Publié le 3 mai 2022
ÉDITORIAL
La surpopulation des prisons françaises, source de violence et de tensions, a atteint un nouveau record. A l’heure où l’Allemagne et les Pays-Bas montrent que cette fuite en avant n’est pas une fatalité, il est temps d’assumer une politique contrôlée de désinflation carcérale.
Il est des records dont la France se passerait bien. Avec 71 053 détenus, jamais la population carcérale n’a été aussi élevée dans notre pays depuis la Libération. Promiscuité, violence, tensions sont les corollaires de cette situation pour les personnes incarcérées comme pour les surveillants. En vingt ans, le nombre de détenus a augmenté de près de moitié, une progression sans lien ni avec la démographie ni avec la délinquance.
Ni l’état déplorable des prisons, sanctionné en janvier 2020 par une humiliante condamnation de la France pour « traitements inhumains ou dégradants » par la Cour européenne des droits de l’homme, ni l’inefficacité des politiques, qui prétendent désengorger les prisons tout en y envoyant toujours plus de personnes, n’a été interrogé pendant la campagne de la présidentielle. Tandis que les candidats de gauche prônaient les alternatives à la prison, ceux de droite promettaient un durcissement des peines. Un clivage qui reproduit les injonctions contradictoires auxquelles est soumis le système judiciaire.
De fait, pendant le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, tandis que les discours gouvernementaux ne cessaient de prôner les peines alternatives, des lois soutenues par l’exécutif ont créé des incriminations nouvelles et aggravé les peines existantes, alimentant l’inflation carcérale. Et l’affichage par le président réélu d’un objectif de construction de nouvelles places de prison aussi irréaliste que vain – 15 000 sur les deux quinquennats, là où 2 500 ont été ouvertes pendant le premier – ne fait que nourrir l’illusion d’une solution par un enfermement toujours plus lourd.
Discours contradictoires
Or cette fuite en avant n’est pas une fatalité, comme le montre l’exemple de pays voisins. En Allemagne comme aux Pays-Bas, le nombre de détenus… baisse et il arrive même que des prisons ferment. Alors qu’en France plus de 105 personnes sont incarcérées pour 100 000 habitants, elles ne sont que 76 en Allemagne et 58 aux Pays-Bas. Ce contraste saisissant s’explique par une politique pénale très différente : dans ces deux pays, la justice incarcère bien plus de personnes chaque année, mais pour des durées moyennes nettement plus courtes qu’en France. A infraction égale, les peines infligées sont aussi plus courtes et les amendes beaucoup plus fréquemment utilisées.
Au printemps 2020, le Covid avait produit un étonnant « miracle » carcéral en France : en allégeant les prisons de 13 000 détenus, la pandémie avait rendu le climat plus respirable, sans montée de la délinquance. Ce précédent, ainsi que les exemples étrangers encourageants, montre qu’une autre politique pénale est possible. Au lieu des discours contradictoires qui confortent l’opinion dans la croyance que l’alourdissement des peines de prison est la seule méthode efficace pour assurer la sécurité tout en affirmant la nocivité de la prison, « antichambre de la récidive », et en prétendant développer les autres solutions, il s’agit d’assumer pleinement une politique contrôlée de désinflation carcérale.
Les avancées que constituent les textes entrés en vigueur dimanche 1er mai à l’initiative du garde des sceaux, destinés à rendre plus accessibles les règles de la condition pénitentiaire et à mieux encadrer les droits des détenus qui travaillent, montrent que la prison peut être un sujet de volontarisme politique. Mais c’est un volontarisme d’une tout autre ampleur, fait de courage et de pédagogie envers l’opinion, dont devrait faire preuve le prochain gouvernement, s’il veut vraiment sortir le pays de l’impasse du « toujours plus » carcéral.
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