par Nathalie Raulin publié le 13 octobre 2022
Pas inquiet, mais embarrassé, François Braun. Le ministre de la Santé le dit : la gronde étudiante contre son projet d’instaurer une quatrième année d’internat de médecine générale sous forme de stage ambulatoire à réaliser «en priorité» dans les déserts médicaux, est le fruit d’un «malentendu» qu’il se charge de dissiper. Pour «répondre aux besoins de santé» de la population, l’ex-président du syndicat Samu-Urgences de France mise davantage sur la «responsabilité» des professionnels de terrain.
Les étudiants en médecine dénoncent ce qui n’aurait pour but que de les envoyer pallier la pénurie de généralistes dans les déserts médicaux. Comprenez-vous leur colère ?
C’est parti comme une traînée de poudre sur un malentendu. A l’origine, cette quatrième année de DES [diplôme d’études spécialisées, ndlr] de médecine générale, c’est une demande des étudiants ! Ils considéraient que leur cursus ne leur offrait pas une formation suffisante en gynécologie-obstétrique, en pédiatrie et même dans la gestion d’un cabinet médical. C’est dans cet objectif qu’on avait fait figurer cette mesure dans le programme présidentiel du candidat Macron. Ce qu’on leur propose aujourd’hui, c’est d’ajouter une année d’internat entièrement consacrée à des stages ambulatoires pour mieux les préparer à l’exercice professionnel en cabinet médical. En parallèle, on va se donner les moyens, en lien étroit avec les élus locaux, pour que les étudiants puissent les effectuer de préférence en zones sous dense. Mais cela reste sur la base du volontariat. La quatrième année est d’abord un projet pédagogique. Les internes auront des maîtres de stages universitaires. Il n’est pas question de les lâcher seuls dans la nature.
Cela veut dire qu’il n’y aura pas d’internes diplômés en médecine générale en 2026 ?
C’est exact sur le papier. Mais même si on doit se priver en 2026 de 3 500 jeunes diplômés, en réalité, on va gagner du temps. Je m’explique : pour devenir docteur junior, il faut avoir soutenu sa thèse. Dans les autres spécialités médicales, cela conditionne le passage en quatrième et dernière année d’internat. Mais comme ils n’ont pas à faire cette quatrième année, beaucoup d’apprentis généralistes traînent à passer leur thèse, sésame pour pouvoir poser sa plaque. En attendant, ils ne peuvent faire que des remplacements. Résultat, ils ne sont que 18% à s’installer au sortir de leurs études. Une fois la quatrième année mise en place, ils n’auront plus le choix : il leur faudra avoir soutenu leur thèse en fin de troisième année. Cela va lever un frein à l’installation. J’en ai eu une belle illustration lundi, lors de mon déplacement en Mayenne avec le Président. A Craon, dans le sud du département, pas l’endroit le plus facile d’accès, les généralistes ont créé une Maison de santé pluriprofessionnelle, rattachée à l’hôpital : ils sont maîtres de stage, ont des externes, des internes et les deux derniers médecins qui viennent de s’installer y avaient fait leur stage.
N’est-ce pas aussi pour calmer des députés qui, voyant les difficultés grandissantes d’accès aux soins dans leurs circonscriptions, veulent légiférer pour réguler l’installation des médecins ?
Le sujet n’est pas de calmer les parlementaires. Mon principal objectif est de répondre aux besoins de santé de nos concitoyens. Est-ce qu’encadrer la liberté d’installation permettrait de lutter contre les inégalités dans l’accès au soin ? Je suis convaincu que non. C’est même l’inverse. Dans le meilleur des cas, on va voir émerger des comportements mercenaires : les jeunes médecins iront exercer durant un temps réglementaire dans une zone sous-dotée puis dès que possible ils partiront. C’est ce qu’il s’est passé au Québec, où la régulation de l’installation des médecins a entraîné des ruptures délétères de suivi et de prises en charge des patients. Mais le plus probable, c’est que le nombre de généralistes installés diminuerait. Soit parce que les étudiants ne choisiront plus cette spécialité, soit parce que les jeunes médecins prendront un poste salarié à côté de chez eux plutôt que d’accepter de s’installer dans une zone sous-dotée. Au final, on va dégrader notre offre de soins. C’est extrêmement dangereux.
A lire l’article 22 de la loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), le gouvernement semble pourtant espérer que, dans le cadre des négociations avec la Cnam sur la convention médicale, les syndicats de médecins libéraux fixent eux-mêmes «les conditions à remplir par les professionnels de santé pour être conventionnés» que ce soit en termes de formation ou de zone d’exercice…
C’est plus qu’un espoir. Mes collègues libéraux ont beaucoup évolué. La pandémie a fait tomber les barrières, entre la ville et l’hôpital mais aussi entre les médecins et les autres professionnels de santé. Les syndicats médicaux, y compris les plus libéraux, portent désormais la logique de droits et de devoirs. Cette disposition du PLFSS est une façon de leur dire : on vous donne une chance d’assumer votre responsabilité territoriale dans le cadre de l’accord conventionnel en négociation. Mais si vous ne la saisissez pas, on reprendra la main car la réponse aux besoins de santé est un impératif absolu.
Concrètement vous attendez quoi ?
Je veux que les professionnels de santé s’organisent ensemble, au plus près des réalités de terrain de sorte à couvrir les besoins de santé de leur territoire. L’important, c’est d’être en mesure de fournir une réponse à toutes les personnes qui ont un problème de santé.
