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dimanche 30 avril 2023

Prescrit-on trop de psychotropes aux enfants ? La psychanalyste Claude Halmos répond

Claude Halmos  Psychanalyste

« Le divan du monde ». Dans cette chronique, la psychanalyste s’appuie sur vos témoignages et vos questionnements pour comprendre comment l’état du monde percute nos vies intimes.

Un rapport du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA), publié le 13 mars, alerte sur une consommation accrue de psychotropes chez les enfants et les adolescents. Ce rapport a été beaucoup critiqué mais il pose deux questions incontournables : celle du nombre de plus en plus grand d’enfants en souffrance psychologique, et celle de la façon dont on les soigne. Et il invite donc tous ceux qui se préoccupent du sort des enfants à s’interroger sur les causes de cette aggravation de leurs souffrances.

Pourquoi autant d’enfants sont-ils aujourd’hui en souffrance ?

La souffrance psychologique est souvent évoquée d’une façon qui, loin de la rendre compréhensible aux non-spécialistes, la fait paraître si compliquée et si mystérieuse que, confrontés (souvent très douloureusement) à celle de leurs enfants, beaucoup de parents se pensent inaptes et impuissants à les aider, mais aussi à juger des formes de soins qui leur sont proposées. Conviction d’autant plus regrettable qu’elle peut faire d’eux la proie de pratiques préjudiciables à leurs enfants.

Cette dimension de mystère associée aux problèmes psychiques s’appuie généralement sur l’idée que, alors qu’il y aurait, en matière de fonctionnement des corps, une logique et des règles auxquelles chacun pourrait se référer, le fonctionnement du psychisme serait, lui, le domaine du particulier, de l’impossible à cerner et plus encore à expliquer. Or chaque enfant étant un être singulier, les raisons pour lesquelles il souffre « dans sa tête », sont toujours, elles aussi, singulières. Mais elles ne sont pas (pas plus que celles de la souffrance de son corps) impossibles à identifier.

Comment peut-on identifier les causes de la souffrance psychologique d’un enfant ?

Il faut se souvenir d’abord que, pour grandir, l’enfant doit parcourir, de sa naissance à l’âge adulte, un très long chemin sur lequel bien des dérapages sont possibles. Ces dérapages peuvent tenir d’abord au fait que, n’étant pas, comme on l’a cru longtemps, « un adulte en miniature », l’enfant ne naît pas doté d’une « personnalité » constituée. Il doit se construire, c’est-à-dire construire peu à peu, au travers de ce qu’il vit, son rapport à lui-même, aux autres et au monde ; construction d’autant plus difficile qu’il ne peut la faire qu’avec l’aide de ses parents. Dans son apprentissage de la vie, l’enfant peut, en effet, à tout moment trébucher, du fait de rencontres difficiles avec des situations, des événements, des personnes. Et il a besoin que, à chaque fois, ses parents l’aident à éviter des malentendus qui seraient non seulement douloureux mais susceptibles de lui donner une idée fausse des relations et de lui-même : « Ton copain n’a pas voulu jouer avec toi, mais ce n’est pas parce qu’il ne t’aime pas. C’est parce que les autres enfants n’ont pas forcément envie de jouer au même moment que toi. »

Et le rôle de ses parents est pour l’enfant d’autant plus important qu’ils sont à la fois ses modèles pour grandir, et ceux qui lui donnent une première vision, évidemment fondatrice, de lui-même et de ce qui l’entoure. C’est la place – valorisée ou non – qu’il a pour ses parents, qui fonde, pour un enfant, le sentiment de sa valeur. C’est au travers de ce qu’ils lui en disent qu’il voit le monde, et en fonction de ce qu’ils lui enseignent et de l’exemple qu’ils lui donnent qu’il apprend à s’y conduire.

Or les parents sont toujours dépendants pour accompagner leur enfant de ce qu’ils ont eux-mêmes vécu (et qui peut, à leur insu, conditionner leur rapport à lui). Et ils lui transmettent toujours, inconsciemment, l’histoire des générations précédentes dont ils sont eux-mêmes porteurs, qu’ils la connaissent consciemment ou non.

