Publié le 26 mai 2023
TRIBUNE
Dans une tribune collective au « Monde », la direction de l’association Médecins pour demain prend position contre la proposition de loi portée par le député Frédéric Valletoux (Horizons) visant à « améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels ». Ce texte ajoutera des lourdeurs administratives à un secteur qui croule déjà sous les procédures.
La proposition de loi 1175 visant à « améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels », portée par le député Frédéric Valletoux (Horizons) et soutenue par la majorité présidentielle (Renaissance), sera présentée au cours de la semaine du 12 juin à l’Assemblée nationale, selon Egora.fr, un site d’informations professionnelles.
Cette loi vise notamment à « responsabiliser » les professionnels de santé dans l’application des politiques d’intérêt général, comme la permanence des soins, la prévention et l’équilibre de l’offre de soins territoriale. Elle portera le coup de grâce de l’administratif à la médecine libérale.
On aurait pu croire, en lisant la présentation du projet de loi, à une miraculeuse prise de conscience du politique sur le« fonctionnement de notre système de santé complexe, suradministré et historiquement trop centralisé ».
Deux étages administratifs supplémentaires
On se prenait à espérer qu’on acterait l’échec des agences régionales de santé (ARS), tétanisées pendant la crise due au Covid-19, incapables d’organiser l’offre de soins de façon pragmatique depuis leurs tableaux Excel. Elles qui devaient « coordonner les activités, réguler, orienter et organiser l’offre de services en santé ».
On rêvait d’une gouvernance décidée par et pour les professionnels de santé en fonction des besoins de chaque territoire. On aurait redonné ses compétences au préfet, et l’expertise ainsi que les moyens aux soignants. Que nenni ! C’est d’ailleurs M. Valletoux qui le dit dans un entretien accordé à Egora le 10 mai : « Ce n’est pas cette proposition de loi qui va supprimer le trop de bureaucratie ou qui va valider une demande de meilleure reconnaissance financière de l’acte. »
En effet, c’est même tout le contraire : nous n’aurons pas un, mais deux étages administratifs supplémentaires, selon l’article 1 de la proposition de loi : le conseil territorial de santé, au sein duquel les soignants seront minoritaires, si utile que personne n’en a entendu parler depuis sa création en 2016 par l’ARS ! Puis, les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) : associations financées sur objectifs par l’Assurance-maladie, exclusivement consacrées à la coordination : pas un centime pour le soin !
Pire encore, l’article 1 entérine le concept de « responsabilité collective ». Les soignants seront donc « responsables » de l’état de santé de la population, de la permanence et de la continuité des soins, et de la répartition de l’offre de soins sur le territoire.
Libre donc aux politiques irresponsables et à leurs relais administratifs de réduire toujours plus les moyens alloués à l’hôpital comme à la ville : ils ne seront plus responsables des suppressions d’équipes, des fermetures de lits, de services d’urgence ou de maternité, de leur incapacité à adapter les capacités de formation selon les besoins populationnels et de la disparition progressive des libéraux corvéables à merci.
Irresponsable
Comme si cela ne suffisait pas, l’article 3 rendrait automatique l’adhésion des soignants conventionnés aux CPTS, associations loi 1901. Est-ce constitutionnel ? Est-ce déontologique ? L’obligation d’adhésion à une association ne va-t-elle pas à l’encontre de l’article R. 4127.5 du code de santé publique qui précise que « le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit » ?
L’article 4 de la proposition de loi 1175 « vise à rendre effective la participation obligatoire à la permanence des soins pour tous ». C’est oublier que 96 % des territoires sont couverts par la permanence des soins, malgré l’absence de repos compensateur pour les libéraux, selon une enquête du Conseil national de l’ordre des médecins réalisée en 2021. Si la part des généralistes participant au dispositif diminue, la mise en place de sites spécifiques ne fait qu’augmenter, certains en faisant une activité quasi exclusive.
A l’heure où 27,1 % de la profession [en activité régulière] a plus de 60 ans, d’après l’Atlas de la démographie médicale 2021 [page 112], il semble irresponsable d’imposer des gardes sans repos compensateur à nos aînés ! L’obligation de participation n’aura que l’effet pervers de rendre la médecine libérale encore moins attractive. Qu’importe pour M. Valletoux, pour qui « l’attractivité de la profession ne passe pas par moins de contraintes et moins d’exigences », comme il l’affirmait au Généraliste, dans un entretien daté du 5 mai.
Peut-être veut-on nous obliger à participer au sacro-saint service d’accès aux soins (SAS) cher au ministère ? Le principe : vous enlevez un médecin de son cabinet pour lui demander de répondre au téléphone, en journée, à des patients à qui on proposera des créneaux chez un médecin différent du leur, qui est lui-même obligé de bloquer des créneaux pour d’autres patients que les siens, alors qu’il en manque déjà pour ses propres patients, qui devront donc faire le 15 pour joindre le SAS pour trouver un rendez-vous !
Management à la française
Vous n’avez rien compris ? Nous non plus. C’est pourtant la solution miracle du gouvernement. Pour le moment, une expérimentation en cours dans treize régions différentes laisse croire que ce serait un échec, c’est du moins ce que nous en disent plusieurs collègues. Mais qu’importe : il faut le déployer, quoi qu’il en coûte !
Que penser enfin, de l’article 7, qui ne fera qu’empirer les conséquences d’un texte précédent, la loi Rist sur l’intérim [plafonnement de rémunération de l’intérim médical] ? Non content d’avoir provoqué la fermeture occasionnelle de plusieurs services, selon le collectif Santé en danger, le politique propose d’interdire l’intérim aux jeunes diplômés : un comble en période de pénurie ! Les jeunes qui étaient prêts à travailler plus en faisant des centaines de kilomètres afin de répondre à une carence grave en personnel (au hasard, un anesthésiste en maternité) seront priés de rester chez eux.
Que dire des propos du député Valletoux qui affirme que « quand on s’engage dans les études de médecine, on est là encore accompagné par la collectivité nationale… », oubliant au passage que, selon une enquête réalisée par Egora, l’Etat économise de 74 000 à 140 000 euros lors de la formation d’un interne payé 2 000 euros par mois en dépassant trop souvent les 48 heures par semaine au mépris de la réglementation européenne ?
Vous connaissez probablement la métaphore du management à la française : on a supprimé un à un les soignants qui ramaient ensemble pour faire avancer l’aviron de la santé, pour recruter sur le rivage, bien au sec, des ministres, directeurs, coordinateurs, vice-présidents qui nous expliquent désormais comment mieux ramer sans soignants, avec une seule rame et un bateau qui fuit. Peu importe, les rameurs seront bientôt tenus responsables du naufrage.
Les signataires de cette tribune sont tous membres de Médecins pour demain, une association de défense de la médecine et de l’accès aux soins fondée en février et qui compte plus de quatre mille adhérents : Christelle Audigier, présidente de l’association Médecins pour demain ; Noëlle Cariclet, vice-présidente ; Marc Ferrand, vice-président ; Pierre-Louis Helias, vice-président ; Olivier Vanduille, vice-président ; Moktaria Alikada Arioua, secrétaire ; Yvan Kombou,secrétaire adjoint ; Mélanie Rica-Henry, trésorière ; Soline Guillaumin, trésorière adjointe.
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