par Jonathan Bouchet-Petersen publié le 7 octobre 2022
Dans une série de tweets, Joe Biden a annoncé jeudi qu’il allait annuler les condamnations fédérales des Américains pour consommation ou détention de cannabis. Si à titre personnel, le locataire de la Maison Blanche reste opposé à la légalisation, il fait ainsi un pas vers la dépénalisation comme il l’avait promis durant sa campagne électorale. «Personne ne devrait être emprisonné pour avoir simplement consommé ou possédé du cannabis», a-t-il affirmé avant de souligner qu’une «dépénalisation complète», qu’il ne réclame pas, ne peut être qu’une décision du Congrès.
La décision du président américain n’est probablement pas dénuée d’arrière-pensée à un mois des élections de mi-mandat. Elle intervient dans un pays où une vingtaine d’Etats ont déjà réduit ou supprimé les condamnations pour consommation ou détention de cannabis à des fins récréatives et où quelques-uns, à l’instar du Canada voisin et d’un nombre croissant de pays dans le monde, ont tout bonnement légalisé sa production et sa vente. Dans ces derniers, cela a donné naissance à un énorme business de la weed, générant des rentrées fiscales aussi massives que bienvenues – une conséquence mais pas un argument suffisant pour justifier une révolution de la législation. Il y en bien d’autres, on y reviendra.
Faire de la mousse
Mais constatons d’abord combien la France reste particulièrement conservatrice dans ce domaine. L’amende forfaitaire mise en place il y a quelques mois et visant les consommateurs n’est en rien une dépénalisation, elle permet simplement aux policiers de judiciariser sans passer par la case justice, dans le seul but de désengorger des tribunaux encombrés par ces petites affaires de stups. Mais au nom d’une vision qui apparaît aussi datée qu’inefficace, «l’interdit moral» continue d’être un refrain largement entonné par nos dirigeants. De Manuel Valls à Gérald Darmanin une même doctrine, celle de la «guerre contre la drogue» dont l’échec est patent un peu partout dans le monde.
S’il est facile de faire du chiffre en interpellant des guetteurs sur les points de deal, en délivrant à tour de bras des amendes aux consommateurs et en démantelant, parfois, quelques filières qui se reconstituent quasi-instantanément, cela revient à faire de la mousse sans traiter le sujet en profondeur. C’est a priori porteur sur le plan électoral dans un pays vieillissant, mais alors que ce statu quo est de rigueur depuis des lustres en France, notre pays est celui d’Europe où la consommation reste la plus importante, notamment chez les jeunes. Quel succès !
Il ne s’agit pas de défendre naïvement l’idée qu’une légalisation sonnerait la fin pure et simple du trafic. La question ne se pose pas ainsi, même si partout où la légalisation est la règle, le trafic a nettement diminué. Du côté du corps médical, de la police et des élus locaux, de plus en plus de voix soulignent combien la situation actuelle est une impasse et défendent à plusieurs titres les vertus d’une légalisation. Il faudrait déjà dépasser l’idée pauvre selon laquelle une drogue «douce» comme le cannabis serait l’antichambre vers les drogues «dures». Tout en menant une vraie action de prévention à destination des mineurs sans nier l’impact que peut avoir la consommation de cannabis sur leur scolarisation et même parfois leur socialisation. L’objectif n’est pas d’en faire un produit banal mais de sortir d’une stérile diabolisation.
Dans les starting-blocks
D’un point de vue de sécurité publique et de vie quotidienne pour des millions de Français, la réduction du trafic, qui répétons-le ne disparaîtrait pas totalement, serait forcément positive puisqu’il y aurait naturellement moins de batailles de territoires et donc de règlements de compte meurtriers. En outre, le développement massif ces derniers mois en France des boutiques vendant des fleurs de CBD et des produits issus de cette molécule légale tirée du cannabis a montré qu’un coffee shop est quand même un lieu plus convivial pour le voisinage qu’un point de deal.
Une légalisation permettrait enfin la mise en place d’une filière agricole made in France, dans des régions qui en ont bien besoin. Pas étonnant que la Creuse soit depuis des années dans les starting-blocks. Faut-il créer un système de production et de distribution 100% géré par l’Etat ? S’appuyer sur des initiatives privées réglementées tout en autorisant l’auto-culture ? Il y a un débat d’envergure à mettre sur la table, non par idéologie mais dans une logique d’efficacité qui fait clairement défaut aujourd’hui. On en est hélas loin.
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