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samedi 25 novembre 2023

Éducation à la sexualité à l’école : qu’apprend-on aux jeunes et à quel âge ?

Par  Elsa Gambin  Publié le 24 novembre 2023

Cet enseignement, lorsqu’il est (bien) assuré, se révèle un bon espace d’apprentissage et d’échanges. Trois enseignants et un intervenant en milieu scolaire détaillent les sujets abordés en fonction des niveaux.

Deux collégiens étudient une maquette de l'appareil reproducteur féminin lors d'un cours d'éducation sexuelle.

L'éducation à la sexualité est inscrite dans le Code de l’éducation aux articles L.121-1 et L.312-16. Il s’agit d’un apprentissage obligatoire depuis 2001 pour les trois niveaux de scolarité : école, collège et lycée, à raison d’au moins trois séances annuelles et par groupe d’âge homogène. Elle n’a pour le moment « pas de programme stricto sensu, explique le ministère de l’Éducation nationale, car il s’agit d’une éducation transversale. Il y a en revanche des objectifs, outils et ressources par discipline, qui permettent de répondre aux objectifs fixés par la loi et les circulaires ».

Ainsi, le site officiel eduscol met à disposition de nombreuses ressources pour les équipes enseignantes. Néanmoins, une proposition de programme plus détaillé, « précisant les thèmes et notions à aborder », devrait être présentée à la fin de l’année 2023. En effet, l’ancien ministre Pap Ndiaye avait renforcé l’éducation à la sexualité en adressant une circulaire à la rentrée 2022 aux recteurs et rectrices. Le conseil supérieur des programmes avait donc été saisi sur cette question.

De leur côté, le 6 novembre dernier, une dizaine d’associations regroupées en collectif rendaient public un livre blanc contenant une quarantaine de recommandations sur l’éducation à la sexualité. Pour savoir ce qui peut être envisagé avec les élèves en fonction de leurs âges et préoccupations, mais aussi ce qui apparaît dans les programmes scolaires, nous avons contacté Lolita Rivé, professeure des écoles à Paris et entendue dans le podcast à succès de Binge Audio C’est quoi l’amour, maîtresse ?, Arnaud et Julien Holzmann, professeurs de SVT dans l’académie de Nancy et syndiqués au Snes-FSU, respectivement en lycée et collège, et formateur académique en éducation à la sexualité pour le premier, ainsi que Didier Valentin, alias Dr Kpote, qui intervient en milieu scolaire depuis plus de vingt ans et vient de publier Pubère la vie. À l’école des genres, aux éditions du Détour

● En CE1

Lolita Rivé, professeure des écoles : « Je commence par travailler autour des émotions, en partant du film Vice-versa(Pixar). Apprendre à les nommer et à les gérer, comprendre à quoi elles servent et pourquoi elles sont toutes utiles. Mais aussi ce qu’elles provoquent physiquement, dans le corps (papillons dans le ventre, envie de se rouler en boule sous sa couette…). Je leur explique que ce qu’ils ressentent est un message, qu’il faut y être attentif. Lorsqu’on parle de colère, de tristesse, de sensation de malaise, cela permet d’aborder ensuite la notion de consentement. Ce qui est normal, pas normal. On évoque les jeux et les câlins entre eux, qu’il faut respecter le “non” de l’autre.

Pour aborder les violences physiques et sexuelles, je pars de l’anatomie et de l’intimité. Comment est fait leurs corps ? Comment s’appellent les parties intimes ? Après avoir évoqué tous les petits surnoms rigolos, je donne les vrais noms, “pénis” et “vulve”. J’explique que leur corps et ces parties n’appartiennent qu’à eux, que s’ils peuvent les toucher, personne d’autre n’a le droit de le faire (sauf les parents quand ils les lavent, mais uniquement quand ils sont tout petits). Puis je leur dis que si quelqu’un tente de les toucher ou leur fait du mal, il faut en parler à un adulte de confiance. Si on a le temps, on va aussi parler d’amour en s’appuyant sur un débat-philo adapté à leur âge. C’est quoi l’amour, être amoureux, les relations amoureuses… Enfin, on peut aussi évoquer les stéréotypes de genre grâce à des jeux pour ouvrir leur champ des possibles. Chaque séance aborde un thème et j’y passe entre sept et huit heures par an. »

● En CM2

Lolita Rivé : « En CM2, la puberté est au programme scolaire, donc on voit le corps, la grossesse, la reproduction, les règles et les parties génitales, avec des schémas où apparaît aujourd’hui le clitoris. L’occasion d’évoquer la sexualité sous le prisme du plaisir, et de voir des petites filles heureuses d’avoir quelque chose que les garçons n’ont pas ! Pour les règles, j’aborde concrètement les fuites, les douleurs, la fatigue et les protections existantes. Je veux que les garçons se sentent concernés, qu’ils soient des alliés. On reprend les notions d’intimité, de consentement et le sujet des violences, avec un langage adapté à cet âge, par le biais des lois et de leurs droits.

