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vendredi 14 octobre 2022

En finir avec une femme «Bien» par Tania de Montaigne




par Tania de Montaigne  publié le 13 octobre 2022

 Etre une femme oblige à naviguer entre le trop et le pas assez, à marcher sur un fil à des kilomètres du sol avec la pureté dans une main et la beauté dans l’autre. Attention à ne pas tomber.

C’est quoi être une femme ? C’est, mourir, ici, pour une mèche de cheveux qui dépasse. Là, pour un bout de genou trop apparent, pour une cheville trop visible, pour un décolleté trop plongeant. C’est, mourir dans le cabinet douteux d’un avorteur clandestin. Mourir de n’avoir pas été assez pure. Mourir pour l’exemple. C’est, découvrir qu’il y a au-dessus de votre tête une épée de Damoclès avec le mot «pureté» gravé en lettres gothiques. Car, tout le monde le sait, les femmes Bien sont pures. Et, apparemment, être une femme Bien est ce qu’on peut rêver de mieux. What else ?

C’est quoi être une femme ? C’est être une créature que toutes les religions du monde ont priée d’être douce et calme, d’être forte et faible, présente mais effacée, d’être envoûtante mais sans ostentation, de s’exprimer mais en silence, d’être là mais pas là, d’être mère mais sans coucher, de coucher mais sans plaisir, de faire plaisir avec le sourire mais pas trop non plus parce que ça fait mauvais genre. Et, le mauvais genre, tout le monde le sait, ça n’est pas un truc de femme Bien. Le mauvais genre, ça n’est pas pur.

C’est quoi être une femme ? C’est constater que toutes les sociétés du monde à toutes les époques sur tous les continents ont toujours été passionnées par ce qui se passait dans votre culotte. Tout est dans la culotte des femmes : l’honneur du Père, du Fils, du Saint-Esprit, la grandeur du frère, de l’oncle, la respectabilité du mari, du beau-père, la réputation de la famille tout entière. Avec pour pierre angulaire : la virginité. Car, toute femme Bien aimerait être la Vierge Marie, figure ultime de pureté. What else ? Tous concentrés, perfusés, drogués à la virginité, l’alpha et l’oméga de tout ce qui tourne en ce monde. Le graal. Bienséance, décence, honneur, la culotte des femmes pèse son poids. C’est une grande malle à l’intérieur de laquelle chacun croit pouvoir se servir. Un coffre-fort dans lequel chaque membre de la famille vient déposer son estime de soi. Bien sûr, me direz-vous, pourquoi chacun ne mettrait-il pas son estime de soi dans son propre slip ou dans un autre endroit de son choix qui lui appartiendrait ? Eh bien, justement, parce que les femmes sont là pour ça, ça fait un souci en moins.

Tout en vous est «sexe»

C’est quoi être une femme ? C’est, découvrir, presque quatre siècles après Molière, que les tartuffes sont toujours en vie. «Couvrez ce sein, que je ne saurais voir. Par de pareils objets les âmes sont blessées. Et cela fait venir de coupables pensées.» C’est comprendre que, tout en vous est «sexe» : les cheveux, c’est du sexe, les jambes, c’est du sexe, la nuque, c’est du sexe, la voix, c’est du sexe. Et, que, par conséquent, vous regarder est un problème. C’est déjà prendre le risque de succomber à la tentation que vous représentez, malgré vous.

C’est quoi être une femme ? C’est naviguer entre le trop et le pas assez. C’est être équilibriste. C’est marcher sur un fil à des kilomètres du sol avec la pureté dans une main et la beauté dans l’autre. Attention à ne pas tomber. Petite, on s’inquiète qu’elle ne soit pas assez belle. Adolescente, on s’inquiète qu’elle le soit trop. Femme, on s’inquiète qu’elle ne le soit plus.

C’est quoi être une femme ? C’est apprendre que, si d’aventure, on venait à vous violer, vous ne pourriez vous en prendre qu’à vous-même, car, vous auriez lamentablement échoué à être une femme Bien. Quand une femme est violée, c’est forcément qu’elle a merdé quelque part. What else ?

C’est quoi être une femme ? C’est inventer un récit qui, pour le moment, n’a pas encore été raconté. Aller voir ailleurs si on y est. Sortir de la binarité, maman ou putain, Marie ou Marie-Madeleine, ne plus être «comme il faut». Prendre l’espace. En finir avec la perfection, la respectabilité, la pureté. C’est inventer une histoire qui commence par «vie» et «liberté». Dans ce récit-là, une femme aura les mêmes droits, les mêmes devoirs que n’importe qui, elle deviendra un être ordinaire, d’une banalité affligeante, elle ne dépendra plus de la vengeance, du bon vouloir ou de la morale mais, de la justice. Dans ce récit-là, une femme sera, enfin, devenue un gens comme tout le monde.


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