Josh Cohen Publié le
Nous sommes assaillis d’injonctions à être heureux, en meilleure santé, riches. Comment se fait-il que nous ne puissions nous résoudre à être ordinaires ? Le psychanalyste britannique Josh Cohen, également professeur de théorie littéraire, livre quelques éléments de réponse.
Au début des années 2000, quand je suis devenu maître de conférences à l’université, je donnais un cours sur la littérature américaine du XIXe siècle. Je me passionnais pour cette période, mais je ne pouvais pas en dire autant de mes étudiants. La majorité d’entre eux laissaient tomber Moby Dick ou les essais de Ralph Waldo Emerson au bout de quelques pages, puis se faisaient tout petits dans l’amphi, espérant que je ne les interrogerais pas.
Mais l’un d’eux, Roy, faisait figure d’exception. Il était extrêmement cultivé et il discutait des textes avec ferveur, ce qui suscitait chez ses camarades un mélange de perplexité et d’admiration. À la fin du semestre, la majorité des étudiants m’a remis une dissertation efficace et tout à fait quelconque. Mais deux jours avant la date butoir, Roy a sollicité un délai supplémentaire.
Je lui ai expliqué que c’était impossible à moins de fournir un certificat médical, et qu’il perdrait des points s’il remettait son travail en retard. Je l’ai encouragé à rentrer chez lui et à finir sa dissertation. Il avait déjà démontré qu’il avait des choses très intéressantes à dire.
Il m’a rendu son devoir avec un jour de retard. Et malgré une pénalité de cinq points, sa note restait élevée.
Roy a systématiquement rendu son travail en retard pendant son cursus, ce qui ne l’a pas empêché d’être major de promo avec une avance confortable. L’année suivante, il s’est inscrit au master que je dirigeais. Ses dissertations étaient de plus en plus brillantes et les retards de plus en plus longs. Quand il est venu me voir une semaine avant le rendu de son mémoire, j’ai remarqué une irritation sur son front. Inquiet, je lui ai demandé s’il allait bien. “Tout va bien, a-t-il sèchement répondu. C’est juste que je me frotte le front quand je suis stressé, c’est tout.” J’ai alors remarqué que ses ongles étaient rongés jusqu’au sang.
J’ai orienté Roy vers le service de soutien psychologique.
“Jamais je ne vous aurais infligé ça”
Le délai officiel [pour remettre sa maîtrise], en septembre, est passé, mais le psychologue de Roy l’a aidé à le prolonger jusqu’au mois de janvier suivant. Peu avant Noël, Roy est revenu à mon bureau, l’allure débraillée et l’air hagard. Terminer son mémoire dans les temps serait impossible, m’a-t-il annoncé. Je lui ai demandé s’il avait écrit ce mémoire et il m’a répondu que oui. “Mais je l’ai aussi lu, a-t-il ajouté, et j’ai dû tout supprimer.”
Bouche bée, je lui ai demandé s’il avait conservé une copie. Non, il avait tout mis à la corbeille. “Avec le respect que j’ai pour vous, jamais je ne vous aurais infligé ça”, a-t-il tranché. C’est la dernière fois que j’ai vu Roy. Au cours des dix-huit mois suivants, il a obtenu plusieurs autres sursis en raison de son anxiété. Lorsque la dernière date butoir a été dépassée, il n’a donné ni mémoire ni excuse.
Les leçons d’Hawthorne
Dans le corpus que j’enseignais en licence, il y avait une nouvelle de Nathaniel Hawthorne, La Tache de naissance, parue en 1843. C’est l’analyse la plus glaçante qui soit sur la psychologie du perfectionnisme.
Aylmer, un jeune médecin, est obnubilé par une petite tache de naissance sur la joue de sa jeune et belle épouse, Georgiana. Le fait qu’elle passe si près de la perfection est pour lui intolérable. Pour lui, cette tache de naissance est le “défaut fatal de l’humanité […], le symbole de l’assujettissement de sa femme au péché, à la souffrance, au déclin et à la mort”.
Peu à peu, Georgiana se voit dans le miroir que lui tend le regard de son mari et elle finit par être horrifiée, elle aussi, par la tache. Elle le supplie d’user de son ingénuité pour corriger “l’imperfection laissée par la nature”. Aylmer installe sa femme dans un boudoir à l’arrière de son laboratoire et la soumet à plusieurs concoctions alchimiques. Il distille une mystérieuse potion au goût évoquant “l’eau d’une fontaine céleste”. Georgiana la boit. La tache disparaît, mais Georgiana rend aussitôt l’âme.
