par Elsa Maudet publié le 18 novembre 2021
Ezechiel est souvent tombé dans les pommes lors de contrôles ou d’examens. L’étudiant en master 2 d’anglais est sujet à des crises non épileptiques psychogènes, des pertes de connaissance parfois suivies de convulsions, qui peuvent survenir à tout moment. «A l’université, plusieurs fois je n’ai pas pu sortir de la salle et suis resté inconscient par terre au milieu des autres étudiants», raconte cet étudiant handicapé de 25 ans, qui vit dans le sud de la France.
C’est qu’il n’est pas permis de sortir pendant une composition, et ses évanouissements ne suffisent pas toujours à faire infléchir la règle. Il se remémore cette fois où un professeur lui a bien fait quitter la salle… avant de lui coller un zéro. Toute sortie est définitive, et il n’avait pas pu rendre de copie. Ezechiel bénéficiait pourtant d’un aménagement l’autorisant à sortir et rentrer autant que nécessaire.Comme lui, nombre d’étudiants handicapés racontent ces aménagements non octroyés ou octroyés mais pas respectés. Et donc cette galère – le mot «combat» revient souvent – que représente le fait de poursuivre des études supérieures lorsque l’on a un handicap. Le sujet a pris de l’ampleur le mois dernier, lorsque Mediapart a publié une enquête révélant les mauvais traitements infligés à Julie (1), une étudiante en droit, par l’Université de Paris (issue de la fusion Paris-Diderot et Paris-Descartes). Dans la foulée, d’autres jeunes ont pris la parole, en particulier sur Twitter avec le hashtag #NousEtudiantEsHandiEs, afin de le clamer haut et fort : la discrimination subie par Julie n’est pas isolée. Raphaël, lui, n’a pas obtenu les aides auxquelles il avait légalement droit pour passer un concours d’écoles d’ingénieurs. L’étudiant «multidys» (dyslexique, dysorthographique, dyspraxique…) a rendez-vous ce vendredi au tribunal correctionnel de Paris, devant qui il poursuit l’Ecole nationale supérieure d’arts et métiers (Ensam) et son directeur général pour discrimination.
Depuis la loi de 2005 sur le handicap, puis les chartes «université-handicap» de 2007 et 2012, l’enseignement supérieur est tenu d’accueillir tous les étudiants handicapés et de s’adapter à leurs besoins afin de leur offrir les mêmes chances de réussite qu’aux valides. Les universités disposent de «référents handicap», chargés notamment de mettre en place les aménagements nécessaires aux personnes qui en demandent – tous les handicaps n’en nécessitent pas et, inversement, tous les étudiants obtenant des aménagements n’ont pas forcément de reconnaissance de leur handicap de la part de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH).«Aujourd’hui, il n’y a pas une université sans un équivalent temps plein dédié aux étudiants handicapés», indique Fabien Gaulué, délégué général de la fédé 100% Handinamique, spécialisée dans la formation et l’insertion professionnelle des jeunes handicapés.
«Il y a une belle évolution»
Toutefois, les disparités sont fortes d’un établissement à un autre, certains mobilisant une unique personne quand d’autres ont mis en place une solide équipe. «Dans les grandes écoles, il y a souvent trop peu d’étudiants [handicapés] pour justifier un poste dédié», poursuit Fabien Gaulué. Mais certaines sont particulièrement engagées sur le sujet et nouent des partenariats, avec des entreprises ou des associations notamment, afin de mettre en place une politique handicap ambitieuse, intégrant notamment les enjeux de logement, de transports en commun et de vie sociale, à l’instar de l’école d’ingénieurs UniLaSalle, Sciences-Po Paris ou l’Essec. «De moins en moins de situations problématiques nous sont transmises, les écoles commencent à se roder, assure Xavier Quernin, co-animateur du groupe de travail handicap de la Conférence des grandes écoles. Tout n’est pas forcément rose, mais il y a une belle évolution.»
A la rentrée 2020, près de 40 000 étudiants étaient déclarés comme porteurs d’un handicap. C’est six fois et demie plus qu’en 2005. Les plus nombreux sont ceux atteints de troubles du langage et de la parole (comme les dyslexiques), suivis des troubles psychiques puis des troubles moteurs. L’accessibilité du bâti n’est pas optimale partout, mais elle s’est améliorée et ne représente pas le frein principal désigné par les étudiants dans la poursuite de leur formation. «Si on regarde les choses sur quinze ans, c’est évident que le progrès est sensible», reconnaît Fabien Gaulué. Mais même si les chiffres augmentent, les personnes porteuses d’un handicap ne représentent que 1,5% des étudiants. Une paille. Et plus le niveau d’études est élevé, moins les personnes handicapées sont nombreuses. «L’université n’est déjà pas en grande forme pour les personnes valides (locaux délabrés, manque de moyens, etc.) mais pour les étudiant·e·s handicapé·e·s, c’est encore pire ! analyse Ezequiel. Comme nous ne sommes pas pris en compte et qu’on raconte que les études sont accessibles alors qu’elles ne le sont pas, on finit par penser que les personnes handicapées ne veulent pas faire d’études.»
A chaque rentrée universitaire, Myriam, étudiante en lettres et sciences humaines, expérimente la même chose : ses aménagements ne sont pas mis en place. Atteinte de fatigue chronique, de problèmes de mémoire, de concentration et d’orientation dans l’espace, hérités d’un cancer pédiatrique, elle a besoin d’un tiers-temps (un allongement de ses temps d’examen), d’un preneur de notes (un boulot rémunéré assuré par un étudiant), de tutorat pour l’aider à s’organiser et de pouvoir composer sur ordinateur et non à la main. «Je dois toujours attendre un mois [après la rentrée] avant que ce soit mis en place. C’est beaucoup trop long, j’ai le temps de décrocher», déplore l’étudiante.
