Publié le 17 avril 2023
TRIBUNE
Tous les traitements ont leur place en psychiatrie dès lors qu’ils font l’objet d’une évaluation scientifique, affirment quarante-deux jeunes psychiatres qui répondent, dans une tribune au « Monde », au rapport du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge, mettant en cause la prescription médicamenteuse chez l’enfant.
Dans son rapport du 7 mars (« Quand les enfants vont mal : comment les aider »), le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) décrit une augmentation de la prescription de psychotropes chez les enfants et les adolescents. Il conviendrait de mettre en miroir ces prescriptions (2,5 % des enfants et adolescents, selon le HCFEA) avec la prévalence très élevée des troubles psychiatriques dans cette population (13 % selon le rapport de la Cour des comptes du 21 mars).
Ce Haut Conseil suggère que cette augmentation de la consommation de psychotropes serait forcément néfaste et affirme qu’il n’y a « pas de preuve d’une étiologie biologique des troubles mentaux » chez les enfants.
Deux personnalités qualifiées au sein du HCFEA, Sébastien Ponnou et Xavier Briffault accusent les tenants de la psychiatrie biologique, qui serait impliquée, selon eux, dans les pires dérives et la « surmédication », avec des résultats thérapeutiques limités. Sans doute les partisans de la différence entre le corps et l’esprit espèrent-ils réactiver le vieux conflit dualiste et opposer psychanalyse et biologie.
En tant que jeunes psychiatres, au fait des avancées majeures de notre discipline, nous nous étonnons de ces prises de position qui sont à rebours des connaissances scientifiques récentes et ne permettent pas d’améliorer les soins proposés aux personnes concernées par les troubles psychiques.
Les données de la science
Nous estimons que les principes de l’« evidence-based medicine » (médecine basée sur les preuves scientifiques) doivent prévaloir dans notre spécialité, qui mérite mieux qu’une idéologie dogmatique, exclusive et dont les principes remontent à plus d’un siècle. Nos pratiques doivent être perpétuellement réactualisées en fonction des connaissances.
Tout en ayant des spécificités, la psychiatrie s’inscrit dans le champ de la médecine. Il convient donc de mettre en balance les bénéfices et les risques éventuels d’une prise en charge et de privilégier l’intérêt du patient aux croyances du soignant.
Nous ne sommes pas partisans de la médication systématique, mais nous souhaitons nous appuyer sur les données de la science pour soigner nos patients, sans leur nuire et sans obérer leurs chances de rétablissement, voire de guérison. Aujourd’hui, il est évident qu’un traitement médicamenteux est indispensable dans certains troubles psychiatriques. Les psychotropes peuvent aussi venir en appui d’autres approches, notamment dans les troubles du neurodéveloppement.
Se priver de molécules ayant des effets bénéfiques est un choix regrettable qui ne peut que conduire à laisser les patients dans une impasse thérapeutique avec des conséquences lourdes. Les associations de patients et leurs familles, confrontées quotidiennement aux symptômes et à leurs conséquences, n’ont d’ailleurs pas hésité à s’émouvoir de ces prises de position antitraitement.
De nouveaux modèles théoriques
Conscients de la nécessaire pluralité des approches dans notre spécialité, nous ne voulons pas non plus délaisser le champ des psychothérapies. Tous les traitements ont leur place en psychiatrie, dès lors qu’ils font l’objet d’une évaluation scientifique. D’autres démarches nécessiteraient des mesures au sein de la société et à l’école. Le retard d’accès aux approches non médicamenteuses, avec des délais de plus d’un an, conduit aussi trop souvent à intervenir en urgence et tardivement, sans avoir pu mettre en place des démarches préventives et à un moment où la prescription de traitement est devenue inévitable.
La psychiatrie est une spécialité en plein essor qui doit répondre aux enjeux de son temps et nécessite des débats constructifs et pragmatiques. Il est temps d’accepter une pensée complexe, loin de l’ancien réductionnisme. Il ne sert à rien de nier que l’esprit humain est relié à un corps et qu’il est, par conséquent, tributaire de facteurs biologiques autant que de facteurs environnementaux. Le cerveau est un organe dans un corps, qui se pense, dans une société. Le consensus scientifique admis est celui d’interactions entre génétique et environnement, qui ne pourront se comprendre que par une démarche intégrative et scientifique.
L’efficacité des traitements médicamenteux est démontrée, même si leurs mécanismes d’action ne sont pour certains pas encore complètement identifiés. Il est aussi clair que des mécanismes de compensation face aux troubles mentaux existent et peuvent être développés grâce aux psychothérapies, à la rééducation et aux apprentissages.
La psychiatrie moderne n’oublie pas non plus de s’autoquestionner sur la définition des maladies, sur la différence entre normal et pathologique et propose de nouveaux modèles théoriques. Cette compréhension du cerveau sous toutes ses formes passe par un investissement massif dans la recherche, puis par l’implémentation des découvertes dans la prise en charge médicale.
Stigmatisation et dénigrement
Au moment où notre société peine à se remettre d’une pandémie, avec des conséquences importantes sur la santé mentale, notre spécialité doit poursuivre ses efforts pour améliorer ses pratiques et lutter contre la stigmatisation des patients et des familles ainsi que le dénigrement dont elle fait l’objet.
Dénigrement qui passe par des attaques régulières contre ses pratiques thérapeutiques et contre les professionnels qui prennent en charge des patients souffrant de troubles mentaux. Attaques idéologiques qui risquent de rajouter de la confusion et d’augmenter la peur des traitements chez des patients qui sont déjà très éprouvés par les maladies, de retarder leur accès à des soins appropriés et de détourner les étudiants en médecine de notre belle spécialité, pourtant riche de ses avancées scientifiques.
Loin d’une « surmédication », notre spécialité fait plutôt face à une inadéquation de l’offre de soin, comme l’a souligné le rapport de la Cour des comptes.
En tant que jeunes psychiatres, dépassant les vieux débats et clivages, nous affirmons avec force que la psychiatrie du XXIe siècle doit être humaniste, intégrative et basée sur les preuves scientifiques.
Liste des premiers signataires : Boris Chaumette, maître de conférences des universités, praticien hospitalier en psychiatrie, chercheur en neurobiologie (université Paris-Cité, groupe hospitalier universitaire Paris psychiatrie & neurosciences, Inserm U1266) ; Ariel Frajerman, chef de clinique de psychiatrie, service hospitalo-universitaire de psychiatrie de Bicêtre, équipe Moods, Inserm U1178, Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations (CESP), université Paris-Saclay, faculté de médecine Paris-Saclay ; Thomas Gargot, chef de clinique de pédopsychiatrie, centre d’excellence autisme et troubles du neurodéveloppement Exac-T (Excellence Autism Center and TND), CHRU et université de Tours, Inserm U1253 imagerie et cerveau.
Pour retrouver la liste des signataires : https://docs.google.com/document/d/1iaTGw1SdExTfMjpFa8qHnnsjgvtGfviIyNzTP-2YFlY/edit?usp=sharing
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