Depuis, beaucoup d’hommes et de femmes dans le monde ont été inspirés par ce conte troublant, où un étrange jeune homme se livre à des expériences dans un laboratoire clandestin. Difficile de lire la nouvelle d’Hawthorne et de ne pas penser aux faits divers décrivant des personnes décédées ou défigurées après des interventions de chirurgie esthétique en Turquie ou en République dominicaine. À notre époque, changer les dimensions d’un nez ou d’une poitrine incarne l’espoir, tant convoité mais inaccessible, d’un avenir idéal.
Ce n’est qu’un exemple de fantasme perfectionniste parmi tous ceux qui polluent nos vies consuméristes. La publicité, la télévision et les réseaux sociaux diffusent des images de maisons, vacances et mariages parfaits, suscitant ainsi chez des milliards de personnes des sentiments de jalousie, d’infériorité et de convoitise.
Bienfaits du confinement
Au début du confinement, au printemps 2020, beaucoup de mes patients en analyse m’ont donné l’impression de renoncer aux exigences perfectionnistes qu’ils s’imposaient. Les institutions et les entreprises se sont adaptées au télétravail, et bon nombre de personnes ont vécu une baisse de leur charge de travail, une interruption de la surveillance constante et une occasion de rééquilibrer leurs priorités. Elles se sont adonnées à des plaisirs simples – pâtisserie, balades à pied, lecture, conversations – et voyaient d’un œil optimiste leurs relations avec leur conjoint et leur famille.
J’ai été particulièrement surpris que ces changements soient accompagnés d’une acceptation de soi, ce qui était inhabituel. “J’ai ressenti une certaine jubilation en mettant un point final à ce rapport [que je devais rendre], m’a confié Polly, l’une de mes patientes. Il n’était pourtant vraiment pas terrible.” Alors qu’elle se disait “pathologiquement consciencieuse” lors de notre rencontre, elle prenait maintenant du plaisir à rendre un travail “tout juste passable”. Et d’ajouter :
On va dire que ça compense les milliers d’heures supplémentaires non rémunérées que j’ai effectuées au fil des ans.”
Retour des vieux démons
Les contraintes de la pandémie lui avaient montré tout ce qui lui manquait : le jardinage, le vélo avec son conjoint, les jeux de société avec ses enfants. Mais au bout de six semaines, j’ai senti que cette complaisance inédite s’effaçait et que les vieux démons réapparaissaient, prêts à se venger.
Comme le virus lui-même, le perfectionnisme de Polly s’est adapté aux circonstances précises qui l’avaient neutralisé dans un premier temps. Elle pensait pouvoir échapper à la surveillance et aux remarques de sa supérieure hiérarchique à la maison, mais elle voyait de plus en plus qu’elle était observée sur la messagerie instantanée Slack. Elle avait trouvé une nouvelle forme de compétition dans le télétravail : qui serait le plus productif dans ces conditions d’autant plus difficiles ?
Un pilier de la condition humaine
J’ai remarqué ce mécanisme, sous une forme ou une autre, chez de nombreux patients : plus stricts dans leurs habitudes sportives, plus vigilants avec les devoirs de leurs enfants. Ils sont aussi devenus de plus en plus irritables et exaspérés avec leurs conjoints, leurs collègues et parfois avec moi. Cette humeur n’était pas cantonnée à mon cabinet de consultation, cette impression que le ralentissement n’avait été qu’un sursis et qu’il était temps de se remettre au boulot. Le perfectionnisme a alors fait son grand retour, plus tentant et intraitable que jamais.
Le répit arraché au zèle perfectionniste, suivi de son retour impitoyable, m’a fait penser que le perfectionnisme était peut-être un pilier de la condition humaine. Après tout, la Bible commence par la déchéance de créatures divines, rattrapées par le péché et la mortalité. Cette genèse existe sous une forme ou une autre dans de nombreuses cultures. De ce point de vue, la religion est un projet extravagant qui vise à reconquérir notre perfection perdue, du moins dans le monothéisme.
