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mercredi 31 mai 2023

Chronique «Aux petits soins» Infirmière tuée à Reims : ces mots qui ont manqué

par Eric Favereau  publié le 30 mai 2023 

Après la mort de Carène Mezino, les réactions politiques et professionnelles ont manqué de justesse. Loin de celles, par exemple, qui ont suivi l’assassinat d’un jeune psychiatre en 1967. Comme si la folie restait aujourd’hui toujours inregardable.

Après la mort de Carène Mezino, les réactions politiques et professionnelles ont manqué de justesse. Loin de celles, par exemple, qui ont suivi l’assassinat d’un jeune psychiatre en 1967. Comme si la folie restait aujourd’hui toujours inregardable.

par Eric Favereau

publié le 30 mai 2023 à 7h58

C’est évidemment si triste, mais surtout profondément désespérant. Rien ne change. Comme si la folie aveuglait tout le monde. Bien sûr, le drame de Reims est absolu. Carène Mezino n’y était pour rien. Se trouvant là au mauvais moment au mauvais endroit. Tuée par une personne atteinte de troubles mentaux qui a débarqué dans les locaux de la médecine du travail des personnels hospitaliers. On est à mille lieues de l’agitation agressive d’un service d’urgences. On est à mille lieues de la crise du système de santé. Mais voilà, cet homme malade, en plein délire, en voulait au monde médical dans sa totalité.

Carène Mezino en est morte. L’homme a été arrêté, mis en examen pour assassinat. Et depuis, on ne peut qu’être effondré par les réactions de la plupart des acteurs, mélangeant tout, confondant la tension dans les hôpitaux avec la montée de la violence dans la ville. A l’image d’abord du ministre de la Santé, François Braun : «Face aux violences, la seule position, c’est la tolérance zéro», a-t-il assuré. A l’évidence… Mais quel rapport avec le drame de Reims ? Marc Noizet, patron de Samu-Urgences de France, a continué sur le même registre : «Il est intolérable que des soignants viennent aujourd’hui travailler la boule au ventre, sachant que certains patients vont les insulter, les gifler, leur cracher dessus…» Il prône une «réponse globale» allant de la prévention jusqu’aux outils pour gérer ces situations. Un syndicat de praticiens hospitaliers a énoncé une évidence : «Nous demandons que toutes les incivilités soient signalées sur un registre, et que, à chaque fois, une plainte soit déposée sous X, portée par les directions hospitalières pour protéger l’anonymat de l’agent.» Au ministère de la Santé, on a rappelé, encore dimanche 28 mai, que des plans de sécurisation existent, avec un budget de 25 millions d’euros par an. «Caméras de télésurveillance, agents et équipes de sécurité, conventions entre hôpitaux et justice… D’autres mesures suivront rapidement», a promis François Braun. Evoquant même des bracelets de sécurité pour que les soignants puissent à tout moment appeler à l’aide.

Sirènes sécuritaires

Pourquoi pas ? Mais quel rapport avec le drame de Reims ? Aucune de ces mesures n’aurait empêché ce grand paranoïaque de passer à l’acte. D’autres voix se sont élevées pour évoquer les difficultés que traverse la psychiatrie publique. Dans le cas présent, le patient était apparemment pris en charge et suivi régulièrement. Tous les psychiatres le disent, il est très difficile de mesurer la dangerosité d’un patient délirant. Y a-t-il eu une erreur d’appréciation ? Peut-être. Et c’est vrai que lors des deux dernières affaires très médiatisées en France où un malade mental avait tué – celle de Pau où deux infirmières avaient été assassinées, et celle de Grenoble où un patient avait poignardé à l’aveugle un jeune étudiant dans les rues de la ville –, il y avait eu une vraie défaillance dans la prise en charge. A Pau, la mère désespérant de faire hospitaliser son fils. Quant à Grenoble, le drame est survenu dans un service totalement effondré.

A Reims, politiques comme responsables ont fui la question et les abymes de la folie, préférant évoquer les sirènes sécuritaires ou se retranchant derrière le malaise hospitalier. Que peut-on dire, face à «l’impensable», comme le formulait le philosophe Michel Foucault ? Nous est remontée alors une autre histoire, survenue en 1967, montrant que d’autres mots étaient possibles.

Le docteur Bertherat était un psychiatre de 35 ans. Un dimanche matin, un 15 octobre, il était tué par un malade de son service de l’hôpital psychiatrique de Perray-Vaucluse. Qui peu après a retourné l’arme contre lui. «Cette tragédie faucha, comme l’écrit Georges Daumézon, un des grands noms de la psychiatrie, un des meilleurs de la génération des jeunes médecins», et «un malade innocent». Puis : «Ce drame qui nous accable n’est pas un accident imprévisible, inévitable et exceptionnel. Nous qui connaissons les lacunes et les carences de l’organisation psychiatrique savons que cet épisode n’est pas isolé. Nous sommes en deuil, il serait indécent de paraître exploiter une tragédie qui fauche un des meilleurs de la génération des jeunes médecins, un malade innocent et qui blesse grièvement un infirmier et un malade. Le rôle de l’infirmier et du médecin n’est pas de demander des comptes. Mais cela n’exclut aucune responsabilité.»

Malheur sans limite

Le docteur Henri Ey, autre grande figure de psychiatrie de l’après-guerre, au nom des psychiatres des hôpitaux, assista aux obsèques de l’un et de l’autre, «morts ensemble et également victimes de la maladie, de cette maladie qui, hélas, reflète dans la relation du malade et de son médecin l’intolérable et pathétique malheur qu’elle manifeste». Puis : «Tous nous sommes frappés, commotionnés, par l’affreux malheur… Il est tombé, peut-on dire, comme on le dit de ceux qui sont affrontés en service commandé à quelque danger extérieur à eux-mêmes, “victime de son devoir”. Mais celui qui plus malheureux encore que lui-même déchaînait contre lui sa violence n’était ni son ennemi ni un criminel. Il était cet autre qui faisait partie de lui-même, comme lui-même était pour lui celui qu’il ne pouvait détruire qu’en se tuant. L’événement fatal n’avait pas de fatalité. Car sa mort est et doit rester pour nous tous, non pas comme une condamnation de l’espérance qu’il a scellée de son sang, mais comme le modèle même du risque réfléchi qui est à l’honneur de notre profession pour être inhérent à la responsabilité dramatique que nous assumons et devons assumer envers et contre tout.»

Aucune histoire ne ressemble à une autre. En 1967, alors que l’on dénonçait l’indigence des asiles, les équipes ont eu ces mots d’une extrême humanité pour répondre à un malheur sans limite. Aujourd’hui, la seule éclaircie après le drame de Reims aura été la magnifique tribune parue le 26 mai dans Libération de ce père d’un enfant schizophrène, qui s’est suicidé. «Nous autres, avec nos histoires, devrons continuer à crier leur colère face à tant d’indifférence des gouvernants ayant laissé depuis tant d’années s’écrouler la psychiatrie publique. Il est à craindre qu’ils ne répondent qu’en renforçant les mesures sécuritaires déjà prises lors des précédentes tragédies médiatisées, sans entendre la voix des soignants, des patients et leur famille. Pour que vive la psychiatrie publique : dire la vérité sur ce qui s’y passe est une évidence, agir ici et maintenant, une nécessité vitale.»


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