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vendredi 5 mai 2023

Don't teuch Les influenceuses ciblent les adolescentes à grands coups de «rituels intimes»

par Constance Vilanova   publié le 5 mai 2023

Sur Instagram et Tik Tok, les odeurs vaginales sont diabolisées pour de douteux placements de produits. Un discours marketing dangereux et sexiste.

Depuis sa salle de bains, Fidji Ruiz, lèvres boostées à la chirurgie, chuchote face à la caméra de son téléphone. Sur le ton d’une confidence artificielle, elle interroge ses 2,1 millions d’abonnés Instagram : «Comment j’ai fait depuis autant de temps pour ne pas avoir de routine hygiène intime ?» En story, l’ex-candidate de téléréalité déroule : d’abord, la mousse nettoyante, la serviette dédiée à la vulve, les lingettes «à avoir toujours sur soi» et puis le gel parfumé à appliquer dans les «zones qui transpirent». Un placement de produit estampillé Musc Intime.

Située à Besançon, l’entreprise qui promet sur son site d’«être féminine en toutes circonstances» matraque les jeunes internautes sur Instagram et Tik Tok de son nouveau «rituel». Trois étapes : «Nettoyer», «Sécher»«Entretenir». «Sentir bon en bas, c’est la base, même quand on est une adolescente par exemple au moment des règles», affirme Milla Jasmine, mastodonte de la téléréalité, lors d’un coup de promo pour la même marque. 3 millions d’abonnés au compteur.

En janvier 2023, c’est Poupette Kenza, Française la plus suivie sur Snapchat avec son million de followers, qui rejoint la grande famille Musc Intime. Elle fait même participer sa fille de 3 ans à son contenu sponsorisé qui, en gazouillant, récite que sa mère utilise ces produits pour «sentir bon dans la culotte».

Si les règles deviennent un enjeu de société, elles restent un tabou

Et il n’y a pas que Musc Intime qui invente un inutile et nouveau protocole sexiste. Le 6 février 2023, sur Instagram, dans une vidéo, entourée de chattes (l’animal) et toute de jaune vêtue, Kourtney Kardashian, sœur aînée de Kim, lance sur Instagram ses «Leem Purr», des bonbons en gélatine censés donner un bon goût au vagin. En slogan : «Offre a ton vagin la douceur qu’il mérite, tu sais ce qu’on dit : on est ce qu’on mange.»

Portées par le gratin hollywoodien dès 2020, les routines self-care vaginales – sauna vaginal et autres lavages infrarouges – restaient l’apanage de consommatrices aisées, comme Gwyneth Paltrow ou Jada Pinkett Smith. Aujourd’hui, ces produits sont accessibles à toutes et particulièrement aux très jeunes internautes. Comptez 27 euros pour les compléments alimentaires Kardashian, 13 euros pour les lingettes individuelles Musc Intime. Des prix souvent en baisse grâce aux codes promo canardés par les influenceuses.

Un nombre croissant de créatrices de contenu féministes militent pour rendre les poils féminins visibles et se libérer du diktat de l’épilation. En parallèle, comme un retour de bâton, les marques cosmétiques capitalisent sur une très vieille peur qui conditionne les adolescentes : celle des odeurs corporelles intimes. «Les jeunes femmes vont d’abord être éduquées à penser que leur sexe sent mauvais. Cette injonction n’est pas formulée vis-à-vis du pénis des jeunes garçons», décrypte Elise Thiébaut, coautrice du manuel Au bonheur des vulves (Leduc, 2021). La journaliste et militante féministe précise : «Avec cette peur permanente de potentiellement puer, les femmes sont toujours en faute vis-à-vis de leur propre corps. Pourtant l’hygiène intime chez les garçons ce n’est pas vraiment ça… Lors de rapports sexuels, ils sont souvent à l’origine eux-mêmes des dysbioses c’est-à-dire des déséquilibres de la flore vaginale.»

Les marques construisent aussi leur discours autour des odeurs liées aux règles. Autrice de les Règles… Quelle aventure ! (La ville brûle, 2017) livre jeunesse sur les menstruations, Elise Thiébaut abonde : «On a toujours diabolisé le sang menstruel. Le sang versé par la guerre, lié aux hommes, ne produit par exemple pas le dégoût du sang des règles. Les règles ne sentent rien. C’est la macération liée aux protections hygiéniques qui contiennent du plastique.» Et bien au-delà de l’odeur, si les règles deviennent un véritable enjeu de société, elles restent un tabou.

«Chasse à l’odeur»

Les rituels vantés par les influenceuses sont d’autant plus discutables que le vagin s’autonettoie. Laura Berlingo, gynécologue et obstétricienne avertit: «Ces routines déséquilibrent la flore. Trop se laver génère des vaginoses, des démangeaisons et donc des odeurs. Il faut simplement utiliser et si on le souhaite, une fois par jour, un savon au PH neutre ou se rincer à l’eau.» L’autrice de Une sexualité à soi, libérée des normes (Les Arènes, 2021) dénonce cette «chasse à l’odeur» et aux «sécrétions» qui pèse sur les femmes dès qu’elles entrent dans l’adolescence avec «l’arrivée des pertes blanches».

La faute à la pornographie selon cette experte : «Dans l’imaginaire collectif, on imagine le sexe féminin comme lisse, sans odeur, sans relief, sans liquide. C’est aussi le cas pour les poils. Les sexes des femmes doivent éternellement rester des sexes de fillette». Dans son placement de produit pour Musc Intime, Fidji Ruiz se réjouit d’ailleurs de «sentir le bébé».

Plus trash encore, le 2 septembre 2022, Maeva Ghennam, incontournable Marseillaise, expliquait en direct du cabinet de son gynécologue à ses 3 millions d’abonnés Instagram qu’elle venait de se faire «rajeunir le vagin» «J’ai fait […] de la radiofréquence et de la mésothérapie sans injection. […] J’ai vraiment de la chance, j’ai vraiment un beau vagin, je n’ai pas les lèvres qui dépassent. […] C’est trop bien. Là, c’est comme si j’avais 12 ans.» Elise Thiébaut conclut, ironique : «Il est loin le temps où Henri IV écrivait à sa maîtresse “ne vous lavez pas j’arrive dans plusieurs jours”. Il faut réhabiliter les fluides féminins !»


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