N’est parfait que Dieu
Mais la religion a aussi un objectif contraire ou peut-être complémentaire. Pendant des siècles, c’était avant tout par ce moyen que l’être humain se faisait à l’idée d’être déchu et imparfait. Le perfectionnement moral et spirituel par la religion va de pair avec le sombre constat que la perfection est le seul apanage de Dieu. Quand les mortels, dans la Bible ou la mythologie, tentent de se faire passer pour divins – notamment les architectes de Babel ou Prométhée –, les châtiments sont sévères. Dans l’imaginaire religieux, la notion de perfection humaine est blasphématoire.
Le carcan de la religion s’est desserré avec l’avènement de la société industrielle. Nietzsche a observé que si l’époque moderne laïque avait tué Dieu, les humains ne pouvaient vivre sans lui. Et ils l’ont remplacé par toutes sortes de nouveaux dieux : la culture, la science, le commerce, l’État, l’ego.
La défense provocatrice de la “confiance en soi” par Emerson en 1841 [selon le titre d’un des plus célèbres essais du philosophe, disponible en français aux éditions Rivages], l’apparition du développement personnel dans les années 1930, puis l’émergence de la culture du selfie montrent que notre individualité est considérée comme notre valeur suprême et l’objet de nos efforts.
Dans un article de 2017 [publié dans le Psychological Bulletin, une revue universitaire américaine], deux psychologues britanniques, Thomas Curran et Andrew Hill, ont attribué la hausse exponentielle du perfectionnisme chez la jeune génération aux “paramètres socio-économiques de plus en plus éprouvants” au sein desquels elle peine à vivre. Les chercheurs citaient aussi “des méthodes parentales de plus en plus anxieuses et autoritaires”. Le marché du travail saturé, notamment dans les secteurs tertiaires, très demandés, ainsi que le coût élevé du logement, pousse les jeunes et leurs parents à en faire toujours plus pour tirer leur épingle du jeu. C’est ainsi que commencent les stages non rémunérés, les formations complémentaires ou d’autres formes de boulots en plus.
La tyrannie du mérite
En associant la hausse de l’anxiété perfectionniste à l’atmosphère de précarité et de concurrence créée par l’économie de marché, ces psychologues ont anticipé une critique de la méritocratie présentée par Michael Sandel, un philosophe américain. Dans La Tyrannie du mérite [éd. Albin Michel, 2021], il fait valoir que le capitalisme méritocratique a créé un état permanent de compétition au sein de la société, ce qui sape la solidarité et la notion de “bien commun”. Ce système entretient un fossé entre gagnants et perdants, il alimente “l’arrogance et l’autocongratulation” chez les premiers et un mal-être chronique chez les seconds.
Dans cet environnement, les jeunes ont toutes les chances de n’être satisfaits ni de ce qu’ils ont ni de ce qu’ils sont. Les réseaux sociaux imposent une pression supplémentaire, celle d’élaborer une image publique parfaite, exacerbant ainsi notre sentiment d’infériorité.
Le poids des attentes sociales n’a rien de nouveau, mais il est devenu particulièrement éreintant ces dernières décennies, peut-être parce que les attentes elles-mêmes sont nombreuses et contradictoires. Le perfectionnisme des années 1950 était ancré dans les normes de la culture de masse et incarné par les célèbres publicités montrant la famille idéale, blanche et américaine – des images qui semblent aujourd’hui une caricature d’elles-mêmes.
Le perfectionnisme se mesure
À cette époque, le perfectionnisme revenait à se fondre dans des valeurs, des comportements et une certaine apparence : pour les hommes, une absolue confiance en eux, pour les femmes, une grâce discrète. Le perfectionniste devait ressembler à tous les autres, mais il devait se fondre plus que tout dans la masse. Le perfectionniste d’aujourd’hui, au contraire, se sent obligé de se démarquer grâce à un style et un esprit bien à lui s’il veut se faire une place au sein de l’économie de l’attention.
En 1990, Randy Frost, un psychologue américain, a rédigé un ensemble de trente-cinq questions conçues pour mesurer le perfectionnisme. Son “échelle multidimensionnelle du perfectionnisme” proposait trois grandes catégories.
“Autocentré” ou “imposé” ?
