par Yannick Ripa publié le 5 mai 2022
Nommés serial killers ou tueurs en série, ces criminels multirécidivistes, quasi exclusivement des hommes, ont en commun d’assassiner des femmes ou des filles, voire des petits garçons, selon un scénario constant et bien organisé, signature anonyme de leurs actes. Outre cette évidence qui relie entre elles les victimes, celles-ci sont le plus souvent apparentées par leur statut familial ou social : veuves, supposées à la fois riches et isolées, donc fragiles, femmes seules, prostituées, servantes sont les proies principales de ces prédateurs. Face à tous ces signes distinctifs, on s’étonne, avec Frédéric Chauvaud, de la tardive catégorisation de ces criminels extraordinaires : durant les décennies 1970 aux Etats-Unis et 1990 en France !
Pourtant, réitération du crime, geste dit irrépressible, sans mobile apparent – y compris sexuel – violence de l’acte, ante et post mortem, les identifiaient aisément, comme leur principale motivation : le plaisir procuré par le crime lui-même, plus que par un éventuel viol. Que leurs proies soient des femmes de peu, des anodines, des anonymes, ignorées de leur vivant, n’est pas, souligne l’historien, étranger à ce long manque de discernement que constate celui-ci en dressant l’archéologie des tueurs en série du XIXe siècle au lendemain de la Première Guerre mondiale. La preuve en est qu’au moment où triomphent la domination masculine et la morale bourgeoise, on prétend que les victimes auraient à «se reprocher une vie dissolue, une attitude ambiguë, une tendance à la griserie». Aussi, les sévices subis par les prostituées ne déclenchent pas l’empathie d’une société plus soucieuse de s’en débarrasser que de les protéger.
«Le coupeur de cous»
Ce qui préoccupe les pouvoirs, c’est la capacité de ces meurtriers à leur échapper, ce que ne manque pas de railler la presse. De fait, instrument majeur de la culture de masse, elle s’empare de ces affaires, attise la peur et provoque la fascination éprouvée par le lectorat pour ces «Barbe bleue», aux surnoms aussitôt légendaires, tels «le coupeur de cous» des prostituées (Joseph Philippe, 1825) ou «l’assassin des servantes» (Martin Dumollard, 1850). Pour le public, ces criminels sont des monstres. Mais ce siècle épris de savoirs ne saurait se satisfaire de pareilles explications, d’autant plus que ces tueurs mettent au défi les hommes de loi et de science, interpellés par le caractère énigmatique de l’addiction qui conduit aux multicides. Celle-ci, relève-t-elle d’une maladie mentale qu’il convient d’isoler et, dans ce cas, le meurtrier est-il ou pas responsable de ses actes ? Les grands noms de la médecine légale et du monde judiciaire ne cessent d’en débattre. Mais, si la pulsion sexuelle est évoquée, il n’en reste pas moins, insiste Chauvaud, que «ni les observateurs sociaux, ni les journalistes, ni les féministes n’y voient ce que l’on appellera des féminicides non intimes». Or ces femmes sont mortes, parce que femmes et la volonté première de leur meurtrier était de les dominer, de les voir souffrir, mourir, et même d’effacer de leur cadavre les attributs de leur féminité.
Frédéric Chauvaud, les Tueurs de femmes et l’addiction introuvable. Une archéologie des tueurs en série. Préface de Daniel Zagury, Editions le Manuscrit «Addictions : plaisir, passion, possession», 227 pp.
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