par Marie Piquemal publié le 15 novembre 2021
Ancien enfant placé, Lyes Louffok avait raconté son histoire dans un livre intitulé Dans l’enfer des foyers (Flammarion, 2014), qui vient d’être adapté en fiction télévisée, l’Enfant de personne (1). Toujours avec ce même objectif : qu’enfin, les choses changent.
Vous avez fait partie de ceux que l’administration appelle les enfants «incasables», dont elle ne sait que faire. Comment l’avez-vous ressenti ?
Une «patate chaude», comme ils disent. De ceux dont personne ne veut. J’ai été placé le lendemain de ma naissance. Ma mère souffre d’une maladie mentale, elle ne pouvait pas me garder. Je suis resté en pouponnière jusqu’à 18 mois, puis dans une famille d’accueil. Je m’y suis attaché, je les ai vite identifiés comme mes parents. J’avais 4 ans et demi quand ça s’est arrêté. Le couple voulait vivre dans le Sud, près de leurs enfants installés à Toulouse. Ils ont demandé à me prendre avec eux, ils étaient même prêts à m’adopter. Mais les cadres de l’aide sociale à l’enfance (ASE) ont refusé : ils voulaient que je reste près de ma mère biologique au cas où il soit un jour possible de créer un lien avec elle… J’ai été déplacé ailleurs. Je m’en souviens parfaitement, je pourrais décrire la pièce dans laquelle j’étais enfermé. Il n’y avait pas de matelas, je dormais sur un morceau de polystyrène. Je restais là toute la journée, sans être scolarisé. Je faisais mes besoins dessus, je finissais sous la douche glacée, avec des fessées. Deux ans de calvaire. On m’a déplacé ensuite dans une autre famille. La dame a essayé de m’apprivoiser, mais j’étais déjà déglingué. Je n’avais plus confiance, j’étais devenu turbulent, agressif. Ils m’ont collé sous valium [un anxiolytique, ndlr] à 8 ans, je ne reconnaissais plus mon corps.
Vous avez aussi vécu les humiliations en foyer ?
J’ai découvert les foyers à 10 ans, et la violence institutionnelle qu’il peut y avoir. Parce que les professionnels ne sont pas armés, ils deviennent maltraitants. Des rapports de domination se mettent en place. Ces humiliations, quand les gamins te pissent dessus la première nuit dans un foyer. Quand un jeune te viole, que tu te confies aux éducateurs, mais rien ne se passe. Je l’ai vécu. Tout cela a des conséquences. Tu as deux solutions. Soit tu te tues – je pense à Cyndie qui s’est pendue. A tous les autres. Soit tu deviens violent et agressif. J’ai choisi cette deuxième option. Pour l’administration, je suis devenu l’élément problématique qu’il faut dégager. Un jour, j’ai été envoyé dans une ferme dans le Calvados. J’avais nourri une telle colère qu’un jour, j’ai menacé le fermier avec un couteau.
Certains enfants dits difficiles se retrouvent à l’hôtel…
Oui. Je ne l’ai pas connu, mais c’est une réalité : des gamins vivent seuls, dans des chambres d’hôtels, et cela provoque des choses atroces. Nour, qui s’est jeté dans la Seine de désespoir. Ou ces autres, qui ont fait une overdose. Combien de temps va-t-on accepter ça ? Si les gens ne se mobilisent pas par humanisme, alors au moins qu’ils le fassent par intérêt financier. On jette des millions d’euros d’argent public par la fenêtre.
La nomination d’un secrétaire d’Etat dédié, en janvier 2019, était pourtant la marque de la volonté de ce gouvernement de «restructurer profondément» la protection de l’enfance, non ?
Rien n’a changé. Le gouvernement se félicite de son enveloppe de 600 millions d’euros, mais c’est toute la politique publique qu’il faut repenser ! D’entendre des responsables politiques dire, «ces enfants-là mettent en échec le système», ça me rend fou. C’est le système qui broie les gamins, et non l’inverse. Il faut un contrôleur, qui veille sur les conditions de prise en charge dans les structures. Un avocat pour chaque enfant, pour faire valoir ses droits devant le juge. Avec la crise sanitaire et sociale, de plus en plus d’enfants sont en attente d’être placés. Tout le système est embolisé, les éducateurs craquent de partout. C’est en train de nous péter à la gueule et personne ne bouge.
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