La première est appelée “perfectionnisme autocentré”, une rengaine lancinante qui rabâche qu’il nous faut mieux faire. Elle nourrit une obligation très motivante, mais in fine épuisante, celle de devenir une version idéalisée de soi-même : plus heureux, plus sportif, plus riche (les adjectifs comparatifs sont fréquents sur les jaquettes des livres de développement personnel). Dans mon cabinet, je vois souvent des patients qui se réprimandent parce qu’ils ont mangé un croissant ou qu’ils regardent à la chaîne des séries policières, au lieu de travailler sur un exposé ou de relire le devoir d’histoire de leur enfant.
La deuxième catégorie est le “perfectionnisme imposé”, qui nous pousse à vivre selon les attentes d’autrui. Ça se manifeste souvent par des critiques imaginées, comme un dialogue intérieur nous intimant ce que nous devons être et devons faire. Une voix narquoise dénigre nos manières peu élégantes, nos vêtements laids ou nos sujets ennuyeux de conversation.
La troisième catégorie est le “perfectionnisme extracentré”, où cette voix tyrannique s’adresse aux autres pour exiger qu’ils se conforment à nos idéaux inaccessibles. Elle est le plus néfaste quand elle est brandie comme instrument de pouvoir : c’est le parent qui demande à son enfant pourquoi il n’a pas eu davantage de 18/20, c’est le patron qui ne voit pas pourquoi son salarié ne peut pas travailler avec une grippe. Cette forme de perfectionnisme correspond presque toujours à une projection, et, sous le voile des critiques autoritaires, elle trouve chez l’autre des échecs et des déceptions que l’on ne supporte pas de voir en soi.
Une pente glissante
Ces définitions sont intéressantes, mais dès que nous sommes face à de vraies personnes, les distinctions sont difficiles à établir. L’impératif d’être plus mince ou plus intelligent est souvent nourri par une cacophonie de voix intérieures et extérieures. On voit bien en quoi l’autocritique peut finir par se transformer en critique des autres.
Le perfectionnisme est une pente glissante. Sur le plan clinique, l’éventail de symptômes est étourdissant : dépression et anxiété, troubles obsessionnels, narcissisme “à fleur de peau” (où celui qui projette de la grandeur dissimule une immense fragilité), maladies psychosomatiques, pensées suicidaires, dysmorphophobie et troubles du comportement alimentaire. Le perfectionnisme sait se métamorphoser à l’infini et s’adapter aux différents caractères et vulnérabilités. C’est peut-être pour cette raison, d’ailleurs, qu’il n’a jamais été classé comme trouble mental à part entière.
Il n’y a pas de bons parents
On peut aussi en déduire que des enfances très variées peuvent donner lieu par la suite à des adultes perfectionnistes. Thomas Curran et Andrew Hill ont raison de noter que les parents surprotecteurs – ceux qui surveillent sans relâche les activités scolaires et extrascolaires de leurs enfants – contribuent à une hausse du perfectionnisme. Mais d’après mon expérience, des façons très différentes d’élever ses enfants peuvent aboutir à ce résultat.
Les parents détachés qui conservent une distance respectueuse vis-à-vis de la vie de leur enfant peuvent susciter chez lui un désir de reconnaissance à laquelle ils ne parviendront que par l’accumulation perpétuelle d’accomplissements. L’enfant qui a l’impression qu’il ne pourra jamais gagner, que ses meilleurs efforts au rugby ou aux échecs ou en danse n’attireront rien d’autre que les critiques tatillonnes de son parent, souffrira aussi de la tentation permanente de faire mieux.
Malgré tout, l’enfant dont les parents lui assurent que le moindre gribouillis ou bon point est une réussite incroyable risque aussi de se sentir constamment obligé d’être à la hauteur de ses plus jeunes années. Quelle que soit la façon d’aborder son rôle, le parent risque d’attiser le besoin de plaire de l’enfant, et de créer sur le long terme une difficulté à distinguer ses désirs des aspirations parentales.
Si cela semble une formule pour tout reprocher aux parents, ce que beaucoup voient comme l’essence de la psychanalyse, c’est aussi une façon bienveillante de reconnaître toute la difficulté d’être parent. Le juste équilibre entre être trop présent et pas assez est incroyablement difficile à trouver.
Sentiment de frustration
Certains psychologues avancent que le perfectionnisme n’a pas à être qualifié de pathologie. En 1978, D. E. Hamachek, un psychologue américain, a établi une distinction entre perfectionnisme normal et névrotique. Dans le premier cas de figure, la personne peut se fixer des objectifs ambitieux sans sombrer dans l’autocritique punitive. Elle peut même prendre plaisir à s’améliorer.
