par Virginie Bloch-Lainé publié le 16 novembre 2023
La schizophrénie n’est pas un dédoublement de la personnalité, et «le plus souvent, les schizophrènes ne font rien de spécial». Mikael Askil Guedj n’est pas psychiatre, mais chirurgien des yeux. Son livre est étonnant. D’une plume vulgarisatrice, sobre et élégante, il dresse le tableau de 45 maladies, retrace les étapes de leur découverte, décrit leurs symptômes et la fréquence avec laquelle ils touchent les patients. Il cite des échos littéraires de ces maux. C’est un texte érudit destiné à un public large. Ménageant une place à l’humour, il n’est pas angoissant, mais apaisant. L’auteur convoque enfin ses souvenirs professionnels, mais à dose homéopathique, car il n’est pas un ancien combattant. Quel âge peut bien avoir ce savant docteur ? 1 000 ans ? Non, sur une photo de lui publiée sur Internet, il paraît jeune. Un médaillon jaune indique, sur la couverture (surprenante elle aussi, faussement désuète) : «Portraits des maladies du XXIe siècle» Le diabète, l’hypertension, l’herpès ou l’apnée du sommeil existent depuis toujours mais d’une part les conditions de vie actuelles les modifient, d’autre part le XXIe siècle est celui de l’hypocondrie diagnostiquée, assumée, très alimentée. C’est le siècle où les «Maladies de l’âme» (deuxième partie d’un livre qui en compte cinq) sont vulgarisées pour le meilleur et pour le pire, celui où apparaissent de nouvelles modes, par exemple le recours au Botox ou le surdiagnostic du trouble de l’attention, reflet, pour Mikael Askil Guedj, d’un enfant dissipé sur lequel se posent, comme une poussière de l’époque, des problèmes sociaux profonds. La Ritaline, camisole chimique, les masque.
«Maladies de l’âme», «Maladies du corps», «Maladies confidentielles», «Maladies voyageuses» (varicelle, zona, endométriose) et «Maladies d’antan et maladies de notre temps» : tel est le classement établi. Il manque apparemment les maladies d’amour, mais elles entrent dans toutes les cases si l’on croit à la somatisation. Le mot «angine», par exemple, vient du grec agkhein, «qui signifie “serrer”, “étouffer”, ce qui s’entend pour parler d’une gorge serrée». L’angine, c’est l’angoisse. L’asthme est traité dans le cadre des «maladies voyageuses» puisqu’il est lié aux bronches exposées à un essaim de bactéries et de virus. Cependant Prosper Mérimée, cité par Mikael Askil Guedj, savait que les nerfs entraient dans l’apparition de l’asthme. En 1870, il écrivait à Madame de Montijo : «Mon grand mal est une névrose, et vous savez que la médecine est à peu près impuissante. Joignez à cela l’asthme qui me prend de temps en temps qui n’est pas une addition à la souffrance mais une multiplication au cube et au carré.»
Médecins malgré vous fait un sort à certaines idées et pratiques dans le vent : le côlon n’est pas un «“deuxième cerveau” comme on peut le lire un peu partout […]. Les patients amputés de tout ou partie de leur côlon suite à un cancer continuent à vivre normalement, contrairement à l’absence d’autres organes vitaux». Autre conviction battue en brèche : ce qui est fait à la maison n’est pas idéal. Le botulisme, paralysie générale causée par une substance toxique, se traduit par des symptômes violents et mortels en peu d’heures. Il est lié à une bactérie qui se développe dans des milieux privés d’oxygène comme le sont les boîtes de conserve. Mikael Askil Guedj cite le docteur Wilde qui confie à Faye et Kate, dans A l’est d’Eden de Steinbeck (1952) : «Je puis vous le dire maintenant, je ne croyais pas que vous vous en sortiriez. Vous en avez eu de la chance. Et ne vous amusez plus à faire des conserves ! Achetez-les dans le commerce !»
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