par Elsa Maudet publié le 31 mai 2023
La «classe dehors» a la cote, surtout depuis que le Covid a poussé profs et élèves à prendre l’air. En témoigne l’organisation, depuis mercredi à Poitiers, des premières rencontres internationales de la classe dehors, grand raout de cinq jours qui doit réunir des milliers de participants, enfants comme adultes, enseignants comme militants écolos, convaincus comme timorés curieux. Et si, dans l’imaginaire collectif, l’enseignement en extérieur a plus naturellement sa place en milieu rural, la ville regorge elle aussi de possibilités.
«Faire classe dehors, c’est très important partout mais peut-être encore plus en milieu urbain, voire hyperurbain comme c’est notre cas, où on a toujours plus tendance à être enfermé, dans les transports en commun…» juge Christelle Gautherot, directrice académique des services de l’éducation nationale chargée des écoles et des collèges à Paris. «On a une population d’enfants qui grandit souvent hors sol. Ils vivent dans la maison, sortent peu, sont beaucoup au contact des écrans. Et depuis le Covid, ils ont de moins en moins d’activités sportives», confirme Eric Fleurat, inspecteur de l’éducation nationale dans la circonscription d’Allonnes (Sarthe).
Dans cette commune de 11 500 habitants frontalière du Mans, dont une partie est classée en éducation prioritaire, une soixantaine d’écoles se sont converties à la classe dehors, qui permet aux enfants d’être en mouvement, de tisser des liens avec la nature, de s’apaiser et de mieux intégrer les apprentissages. Petit bois, parc, bords de Sarthe : chaque enseignant choisit son environnement en fonction de la localisation de l’école.
«L’ambiance est bien meilleure»
A Paris, Thérèse de Paulis voit grand : elle s’installe au jardin des Tuileries. Et alors que la plupart des professeurs lancés dans les cours en plein air exercent en maternelle, éventuellement en élémentaire, cette prof de lettres-histoire enseigne à des lycéens professionnels. «A Paris, les lycées sont dans d’anciennes écoles élémentaires, donc les salles sont petites. On a l’impression qu’il y a du chahut, les élèves n’ont pas d’espace pour circuler. Dans la cour ou dans un jardin, ils peuvent se lever, s’étirer, apprendre en marchant comme les philosophes de l’Antiquité… Leur corps existe», salue l’enseignante du lycée Simone-Weil (IIIe arrondissement).
Voilà plus de quinze ans qu’elle emmène ses élèves, «souvent en échec dans [ses] matières», au Louvre et aux Tuileries. «J’ai remarqué que l’ambiance de classe était bien meilleure, qu’ils étaient calmes, apaisés, et qu’on travaillait différemment. L’enseignant est davantage un référent pour aider et accompagner qu’un prof auquel il faut s’opposer», pointe Thérèse de Paulis. Dehors, elle dispense ses cours, fait sortir manuels et cahiers, organise des contrôles, des révisions pour le bac. Ses élèves s’approprient l’espace à leur guise. «Parfois, on me dit : “Tu perds cinq minutes aller, cinq minutes retour”. Mais non, parce que le reste du temps, on travaille. En classe, je mets parfois un quart d’heure à avoir l’attention des jeunes, confie-t-elle. En classe, s’ils n’ont pas fait leurs devoirs, ils ont une réaction agressive. Dehors, ils font plus de confidences, me disent qu’ils ont eu un problème, qu’ils ne mangent pas, qu’ils dorment dehors…»
L’enceinte d’une salle de classe ou d’un établissement scolaire a un côté rassurant. Un sol, un plafond, des murs, des barrières : les élèves ne peuvent pas s’échapper, ni être renversés par une voiture ou trébucher sur des racines. De quoi conforter nombre d’enseignants, a fortiori en ville, dans l’idée que l’aventure du dehors n’est pas pour eux. «Dans une société qui ne supporte pas que les enfants soient exposés au risque, ça met une pression énorme sur les enseignants. Mais la prise de risque, il faut qu’elle soit acceptée. Quand l’espace est un peu cabossé, l’enfant explore, tombe, se salit», souligne Aurélie Zwang, maîtresse de conférences à l’université de Montpellier, spécialiste de la classe dehors.
«Ils sont toujours sur du béton»
Réunis dans un environnement qui, le temps d’une demi-journée ou d’une journée chaque semaine, semble leur appartenir, les élèves se mettent au contraire souvent moins en danger. En temps normal, «ils n’ont pas l’habitude de marcher sur des terrains diversifiés, sur de la terre. Ils sont toujours sur du béton ou sur les sols protégés des aires de jeu. Avec la classe dehors, au début ils disent : “Il y a des ronces, ça pique !” et maintenant plus du tout. Ils tombent, se relèvent, se frottent les genoux et repartent, indique Florence Moureaux, qui enseigne en moyenne section dans une école classée REP+ (éducation prioritaire renforcée) à Beauvais (Oise) et emmène ses élèves dans un petit bois à proximité. Ils s’aident pour grimper la côte, pour porter des branches… Ils prennent confiance en eux et osent prendre des risques, sans moqueries et dans le respect de chacun.»
Même s’ils ne disposent pas d’une forêt de 1 000 hectares à proximité, les enseignants urbains ont un environnement foisonnant à portée de main. «En maternelle, on peut voir des notions de géométrie, de topologie, de repérage dans l’espace avec l’observation de façades d’immeubles ou d’organisation de rues, défend Christelle Gautherot. Etre dehors, ce n’est pas forcément être dans le parc qui est à 300 mètres, ça peut aussi consister à regarder la course du soleil.» Convaincue de l’intérêt, tant pour le corps que pour l’esprit, de la classe dehors, l’académie de Paris ouvre un poste à la rentrée prochaine pour un enseignant spécialement dédié à la pratique, qui sera chargé d’accompagner les professeurs des écoles emballés par l’idée.
Reste un chantier, et pas des moindres, à entreprendre : convaincre les professeurs du second degré de s’y mettre, eux qui courent toute l’année pour boucler leurs programmes et voient souvent la classe dehors comme une perte de temps. Pourtant, estime Christelle Gautherot, «il y aurait de nombreux bienfaits, pour des élèves en pleine transformation psychique et physique».
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