Par la suite, d’autres chercheurs ont contesté la distinction de Hamachek, car le désir d’être parfait n’est selon eux jamais “normal”. Tendre vers quelque chose de foncièrement impossible ne peut aboutir qu’à des impressions de frustration et d’insuffisance. Mon travail avec des perfectionnistes me pousse à tirer des conclusions comparables. Pourtant, même si le perfectionnisme érode notre confiance en nous, rares sont ceux parmi nous qui renonceraient à l’ambition de progresser et de s’épanouir.
Le deuil du moi idéal
Comment protéger cette aspiration du zèle perfectionniste chronique ? Il n’y a pas de réponse évidente. Quelque chose dans la condition humaine nous empêche de penser que nous en avons fait assez ou que nous sommes suffisants. Nous refusons de renoncer à l’espoir qu’un jour nous serons considérés comme exceptionnels : l’être parfait que nos parents plaçaient autrefois sur un piédestal.
Serge Leclaire, un psychanalyste français [1924-1994], a émis l’hypothèse intrigante selon laquelle la vie consiste à tuer métaphoriquement cet enfant merveilleux. Nous devons continuellement renoncer au fantasme d’un moi idéal et faire le deuil de cette impossibilité.
Cette idée me rappelle toujours un de mes premiers patients, une femme dans la vingtaine dont la mère venait de mourir d’une longue maladie. Ses parents avaient divorcé quand elle avait 2 ou 3 ans, son père s’était remarié et vivait à l’étranger avec sa seconde famille. Lydia était tourmentée par son apparence et publiait compulsivement des selfies, elle surveillait le nombre de “J’aime” et elle examinait au miroir grossissant sa peau, sa dentition et sa silhouette pour identifier des défauts.
Pendant l’enfance et l’adolescence de Lydia, sa mère s’était consacrée à sa vie professionnelle et avait délégué ses tâches de parent à une série de jeunes filles au pair. Lydia n’arrivait pas à ce que sa mère s’intéresse à son quotidien et à lui parler de ses difficultés avec les devoirs, les amis et les garçons. La seule chose qui lui permettait à coup sûr d’attirer son attention, c’était la mode et le maquillage – de nouveaux looks, des manucures et du shopping en ligne. Elle se rappelle que sa mère l’observait avec amour quand elle appliquait du mascara ou qu’elle brossait ses cheveux, et la complimentait sur sa beauté, lui disait que tout homme serait chanceux d’être avec elle un jour.
Quête de la perfection physique
“Et dans ces moments-là, j’essayais de lui parler d’un problème avec un prof ou un ami, et je voyais à son visage qu’elle décrochait complètement, comme si c’était au-dessus de ses forces.” Lydia a géré cette situation en devenant férocement indépendante. Mais quand sa mère est décédée, elle s’est retrouvée consumée par une quête de la perfection physique.
J’ai émis l’hypothèse qu’elle se sentait obligée de redevenir l’enfant adorable qu’elle avait vu dans le regard de sa mère quand elles se maquillaient ensemble. Lydia y a réagi par une effusion de colère et d’exaspération – des émotions réprimées depuis longtemps. “Si je lui avais hurlé dessus quand elle était en vie, elle s’en serait à peine aperçue, a-t-elle confié en pleurant amèrement.
Et maintenant, plus jamais elle ne m’entendra.”
Une attitude foncièrement puérile
La fureur de Lydia était une forme de chagrin qui s’exprimait en décalé ; elle pleurait non seulement sa mère disparue, mais aussi l’enfant parfaite qu’elle avait eu l’impression d’être quand elle réussissait à avoir l’attention de sa mère. Faire le deuil de cette enfant lui a permis de se sevrer de ses comportements obsessifs d’auto-examen.
Peu de temps après avoir arrêté de publier des selfies, Lydia est venue me voir un jour avec le sourire aux lèvres. “En partant de chez moi, j’ai croisé mon regard dans le miroir, a-t-elle expliqué, et je me suis dit que j’étais plutôt belle !” Elle riait maintenant de bon cœur.
Mais je n’ai rien d’une top modèle. Et plus curieusement encore, je n’ai aucune envie de l’être.”
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