par Lola Lafon, écrivaine publié le 2 juin 2023
Elle traverse l’histoire, indéboulonnable, on en trouve des traces jusqu’en Grèce antique, la Convention l’inscrit à son calendrier républicain, Napoléon eut pour projet de l’instaurer officiellement, Pétain en fit le cœur de son idéologie : ce dimanche, qu’on la conspue, qu’on l’ignore ou qu’on s’en émeuve, c’est la fête des mères.
Que fête-t-on, lorsqu’on célèbre les mères ? Une fonction biologique ? Une fonction sociale ? Est-ce un savoir-faire qu’on leur reconnaît ? Un encouragement à procréer tout à fait politique ? La reconnaissance d’un service rendu à un Etat soucieux de sa natalité ? Un Etat pour lequel toutes les mères ne se valent pas : à Mayotte, les jeunes Comoriennes venues accoucher se voient «conseiller» une ligature des trompes quand, en métropole, celles qui la souhaitent doivent se justifier de leur décision auprès du corps médical, sous prétexte qu’elles pourraient le regretter…
Evadées de la norme
Sommes-nous, comme le clamait la marque Marionnaud en 2016, par essence, toutes «born to be a beautiful maman» ? Quid de celles qui ne le sont pas, mères ? Faudrait-il les considérer comme des déserteuses de la «féminité», des évadées de la norme, qui tourneraient le dos à un quelconque destin biologique ?
Si être mère était une profession, celle-ci aurait bien besoin d’être défendue par un syndicat. Une vidéo vue plus de dix millions de fois sur YouTube met en scène un faux entretien d’embauche dans lequel le recruteur annonce aux postulantes qu’il leur faudra être debout presque tout le temps, qu’elles n’auront ni congés, ni salaires et jamais de promotion, sans même parler d’une quelconque gratitude ; enfin, elles travailleront plus de cent-trente-cinq heures par semaine, sept jours sur sept, dans un environnement souvent chaotique. Est-ce bien légal, s’interroge, perplexe, une des candidates ? Le poste à pourvoir est, bien sûr, celui de mère.
La maternité est peut-être la valeur ajoutée de celles qui font la une des sites people – princesses et autres influenceuses – dont on célèbre avec ferveur et ad nauseam le «baby bump» (le ventre de femme enceinte), mais pour les anonymes, le surmenage guette.
Une pratique amateure de la maternité
A l’heure où on s’inquiète de la future profession de ses enfants dès le primaire et où on leur apprend à se «focaliser sur leurs objectifs», peut-être faudrait-il songer à mettre à l’honneur une pratique amateure de la maternité.
Est amateur.e, pour le dictionnaire, celui ou celle qui manifeste un goût de prédilection pour quelque chose. Est amateur.e celui ou celle qui aime, apprécie.
Est amateure celle-là que je croise régulièrement dans un cours de danse classique de niveau avancé, elle est interne à l’hôpital mais s’esquinte les pieds dans ses pointes avec passion, le visage tendu par l’effort. Est amateur ce jeune homme qui, sur Instagram, envoie à ses auteurs favoris ses fiches de lecture extrêmement détaillées de leur dernier roman.
Amateurs, aussi, ceux et celles qui servent à leurs ami.e.s des plats de grands cuisiniers aux mille ingrédients. Amateur.e.s, ceux et celles qui s’essayent à la tierce, la quinte, dans une chorale de quartier. Des amateurs qui n’ont d’autre désir que celui-ci : faire à peu près bien ce qu’ils aiment.
La velléité de bien faire
L’amateurisme est ce que nous pratiquons le mieux, en toutes choses. C’est notre spécialité, à chacun.e. Amateur.e.s pas très éclairé.e.s, nous abordons chaque moment de notre existence en trébuchant, sans savoir aucun, sans préambules ni repères. Ce ne sont que tentatives. Nous sommes des amoureux amateurs, sans savoir-faire ni expertise, qui nous heurtons depuis des siècles aux mêmes peines, aux mêmes malentendus, usant des mêmes serments emphatiques et maladroits. De l’existence, nous ne connaîtrons que ça, jusqu’à la fin : la velléité de bien faire. Et il nous faudra mourir, aussi, en amateurs, sans en avoir la moindre expérience.
La maternité ne fait pas exception : qu’elle ait porté son enfant ou pas, aucune mère ne sait l’être, ce rôle s’improvise, s’apprend sur le tas, en solitaire.
Pour Wikipédia, celles qu’on fêtera demain sont majuscules, ce sont des Mères, comme on parlerait de déesses toutes puissantes ; les autres, elles, mères amateures, ont peut-être préféré sauter du piédestal pour aller faire la fête ailleurs, loin des flatteries liturgiques, commerciales et politiques.
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