Il s’agit là d’un changement de paradigme. Notre système de santé a été construit dans les années 60 et 70 sur l’offre de soins. Or aujourd’hui, ce raisonnement est à bout de souffle : quand, sous l’effet du vieillissement de la population, les besoins de santé augmentent alors que l’offre médicale se réduit, le décalage n’est plus gérable.
«Dans les zones sous-denses, on va expérimenter l’accès direct des patients à d’autres professionnels de santé : s’il n’y a pas de médecin sur un territoire, ils pourront consulter une infirmière ou un kiné.»
Aujourd’hui, on ne peut plus raisonner uniquement en termes de densité médicale. Il faut avoir une vision plus en prise avec la réalité des besoins de santé des territoires. La Mayenne par exemple est un désert médical mais la population y est en meilleure santé qu’ailleurs ! La question est donc moins où sont installés les médecins que la façon dont ils s’organisent pour couvrir les besoins de santé de leur population.
La revalorisation du tarif de la consultation médicale dépendra-t-elle des efforts des médecins à assumer cette «responsabilité territoriale» ?
Je l’ai dit : droit et devoir. Si les médecins répondent aux besoins de santé, nous sommes prêts à discuter des autres termes, revalorisation à l’acte ou au forfait, la question n’est pas tranchée. Mais si un médecin fait un effort, qu’il ait une rémunération supplémentaire ne me choque pas.
Lors de l’inauguration du CNR santé le 3 octobre, vous vous êtes fixé pour objectif que «tous les Français qui le souhaitent aient un médecin traitant à l’issue du quinquennat». Est-ce réaliste ?
Oui, sinon je ne m’y serais pas engagé. Tout d’abord, il s’agit de faire en sorte que les 600 000 personnes atteintes d’une affection de longue durée (ALD) soient suivies par un médecin traitant. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. En lien avec l’assurance maladie, les communautés professionnelles territoriales de santé devront y remédier, possiblement en contactant individuellement les personnes concernées.
En parallèle, nous allons continuer à aider les généralistes à libérer du temps médical de sorte qu’ils puissent augmenter leur file active de patients. Cela passe par l’embauche d’assistants médicaux qui les déchargent des tâches administratives. On vise 10 000 embauches d’ici 2025. L’extension du dispositif aux médecins isolés exerçant en zone sous-dense est aussi au menu des discussions conventionnelles. Il faut que l’embauche d’un assistant médical soit prise en charge en partie par la Cnam, comme c’est déjà le cas pour l’exercice pluriprofessionnel.
Néanmoins, ces mesures poussées par Emmanuel Macron depuis 2017 ne semblent pas à la mesure du défi : selon le dernier rapport du Haut Conseil de l’assurance maladie, les déserts médicaux concernent aujourd’hui 30% de la population contre 18% il y a quatre ans…
Cela aurait été pire si cela n’avait pas été mis en œuvre. La diminution du nombre de praticiens, ce n’est pas nouveau. On a fait des erreurs dans le passé avec le numerus clausus. Ne refaisons pas les mêmes aujourd’hui. Poussons ce qui fonctionne. Quand on me dit qu’un assistant médical permet d’augmenter de 10% la patientèle d’un médecin, je considère que c’est très positif. Je ne peux rien faire contre la baisse du nombre de médecins, si ce n’est, comme c’est le cas dans le PLFSS, favoriser le cumul emploi retraite ou l’installation des jeunes praticiens dans les zones en difficulté… Il n’y a pas de solution miracle qui sortira de ce bureau. Mais tout le monde a pris conscience de l’ampleur du problème et les lignes commencent à bouger.
Vous pensez à quoi ?
Dans le cadre du CNR santé, [la députée] Agnès Firmin-Le Bodo et moi avons demandé aux ordres de discuter des transferts d’actes mais aussi de compétence toujours dans l’optique de libérer du temps médical. Il y a des actes réalisés par les médecins qui peuvent l’être par d’autres professionnels de santé, sans perte de plus-value pour le patient, comme la vaccination. Les ordres professionnels sont désormais tous alignés sur la nécessité de construire, dans le cadre d’un exercice coordonné localement, des transferts d’actes et de compétences nécessaires. En clair, dans une Maison de santé pluriprofessionnelle, les médecins vont pouvoir déléguer aux infirmières le suivi des patients chroniques, les renouvellements d’ordonnance etc.. C’est un verrou important qui vient de sauter.
Vous voulez aller plus loin ?
Oui, dans les zones sous-denses, on va expérimenter l’accès direct des patients à d’autres professionnels de santé : s’il n’y a pas de médecin sur un territoire, ils pourront consulter une infirmière ou un kiné.
Vu l’actuel rebond des contaminations Covid, doit-on s’attendre à un rétablissement de l’obligation du port du masque dans les transports et les lieux publics ?
On ne sait pas ce qui va se passer avec la huitième vague. Ce qu’on sait c’est qu’il n’y a pas de nouveau variant et que la population est plutôt bien protégée, même si je reste très prudent. Désormais tout le monde a compris l’utilité des gestes barrière pour protéger les plus fragiles du virus, mais aussi de la grippe et de la bronchiolite. Les Français sont responsables. Quand je suis rentré de Metz dimanche soir, la moitié du wagon avait le masque. Pour le moment, l’obligation n’est pas d’actualité. En revanche, il est essentiel que les personnes âgées et fragiles fassent leur dose de rappel vaccinal automnal.
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