par Marlène Thomas publié le 2 mai 2023
Révolution féministe ou menace sur l’égalité professionnelle, le congé menstruel inquiète tout autant qu’il intéresse. Selon un sondage Ifop de 2021, 68 % des Françaises soutiennent la création d’un tel dispositif pour les femmes souffrant de règles douloureuses, comme récemment voté en Espagne. La Première ministre, Elisabeth Borne, s’est engouffrée, la semaine dernière, prudemment dans la brèche en assurant réfléchir à «encourager» et «accompagner» le congé menstruel faisant l’objet de quelques initiatives éparses du côté de Carrefour, de la mairie de Saint-Ouen ou encore du Parti socialiste. Alors que des parlementaires socialistes et écolos planchent sur des propositions de loi tentant d’équilibrer la balance bénéfices-risques, Murielle Guilbert, co-déléguée générale de l’Union syndicale Solidaires, revient avec vigilance sur l’intérêt de ce dispositif ainsi que les défis à relever pour le généraliser.
Pensez-vous qu’il faut encourager les initiatives de congés menstruels, dénoncés comme une fausse bonne idée par certains collectifs féministes ?
On est au stade du tâtonnement sur ce qui est à mettre en place ou non, mais ce débat a l’intérêt de soulever une vraie problématique sur la situation des femmes et leur santé au travail. Certaines préfèrent parler aussi de congés de cycle hormonal ou procréatif, en élargissant à des problématiques allant au-delà de celles des règles. Un certain nombre de syndicats de Solidaires ont déjà commencé à revendiquer la mise en place de ces congés menstruels. On pense que c’est quelque chose qui est à instaurer, il y a une attente des femmes, bien qu’il y ait certains pièges. Il faut que cela devienne normal de prendre en compte la santé des femmes au travail.
Le risque d’augmenter les discriminations à l’embauche et salariales est fort… Y a-t-il des garde-fous à trouver ?
Effectivement, un parallèle peut être fait avec la grossesse. On le pointe depuis des années, le retour de congé maternité est le moment au travail où les femmes sont discriminées, parfois insidieusement, ce qui influence leur évolution de carrière. On connaît ces failles-là. Mais il existe un certain nombre d’outils pour lutter contre les discriminations : les dénoncer syndicalement ou encore saisir la Défenseuse des droits. S’il y a des dérives sur le congé menstruel, elle peut aussi être un des instruments pour les éviter. Les avancées viennent généralement avec leur lot d’inconvénients. Ce n’est pas pour ça qu’il faut se dire tout de suite que c’est une fausse bonne idée. Toutefois, je reste assez prudente. Cela reste encore un débat chez Solidaires. On reçoit des remontées de militantes, salariées, très affectées par leur cycle menstruel, souffrant d’endométriose, pour qui il n’y a pas de questionnement face à cette possibilité de bénéficier d’un congé ou d’une autorisation d’absence sans justificatif à donner.
Ce serait donc une mesure de progrès ?
Il faut surtout observer les conditions de mise en place et rester vigilant. Quand on est malade, on n’a pas à dire «J’ai mal là ou là».Ici, on est à la frontière, ce n’est pas toujours une maladie. Il y a bien sûr le cas des femmes atteintes d’endométriose, maladie qu’on veut voir reconnue comme une affection de longue durée. Mais par rapport à la diversité des situations, il faut avoir une souplesse et une attitude de confiance. Si c’est au RH de déterminer une fois par mois si une femme est vraiment affectée par ses règles, ce n’est pas possible. Il faut que cela relève de la décision d’une femme, qui jugera si elle a besoin de rester chez elle ou si cela pourrait suffire d’avoir un espace de travail où elle puisse faire une pause, s’allonger dix minutes.
Quelles sont les demandes des syndicats de Solidaires ?
SUD éducation plaide, dans une résolution votée récemment, pour un congé menstruel sans justificatif, sous la forme d’une autorisation d’absence. Ils demandent aussi des salles de détente adaptées et la reconnaissance comme affection de longue durée de l’endométriose. La réflexion doit aussi être ouverte pour les élèves, parfois tordues de douleurs. Ce n’est pas forcément ni compris ni spécialement aménagé, d’autant plus lorsque l’on connaît la pénurie d’infirmières scolaires. Plus globalement, Solidaires fonction publique réclame la fin des jours de carence. Ça permettrait d’avoir plus de souplesse et moins d’injustice. SUD PTT a de son côté demandé, lors des négociations sur l’accord égalité femmes hommes, que soit acté un congé menstruel parmi d’autres mesures. On sent bien que ça bouge sur ce sujet.
Un congé menstruel dans la fonction publique vous semble-t-il envisageable ?
Si des dispositifs se mettent en place dans le privé, il n’y a pas de raison de ne pas les décliner dans la fonction publique. Mais il ne faut pas que ce soit dans une logique de justificatifs à tout-va ou d’intrusion dans la vie personnelle. Durant l’intersyndicale femmes annuelle que l’on a avec la CGT et la FSU, on a eu des alertes pour nous signaler que ces congés menstruels ne peuvent pas être l’occasion d’un outing d’une personne trans. Il faut des formations RH, que l’état d’esprit ne soit pas de se dire : «Je vais déceler la situation où il y aurait un abus.» Ce sont les mentalités actuelles dans la fonction publique, mais aussi plus largement dans le privé. Par ailleurs, sur un sujet comme ça, on sait qu’on est dans une société patriarcale, il faut s’imaginer aussi dans les milieux très masculins ce que ça peut donner. Cela peut être sujet à des tensions, des moqueries, du sexisme. Il y a ces dangers-là. Il n’en reste pas moins que si une femme a la possibilité de s’arrêter, sans devoir aller courir chez un médecin pour trouver un justificatif médical, sans perdre sa journée de carence, c’est un progrès.
Anne Hidalgo a dû demander une autorisation spéciale pour mettre en place un congé menstruel dans la municipalité de Paris en raison de freins législatifs et réglementaires. Comment les lever ?
Les autorisations d’absence sont réglementées, il y a des cas précis listés. Si le congé menstruel n’est pas prévu dans le code de la fonction publique, il peut être plus complexe d’acter un tel dispositif. Le régime général de la fonction publique doit être modifié. Avec ses trois versants [fonction publique d’Etat, territoriale, hospitalière, ndlr], il y a peut-être plus de choses à mettre en place mais ce n’est pas impossible s’il y a une volonté politique. Pour les jours de carence, on réclame depuis plusieurs années leur abrogation. Cela a été partiellement fait durant la pandémie. Alors qu’on veut nous faire recauser des conditions de travail, de la pénibilité, de petites mesures comme celles-ci, qui n’ont pas un impact budgétaire si important, pourraient déjà faire avancer la situation des salariés et celle des femmes en particulier.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire