par Nathalie Raulin publié le 6 mai 2022
Un répit plus qu’une fin de partie. Si tous les indicateurs sanitaires repassent actuellement dans le vert en France comme dans toute l’Europe de l’Ouest, deux nouveaux sous-variants d’omicron, BA.4 et BA.5 pourraient dès la mi-juin relancer les contaminations, selon le professeur Antoine Flahault. L’épidémiologiste et enseignant de santé publique à l’université de Genève invite les pouvoirs publics à prendre des mesures préventives.
Le nombre de contaminations Covid est en net recul, tout comme les hospitalisations et les passages en soins critiques. La cinquième vague touche-t-elle à sa fin ?
Le nombre de tests réalisés est très inférieur à ce qui se faisait en janvier, on sous estime donc sans doute l’incidence réelle. Néanmoins, la tendance reste assez fiable. Le pic a été franchi début avril et la baisse est aujourd’hui bien amorcée dans toutes les régions de France métropolitaine. Elle est d’ailleurs très rapide. Avec un taux de reproduction viral autour de 0,7 en France, il y a chaque semaine deux fois moins de contaminations que la semaine précédente. Les baisses des hospitalisations et des décès sont plus lentes mais ce décalage est attendu. Tous les indicateurs sont en train de virer au vert. C’est vrai en France et dans toute l’Europe de l’Ouest.
Après avoir retiré le pass sanitaire et l’obligation du port du masque, Emmanuel Macron a évoqué mercredi une nouvelle adaptation des règles dans les prochaines semaines. Pèche-t-il par excès d’optimisme ?
Quand l’accalmie vient, il est normal de lever les mesures sanitaires. En revanche, c’est le moment où les pouvoirs publics devraient reprendre la main, se préparer à un éventuel rebond. Il faudrait par exemple améliorer la veille sanitaire, pour détecter en amont l’arrivée d’un nouveau variant. Il faudrait aussi suivre attentivement le niveau de protection immunitaire de la population. D’autres mesures mériteraient d’être déployées pour prévenir un éventuel rebond, notamment l’amélioration de la qualité de l’air intérieur.
On sait que ce virus se transmet par voie aérosol et que les contaminations surviennent dans 95 à 99% des cas en lieux clos et mal ventilés, autrement dit là où on passe 90% de notre temps. Améliorer la qualité de l’air intérieur pourrait donc permettre à l’avenir de diminuer considérablement le nombre de contaminations. C’est un enjeu majeur auquel peu de gouvernements s’attellent vraiment. En Europe, seuls les Belges ont aujourd’hui un plan ventilation. C’est une lacune française de la réponse à la pandémie très dommageable.
Quand on voit que la Chine, adepte de la stratégie du zéro Covid, est aujourd’hui contrainte de confiner plusieurs millions de personnes, le choix des gouvernements européens de «vivre avec le virus» s’avère-t-il rétrospectivement judicieux ?
Quelques experts ont prétendu que les vagues de contaminations en Europe avaient permis d’immuniser la population, ce qui aurait permis de mieux encaisser le choc omicron que la Chine. En réalité, pour juger de l’efficience des stratégies anti-Covid, la comparaison la plus pertinente n’est pas seulement avec la Chine mais aussi avec les pays d’Asie et du Pacifique, qui ont abandonné la stratégie zéro Covid à partir du moment où la vaccination s’est déployée suffisamment. Ainsi, la Nouvelle-Zélande, l’Australie, le Japon, la Corée du Sud ou Taiwan ont connu une vague omicron très forte, mais très peu d’hospitalisations et de mortalité. En matière sanitaire, la stratégie zéro Covid des pays asiatiques et pacifiques tant que le vaccin n’était pas disponible a été meilleure que celle des Européens, puis similaire une fois le zéro Covid abandonné. Le contre-exemple, c’est le désastre de Hongkong qui s’est retrouvé avec des hôpitaux surchargés et une mortalité effrayante.
Comment l’expliquez-vous ?
Il s’est passé deux choses : d’une part la population âgée de plus de 60 ans était très mal vaccinée, de l’ordre de 60%, contre plus de 90% en Europe. D’autre part, ceux qui étaient vaccinés l’étaient avec le vaccin chinois Sinovac dont on sait qu’il ne procure une protection forte qu’avec trois doses. Or moins de 15% des plus de 60 ans avaient reçu trois doses de Sinovac. D’où l’hécatombe en l’absence de confinement. Le problème pour les Chinois, c’est qu’ils sont aujourd’hui dans la même situation qu’à Hongkong et ils risquent de connaître le même sort s’ils laissent le virus circuler : leur couverture vaccinale est forte mais celle des plus de 60 ans insuffisante.
