par Nathalie Raulin publié le 13 octobre 2022
Réguler l’installation des médecins dans les déserts médicaux ? «Au Parlement de se saisir de la question», s’est défaussé lundi Emmanuel Macron, lors d’un échange avec les élus et les professionnels de santé à Craon (Mayenne) organisé dans le cadre du volet «santé» du Conseil national de la refondation. Mais dans un département classé troisième désert médical de France, où un habitant sur cinq n’a pas de médecin traitant, la repartie présidentielle a suffi pour attiser un feu couvant. Saisissant la balle au bond, la députée Modem de Mayenne, Géraldine Bannier, a déposé mercredi une proposition de loi visant à imposer aux jeunes médecins une première année d’exercice dans les déserts médicaux. «Le sujet de l’inégale répartition des médecins entre les territoires doit être pris de front», argumente-t-elle sur Twitter. Une initiative loin d’être isolée, tant l’encadrement de la liberté d’installation des médecins est désormais perçu comme une urgence sur tous les bancs de l’Assemblée, de La France insoumise au Rassemblement national.
«On est tous partisans de mieux réguler l’installation des généralistes mais aussi des spécialistes, insiste le député socialiste Guillaume Garot, qui depuis début juillet réunit régulièrement une trentaine de députés de tous bords (hors RN) pour travailler les parades contre les déserts médicaux. Il faut prendre rapidement des mesures, quitte à ce qu’elles soient transitoires. On va déposer fin novembre une proposition de loi en ce sens. Il y a une logique d’intérêt général à faire prévaloir.» Pour cause, aucune des initiatives lancées par Emmanuel Macron depuis 2017 – fin du numerus clausus, soutien à la création de Maisons de santé pluriprofessionnelles ou à l’embauche d’assistants médicaux pour libérer du temps médical aux praticiens – n’a permis d’enrayer le fléau. «Rien que pour les généralistes, les zones en forte tension – assimilables à des “déserts médicaux” – représentent aujourd’hui jusqu’à 30 % de la population sur l’ensemble de la France, contre 18 % il y a quatre ans», relève le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM).
Le remède pire que le mal ?
Aux velléités des parlementaires, l’exécutif oppose pourtant une fin de non-recevoir. Encadrer la liberté d’installation des médecins, il n’en est pas question dans le projet de budget pour la sécurité sociale en 2023 (PLFSS). Seule concession à la grogne des élus : l’annonce de la mise en place d’une quatrième année d’internat de médecine générale, promesse de campagne du candidat Macron, mais fléchée vers les déserts médicaux. Face au tollé des syndicats d’internes qui appellent à la grève ce vendredi, le ministre de la Santé, François Braun, fait valoir que sa priorité va au «projet pédagogique».
Si l’exécutif freine des quatre fers sur l’emploi de la coercition à l’endroit des médecins, c’est qu’il est convaincu que le remède pourrait être pire que le mal dans un contexte de pénurie de praticiens, générale et durable. Dans certaines régions, comme le Centre-Val de Loire, l’Ile-de-France ou la Bourgogne-Franche-Comté, le seuil d’alerte est atteint. Mais l’érosion de la densité médicale de premier recours concerne en réalité la quasi-totalité de l’Hexagone. Alors même que les papys boomers vont exercer une «pression croissante sur l’offre de soins», aux dires même de la Drees, la France compte 10 128 médecins généralistes en activité régulière de moins qu’il y a douze ans. Et le pire est à venir. Entre départs en retraite massifs et procrastination des jeunes à poser leur plaque, la chute va se poursuivre jusqu’en 2025 pour atteindre un plus bas à 81 912 médecins généralistes en activité régulière – contre 84 133 au 1er janvier 2022 –, selon les projections du Conseil national de l’ordre des médecins.
Appel à la «responsabilité»
Et aucune embellie sur l’offre médicale n’est à attendre avant 2030. A minima, car entre le refus des jeunes générations de sacrifier leur vie privée à leur vie professionnelle et l’augmentation du temps médical requis par une patientèle vieillissante, on estime au ministère de la Santé que 2,2 installations sont nécessaires pour compenser le départ en retraite d’un généraliste… Contre la «baisse du nombre de médecins» et son corollaire – la progression des déserts médicaux –, le ministre de la Santé, François Braun, le dit tout net à Libération : il ne peut «rien», si ce n’est limiter la casse, comme prévu dans le PLFSS, en incitant les vieux médecins à raccrocher plus tard et les jeunes à s’installer plus vite.
Pour l’ancien président de Samu Urgences de France, l’heure est au pragmatisme. Plutôt que de braquer des médecins qui ploient sous la demande des patients, le ministre préfère en appeler à leur «responsabilité», pour obtenir d’eux qu’ils trouvent à l’échelle de chaque bassin de vie des modalités d’organisation, susceptibles d’apporter une réponse «aux besoins de santé» de la population. Au passage, Braun acte le changement de pied de l’exécutif : l’objectif est désormais moins de faire reculer les déserts médicaux que d’«améliorer l’accès aux soins» des patients, quitte à obtenir des médecins qu’ils renoncent à certaines de leurs prérogatives. Les concertations engagées dans le cadre du CNR santé doivent y pourvoir. Conscient que l’exécutif le soutient aujourd’hui comme la corde le pendu, l’ordre national des médecins joue le jeu. Le ministre a prévenu : si son appel à la «responsabilité» des médecins ne porte pas ses fruits, il faudra en venir à la coercition.
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