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samedi 25 novembre 2023

A Paris, les enfants campent devant l’école

Par   Publié le 24 novembre 2023

En plein centre de la capitale, au pied de l’école Saint-Merri-Renard, une dizaine de familles de migrants installent des tentes chaque nuit et les défont à l’aube, avant l’arrivée des élèves. A l’approche de l’hiver, le Samusocial est débordé.

Les tentes installées pour la nuit sous le porche de l’école Saint-Merri-Renard, à Paris, le 13 novembre 2023. 

De toutes les couleurs, les petites tentes sont si serrées qu’elles se touchent. Ce matin du lundi 20 novembre, il y en a près d’une centaine. Elles semblent s’être agglutinées pour mieux lutter contre le froid nocturne sous l’imposant porte-à-faux de l’école polyvalente Saint-Merri-Renard, en plein cœur de Paris. Avant le lever du jour, entre le Centre Pompidou et l’Hôtel de ville, c’est ici que commence un triste ballet. De la mosaïque de toiles sortent, les unes après les autres, des ombres encore endormies. Des hommes pour la plupart, souvent venus d’Afrique de l’Ouest. Mais aussi plusieurs femmes, dont une Hongroise enceinte de cinq mois. Et des enfants, une dizaine environ. Le plus jeune occupant du campement est un bébé de 4 mois.

Chaque matin, il faut ranger ses affaires, souvent dans un grand sac plastique ensuite caché parmi les arbustes d’un espace vert voisin. Il faut faire place nette pour 8 h 30, avant l’arrivée des enfants de l’école primaire publique. Le rituel est rodé, depuis la fin de l’été, même si le nombre de tentes a sensiblement augmenté depuis la Toussaint. Longtemps, les parents d’élèves n’ont pas remarqué l’existence du campement nocturne.

Puis, un matin d’automne, les policiers municipaux, chargés de s’assurer que les tentes sont démontées, ont pris du retard dans leur ronde. Et les deux mondes se sont croisés. « Nous constatons avec tristesse qu’une dizaine de familles dorment devant notre école et dans les environs depuis quelques semaines maintenant », ont écrit les représentants locaux de la FCPE dans un courriel envoyé le 17 novembre à l’ensemble des parents d’élèves.

Constatant qu’« aucune solution n’a hélas été proposée » par la mairie ou la préfecture, ils ont organisé, en lien avec Utopia 56 et Paris d’exil, deux associations d’aide aux migrants, une collecte de vêtements chauds et de nourriture. « On va essayer de créer un collectif de parents dans Paris Centre et poursuivre éventuellement des actions », projette Florent Cheippe, bénévole à Paris d’exil, et dont l’un des enfants est à Saint-Merri.

« Depuis un an, de plus en plus de gens à la rue »

En attendant de trouver un toit, Khadi, une Ivoirienne de 25 ans, s’astreint chaque jour à un réveil matinal. Passée par la Tunisie puis l’Italie avant d’arriver en France il y a sept mois, elle dort sous une tente grise avec ses deux filles, âgées de 10 et 4 ans. Comme sa petite sœur, Assetou va depuis la rentrée dans une école du 2e arrondissement, à 1 kilomètre de là. « Les filles ne se lavent que le samedi et le dimanche, déplore leur mère. Le matin, la douche ouvre à 8 heures, c’est trop tard pour être à l’heure en classe. »

Khadi raconte pêle-mêle ses ennuis, les documents d’identité perdus – « tout est resté dans la mer » –, l’hébergement d’urgence, dans un hôtel modeste, qui n’a duré que deux semaines, les appels vains au Samusocial – « le 115, ils n’ont jamais de place, on me dit de rappeler la semaine prochaine » –, les nuits écourtées – « les enfants ne se reposent pas, on nous réveille même les week-ends ». Elle a fait une demande d’asile pour ses filles – « on attend ». On lui a proposé des solutions d’hébergement « à Strasbourg ou à Toulouse ». Son aînée, qui s’est fait des amis à l’école, « n’a pas arrêté de vomir » à l’idée de devoir partir loin.

« On est dans une situation critique », reconnaît Ariel Weil, le maire (PS) de Paris Centre, venu sur place. Dans cette zone, qui regroupe les 1er, 2e, 3e et 4e arrondissements de la capitale, « sept ou huit familles avec enfants scolarisés », estime-t-il, seraient à la rue. Un peu plus au nord, dans le 18e arrondissement, plus de soixante-dix enfants dorment dehors, selon l’association Jamais sans toit.

Après une hausse des moyens pour l’hébergement d’urgence durant le Covid, Ariel Weil observe qu’il y a, « depuis un an, de plus en plus de gens à la rue ». Est-ce la faute à des capacités hôtelières en baisse, en vue des Jeux olympiques de 2024 ? Ou, comme l’assurent certains responsables associatifs, aux directives données aux préfectures de réduire leur plafond de nuitées en hébergement d’urgence, actant la fin du « quoi qu’il en coûte » ?

A la mi-octobre, 2 822 enfants dormaient dans la rue en France

Une chose est sûre : le 115, le numéro du Samusocial, est saturé. Durant l’été, à Paris, les demandes non pourvues concernaient chaque jour six cent trente-deux personnes en famille, sans compter ceux qui n’appellent plus le 115. La situation ne s’est pas améliorée. Le Samusocial reconnaissait, fin octobre, ne pas pouvoir proposer d’hébergement aux personnes ne répondant pas au « critère de priorité 1 », qui regroupe, entre autres, les femmes victimes de violences, celles enceintes de plus de sept mois et les familles avec enfants de moins de 3 mois. Avec ses deux filles de 4 et 10 ans, Khadi n’en fait pas partie.

« On essaie de bricoler pour trouver des solutions. On n’a pas la capacité d’agir sans l’Etat », assure Ariel Weil. Il dit proposer régulièrement à la préfecture des lieux inoccupés à mettre à disposition. Dans le 18e arrondissement, où des écoles accueillent la nuit des élèves et leurs parents, le maire socialiste vient de demander à l’Etat de pouvoir utiliser un lycée vide depuis l’été.

A la mi-octobre, au moins 2 822 enfants – dont environ 2 000 scolarisés – dormaient dans la rue en France, selon le Collectif associations unies, Jamais sans toit, l’Unicef et la FCPE. Des chiffres « en hausse de 20 % par rapport à l’année dernière », se sont émus les maires socialistes et écologistes de seize grandes villes dans un courrier adressé à Emmanuel Macron, l’appelant à des « mesures urgentes ».


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