«Améliorer la qualité de l’air intérieur pourrait permettre à l’avenir de diminuer considérablement le nombre de contaminations. C’est un enjeu majeur auquel peu de gouvernements s’attellent vraiment.»
Les sous-variants d’omicron, BA.4 et BA.5, à l’origine d’un regain inquiétant de contaminations en Afrique du Sud ont été détectés pour la première fois en France le 21 avril. Peuvent-ils modifier la dynamique de l’épidémie ?
Oui. Cet hiver, avec le sous-variant BA.1 d’omicron, on avait assisté à la remontée des contaminations en Europe un mois et demi après l’épidémie en Afrique du Sud. Si ce scénario se reproduit avec ces deux sous-variants BA.4 et BA.5, ils pourraient entraîner une hausse des cas en France à compter de la mi-juin, avec une vague qui déferlerait durant les premières semaines de l’été. Mais cela ne veut pas dire qu’il y aura une hausse importante des hospitalisations et des décès associée. On n’observe d’ailleurs rien de tel en Afrique du Sud. En revanche, les personnes vulnérables, immunodéprimées ou non-vaccinées risquent une nouvelle fois de payer un tribut élevé si l’épidémie rebondit.
Ces nouveaux variants sont-ils plus dangereux qu’omicron ?
Chaque nouveau variant présente un échappement immunitaire par rapport au précédent, puisque leur transmission n’est pas bloquée et les recontaminations possibles. En revanche, les scientifiques n’ont pas observé pour l’heure d’échappement vis-à-vis de l’immunité à médiation cellulaire, qui protège contre les formes sévères : en clair, chez une personne triplement vaccinée ou précédemment contaminée, l’infection par BA.4 ou BA.5 devrait rester bénigne. En revanche, ces variants ont une virulence comparable à celle d’omicron chez les personnes non ou insuffisamment vaccinées, ou immunodéprimées. Il est possible qu’un jour un variant échappe aux deux types d’immunité. Mais pour le moment, ce n’est pas le cas. Certains immunologistes estiment que ce cas de figure est même peu probable.
Aujourd’hui en France, près de 80% de la population dispose d’un schéma vaccinal complet et 56% a reçu une troisième dose. Mais si l’efficacité des vaccins faiblit au fil des mois, jusqu’à quand cette couverture sera-t-elle solide ?
C’est difficile de répondre. Le taux d’anticorps, marqueur de l’immunité humorale, diminue assez vite mais ce n’est pas un bon indicateur de la protection d’un individu contre les formes graves. L’important est donc plutôt l’immunité à médiation cellulaire plus difficile à mesurer. La bonne nouvelle c’est qu’elle semble diminuer moins vite que les anticorps circulants. Cela voudrait dire que les personnes qui ont reçu trois doses disposent d’une bonne protection durant plusieurs mois. Faute de recul, difficile encore d’en dire plus.
Le 7 avril, la France a élargi l’accès à la quatrième dose aux plus de 60 ans, malgré l’absence de consensus scientifique sur l’efficacité de ce deuxième rappel vaccinal contre les formes graves chez les adultes ayant un système immunitaire normal. Cette décision était-elle pertinente selon vous ?
L’important, c’est que les décisions sur le vaccin soient prises de manière collective sous l’égide des agences de sécurité sanitaires nationales ou internationales. Si, après expertise collective, la Haute Autorité de santé préconise une quatrième dose, cela me convient très bien. Cela ne me choque pas que le calendrier vaccinal soit différent d’un pays à l’autre. On sait que le vaccin est très bien toléré par les personnes âgées, qu’il n’y a pas d’effet indésirable. On sait aussi qu’il y a un émoussement de l’immunité avec le temps et avec l’âge. Ouvrir l’accès à la quatrième dose aux plus de 60 ans me semble donc plutôt prudent.
Faut-il s’attendre à ce que toute la population soit invitée à se faire injecter une quatrième dose à la rentrée ?
Ce n’est pas certain. Le vaccin ne permet pas de limiter la transmission. Il est donc peu efficace sur la contagion. En l’état des connaissances, il n’y a donc pas vraiment lieu d’inviter les moins de 60 ans en bonne santé à faire un deuxième rappel. Il vaut peut-être mieux réserver la quatrième dose aux groupes à risque. Evidemment cela dépendra de l’évolution de la situation sanitaire : la position des experts changerait si des jeunes sans comorbidités triplement vaccinés affluaient à l’hôpital ! Pour le moment, c’est rarissime.
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