Rupture d’égalité ?
Cyrielle (1) est actuellement en deuxième année de licence d’histoire. «Je ne bénéficie que d’un quart des aménagements qu’on m’avait promis», raconte l’étudiante, qui a besoin d’un preneur de notes, d’aide pour rédiger ses devoirs et d’un secrétaire lors des examens, afin de compenser ses tendinites aux coudes dont l’origine n’est pas encore diagnostiquée. Récemment, elle n’a pas pu rendre un devoir, faute d’aide accordée pour le rédiger. «Mon professeur était stupéfait et m’en a voulu, énormément, comme si c’était de ma faute si je ne pouvais pas écrire et donc étudier dans des conditions normales et être notée comme n’importe quel étudiant. Je l’ai très mal vécu.»
Toutes et tous racontent cette énergie folle dépensée à gérer ce qui devrait être pris en charge par leur université, ces nombreuses relances de la mission handicap pour obtenir leurs aménagements, ces professeurs qu’il faut informer un à un. «On a moins de capacité de travail mais c’est comme si on avait une charge de travail double ou triple par rapport à une personne valide», souffle Paryss, anciennement étudiante en médiation culturelle. Et malgré ces efforts, la logistique ne suit pas toujours. «J’ai déjà dû finir un examen assis dans un couloir sous le regard furieux d’une enseignante, car elle n’avait pas prévu que j’avais un tiers-temps et que la salle n’était disponible que pour l’heure “normale” de partiel», se souvient Ezequiel. Pèse également souvent un soupçon de triche. Ces tiers-temps ne représentent-ils pas une rupture d’égalité vis-à-vis des autres ? interrogent certains professeurs. De quoi profondément agacer les intéressés : s’ils disposent de plus de temps pour passer leurs examens, c’est qu’ils en ont besoin, afin de compenser des difficultés de concentration, de rédaction ou des moments passés à l’extérieur de la salle pour gérer des douleurs.
Les logiciels informatiques sont aussi diversement acceptés par l’institution. Lâché seul devant une copie, Adrien (1) fait au bas mot 800 fautes, selon ses dires. «Il y a un décalage important entre mon niveau de compétences et mon niveau orthographique», dit ce jeune homme dyslexique. Pour passer le Capeps, le concours permettant de devenir professeur d’EPS, le rectorat lui a refusé correcteur orthographique et logiciel de dictée vocale, au motif que cela ne garantissait pas l’égalité de traitement entre les candidats. «J’ai une parfaite maîtrise de la langue française, je m’exprime correctement. Si on me laisse utiliser [les outils] Antidote et Dragon, on ne voit pas de troubles. Ce sont des logiciels que je vais utiliser toute ma vie et le jour où je passe le concours, on me les enlève», peste-t-il.
Pour certains, les difficultés dans le supérieur ont été telles qu’ils ont fini par abandonner. C’est le cas de Paryss. Les cours, le stage, le mémoire : ce n’était plus gérable pour cette jeune femme atteinte d’un trouble anxieux généralisé et d’un syndrome de fatigue chronique. Au printemps dernier, «ça a été une espèce d’instinct de survie de dire “là, j’arrête”. J’ai complètement craqué mentalement», confie-t-elle. Sasha, étudiant aveugle qui rêvait de devenir journaliste, a raccroché les gants en 2016. La poursuite erratique de ses études l’a mené au burn-out. «Les étudiants handicapés, on finit par faire un truc pas dans notre domaine d’études ou par monter notre boîte», juge celui qui n’a pu reprendre ni formation ni travail depuis.
Manque de moyens
Interrogé par Libération, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche estime qu’«une grande diversité d’aménagements ou d’adaptations existent» et fonctionnent globalement bien, mais a constaté «une insuffisance de connaissance par les étudiants eux-mêmes de leurs droits et des aménagements possibles», reconnaissant que «la communication auprès des jeunes et de leur famille […] peut encore être renforcée». Autre «axe d’amélioration» : «La sensibilisation des équipes pédagogiques, mais aussi de la communauté universitaire au sens large» car «les aménagements sont parfois difficilement mis en place du fait d’une méconnaissance des situations des étudiants et de leurs besoins».
Derrière les dysfonctionnements se pose la question des moyens. Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche alloue chaque année 7,5 millions d’euros aux missions handicap des universités. Une enveloppe qui «n’a pas évolué depuis dix ans» alors que le nombre d’étudiants handicapés ne cesse d’augmenter,pointait la députée LREM Jacqueline Dubois dans un rapport sur l’inclusion des élèves handicapés en juin. L’effort budgétaire revient ainsi à 192 euros par étudiant aujourd’hui, contre 900 une décennie plus tôt. «Les politiques publiques sur l’accompagnement des étudiants en situation de handicap sont le parent pauvre des politiques publiques sur le handicap», juge Xavier Quernin, de la Conférence des grandes écoles, avant de signaler que les établissements du supérieur ont douze ministères de tutelle, qui ne parviennent pas à se coordonner.
«Ce qui nous agace vraiment, ce sont les pseudo-sensibilisations au handicap, qui sont validistes. Proposer un DuoDay [une personne handicapée passe une journée dans une entreprise aux côtés d’un travailleur valide, ndlr] ou un escape game [pour sensibiliser les valides au handicap], c’est complètement débile. C’est comme si on disait “regardez les aliens qui sont en face de vous”. On aimerait bien jouer aux valides, nous aussi, raille Myriam. Arrêtez de mettre autant d’argent là-dedans alors que vous pourriez payer des gens, mettre en place des structures.» Et ainsi rendre les études supérieures réellement accessibles.
(1) Les prénoms ont été modifiés.
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