On vient aussi parler pornographie, expliquer que ces images peuvent choquer et blesser le cerveau, qu’il ne faut pas en regarder. Que si on tombe dessus, il faut pouvoir en parler à un adulte. Je reparle aussi de l’amour, ce qui permet d’aborder les questions d’identité de genre et d’orientation sexuelle. Pourquoi se moque-t-on de l’amour alors que c’est une force ? Qui peut-on aimer ? Je m’appuie sur Le Petit Illustré de l’intimité et propose toujours une boîte à questions. »

● En sixième

Un groupe de collégiens et de collégiennes examine des préservatifs masculins et féminins, lors d'un cours d'éducation sexuelle au collège en classe de sixième.  

Un groupe de collégiens et de collégiennes examine des préservatifs masculins et féminins, lors d'un cours d'éducation sexuelle au collège en classe de sixième.  Photo Vincent Lecomte/Hans Lucas

Julien Holzmann, professeur de SVT : « Le dernier programme a laissé plus de place à l’enseignement de la reproduction. En sixième, on y trouve aussi la puberté, le processus de fécondation, et le fait de distinguer reproduction et sexualité. Comme chaque établissement est libre sur ce sujet, nous avons fait le choix pour cette tranche d’âge de positionner une séance, autour d’un jeu de cartes adapté, pour parler stéréotypes de genre et clichés, mais aussi identité de genre et orientation sexuelle. Sur le site eduscol, les ressources sont intéressantes. En fait, le plus difficile n’est pas de trouver des ressources, mais plutôt d’organiser des séances et de trouver des collègues qui souhaitent s’y engager. »

● En quatrième

Didier Valentin, intervenant en milieu scolaire : « Depuis quelque temps, on me demande beaucoup, sur cette tranche d’âge, d’intervenir sur l’expression des masculinités. C’est très intéressant, car on sent que c’est assez tendu sur le sujet. On aborde donc les relations de domination, l’occupation de l’espace, les rôles de genre et leurs impacts… Je fais ça autour d’un tableau fille-garçon-personne non-binaire, et on reprend tout ensemble afin de voir ce qu’on peut modifier ou non dans les comportements et comment y parvenir. Et puis, on vient aussi parler de tout ce qui se joue en amont d’une relation sexuelle, la relation avec l’autre tout court. On voit que les garçons ont beaucoup de questions autour de l’injonction pénétrative (taille du pénis, durée du rapport…), et les filles, elles, viennent questionner les injonctions à la séduction et la sensation d’être restreintes dans leur liberté. Enfin, on parle aussi des violences sexistes et sexuelles, j’axe beaucoup là-dessus. »

Julien Holzmann, professeur de SVT au collège : « En quatrième, les cours de SVT parlent à nouveau de la reproduction, de la PMA, des contraceptions. La contraception masculine n’apparaissant pas dans le programme, c’est moi qui la rajoute. Le programme sur ces questions tourne autour de six heures. Dans mon collège, on a fait le choix d’insister sur les quatrièmes, donc on complète avec une séance d’une heure de questions libres en présence de deux sages-femmes (un homme et une femme), une séance d’une autre heure avec l’association France Victimes, qui vient parler de réseaux sociaux et de sexualité (revenge porn, nudes…) et six heures de séance en coanimation avec l’association Je.tu.il et leur programme En visage. Ce sont des temps axés autour du regard des autres sur soi, ce qui permet d’aborder les questions d’amour, de stéréotypes de genre, d’identité de genre… Donc, avec les quatrièmes, on a presque quinze heures d’éducation à la sexualité. »

En seconde et première

Didier Valentin : « Ce sont des âges où on vient parler de sexualité plus concrètement. Là je vais aussi venir parler plaisir lors du sexe, mais aussi partage de la charge contraceptive. À nouveau, on insiste beaucoup, longuement, sur les violences sexistes et sexuelles et les rapports de domination. On vient évoquer plus en profondeur les questions d’identités de genre et d’orientation sexuelle. Je me sers d’un scénario fictif, une histoire de viol qui ne dit pas son nom, pour susciter le débat. Tout ça prend déjà beaucoup de temps d’échange. »

Arnaud Holzmann, professeur de SVT au lycée : « Le programme vient évoquer les micro-organismes et la santé, donc ça permet de parler prévention des IST. Comme le sexe biologique est aussi au programme, j’en profite pour échanger avec les élèves sur l’identité de genre, ce qui nous amène à l’orientation sexuelle. On va aussi parler consentement, anatomie, violences sexistes et sexuelles, contraception, consentement, revenge porn, rapport à la loi… Mais comme il n’y a pas de programme défini d’éducation à la sexualité, c’est au bon vouloir des collègues motivés et intéressés. Nous, on fait venir des étudiants infirmiers ou en médecine pour un atelier d’une heure, également parce que les élèves peuvent être plus à l’aise avec des intervenants extérieurs. »


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