Cette dépendance – inévitable – de l’enfant à la problématique de ses parents accroît évidemment les risques de dérapages, mais elle ne signifie en aucun cas que les parents seraient coupables des souffrances de leurs enfants. Les parents qui, sciemment, les maltraitent, le sont sans aucun doute. Mais aucun parent n’est coupable de ce qui se transmet, sans qu’il le sache, de lui à son enfant. Et sa collaboration est de plus essentielle pour soigner son enfant.

Pourquoi cette collaboration est-elle essentielle ?

Décrypter les difficultés (de comportement, d’apprentissage, de relations) d’un enfant suppose de les resituer dans leur contexte : de comprendre les conditions de leur apparition, la forme qu’elles prennent, mais aussi qui sont l’enfant, sa fratrie, ses parents (et leur histoire), leur vie. Ce travail d’enquête permet au soignant de repérer des problèmes, mais il permet en même temps à l’enfant et à ses parents d’en prendre conscience et, à partir de là, d’y remédier. Les causes des souffrances d’un enfant ne se situent pas en effet, comme chez l’adulte, dans le passé ; elles sont actuelles, et peuvent donc être éliminées. Et l’on ne devrait faire l’hypothèse de dysfonctionnements plus graves qui rendraient des médicaments nécessaires que si ces souffrances n’ont pas pu être éliminées par ce travail.

Les médicaments sont en effet problématiques pour les enfants. À cause de leurs possibles effets à long terme mais aussi parce que, faisant passer leurs problèmes du registre du « mal à vivre » à celui de la maladie, et les faisant se sentir de ce fait différents des autres, ils pèsent sur eux, comme sur leurs parents.

Comment expliquer l’augmentation des prescriptions ?

Grandir au temps des angoisses climatiques et économiques, des réseaux sociaux, de la pornographie accessible, vivre avec des parents malmenés par la violence du monde accroît les souffrances psychologiques des enfants, qui auraient besoin d’une éducation qui les aide à résister. Or ils pâtissent actuellement d’une éducation « positive » qui, présentant toute limite comme une violence, ligote leurs parents et les prive de repères essentiels.

Savoir le monde régi par des règles que ses parents sont capables de maintenir, et qui le protègent des autres comme de ses propres pulsions (qui peuvent, très vite, le dépasser), est pour un enfant un rempart essentiel contre l’angoisse. Savoir qu’il ne peut ni tout avoir, ni tout faire (parce que personne ne le peut) lui évite un sentiment d’insatisfaction susceptible d’altérer son envie de vivre, et lui permet surtout de différencier l’imaginaire, où tout est possible, de la réalité, où tout ne l’est pas ; et de s’y ancrer plus solidement.

L’éducation « positive » accroît les difficultés des enfants et ce, à une époque où les soigner est difficile. Difficile du fait de l’état de la pédopsychiatrie publique, souvent – et à juste titre – dénoncé, mais aussi des théories en vigueur et particulièrement du DSM (la classification américaine des troubles mentaux) qui, ne s’attachant qu’aux symptômes et laissant de côté la singularité des êtres, et de ce fait leur construction, ne permet plus de comprendre la différence entre l’enfant et l’adulte.

On peut aujourd’hui employer la même terminologie pour les symptômes des enfants et ceux des adultes (parler de « dépression » d’un enfant), « suivre » des enfants, sans travailler avec leurs parents, ou leur donner des médicaments réservés jusque-là aux adultes. Avec le risque d’en revenir ainsi à un enfant conçu comme un « adulte en miniature ». Retour en arrière qui mériterait sans nul doute une réflexion collective.

Cette chronique est interactive. Pour écrire à Claude Halmos et lui faire part de vos interrogations, de votre ressenti face à l’état du monde, adressez vos messages à : divandumonde@lemonde.fr.


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