimes. Et ça, ça n’a pas été fait. Donc l’objectif est un peu raté, si vous voulez. C’est sûr qu’il vaut mieux une loi que rien du tout, mais ils ont fait le minimum.

En quoi l’objectif est-il manqué ?

Il fallait reconnaître et indemniser toutes les victimes de 1942 à 1982. Or, le Sénat a rejeté le volet sur l’indemnisation. C’est vrai que peu de personnes l’auraient demandée parce que beaucoup sont décédées et que beaucoup ont toujours caché leur condamnation parce que c’était tabou. Et puis il aurait fallu prouver les condamnations, alors tout le monde ne serait peut-être pas allé jusque-là. Mais justement, ça n’aurait quasiment rien coûté et au moins, on serait allé au bout du symbole.

L’autre chose qui me titille, ce sont les dates avancées. On parle des condamnations homophobes entre 1945 et 1982. Donc on met un mouchoir sur le gouvernement de Vichy alors que les lois de la République, à partir de 1945, sont justement issues de ces lois fascistes. Le symbole aurait été de montrer la complicité entre l’Etat de Vichy et nos politiques qui ont suivi jusqu’en 1982. Il y a notamment l’amendement Mirguet, qui a introduit l’homosexualité comme étant un «fléau social» en 1960. Et il n’était même pas fasciste, il était gaulliste. Mais on préfère ne pas en parler. On ne reconnaît pas que la France a juste poursuivi le travail qui avait commencé sous Vichy.

Selon vous, est-il réellement possible de panser les plaies et réparer les traumatismes vécus cinquante ans plus tard ?

Vu la forme du texte à la sortie du Sénat, ce n’est de toute façon pas une loi qui veut réparer les traumatismes vécus puisqu’il n’y a plus rien sur l’indemnisation des victimes. Et de toute façon, comment voulez-vous réparer la peur ? Moi j’ai toujours réussi à passer à travers les gouttes et je n’ai jamais été arrêté pour mon homosexualité. D’accord, je ne côtoyais pas vraiment les hauts lieux de drague de l’époque parce que j’étais introverti et je n’assumais pas encore totalement mon orientation sexuelle, mais je sentais quand même la mentalité de l’époque. Il fallait sans cesse se cacher. Quand je suivais les réunions du Front homosexuel d’action révolutionnaire ou qu’on organisait des manifestations, je n’avais pas peur parce qu’on était nombreux. Mais quand on se retrouvait seul, ce n’était pas la même chose. Je me souviens d’un jour, en 1968 peut-être, où j’étais dans un petit bar gay de la rue Sainte-Anne dans le IIe arrondissement de Paris. Il y a eu une descente de police. J’y ai échappé parce que je suis sorti par-derrière avec un copain, mais ils ont embarqué tout le monde. Et ils les ont sûrement condamnés, pour je ne sais pas quelle raison. On pouvait se faire arrêter pour n’importe quel motif et au fond, tout le monde savait que c’était pour notre orientation sexuelle.


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