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lundi 15 novembre 2021

Aux urgences du Mans, tenir bon malgré la désertification médicale


 



Par    Publié le 14 novembre 2021


REPORTAGE  Alors que les quatre services d’urgence autour de la capitale de la Sarthe sont sous forte tension, le fragile équilibre habituel est bousculé en cette rentrée post-Covid, avec notamment des chiffres de fréquentation en augmentation.

« Je vais vous installer dans un lit, monsieur », répète une infirmière, avec le ton ferme mais bienveillant du soignant. Derrière le rideau, un vieil homme va être transféré du brancard sur lequel il est allongé vers un lit, porté par plusieurs personnels de santé. Soit un support plus confortable. Au centre hospitalier du Mans, dans la « salle de transit » des urgences, destinée aux patients en attente de résultats ou d’une hospitalisation dans les étages, on reste parfois plus longtemps que prévu. Plus encore peut-être ces dernières semaines, alors que l’activité du service explose, mais que le nombre de places dans l’hôpital, lui, ne bouge pas. « Cette nuit, plusieurs personnes ont dû dormir là… ce n’est pas idéal pour l’intimité et la surveillance », reconnaîtl’urgentiste Clara Gobert, derrière laquelle une dizaine de patients sont installés, allongés ou assis, aux quatre coins de la pièce, ce lundi 8 novembre.

Il y a quelques jours à peine, le service a franchi son record de fréquentation, avec 229 passages en vingt-quatre heures, contre 166 en moyenne avant la crise du Covid-19. Après un été tendu dans ces services qui souffrent d’une forte pénurie de médecins, la rentrée a été tout sauf normale, malgré l’accalmie sur le front du Covid. « La reprise a été pire que l’été et ça, ce n’est pas habituel, résume l’urgentiste Jöel Pannetier, référent médical des projets territoriaux du groupement hospitalier du territoire de la Sarthe. L’activité ne fait que monter»

Dans les couloirs du service des urgences du centre hospitalier du Mans, le 8 novembre 2021.

Pour le médecin, il y a un effet « post-Covid », avec ces malades chroniques qui atterrissent aux urgences après des retards de prise en charge, mais l’explication est ailleurs : les quatre services d’urgences des alentours se trouvent dans le rouge. Au Bailleul, on ferme désormais quasiment toutes les nuits, à La Ferté-Bernard, de temps en temps la nuit et jusqu’à vingt-quatre heures parfois, de même qu’à Saint-Calais et à Château-du Loir. Du jamais-vu dans ce territoire sarthois où les difficultés ne sont pourtant pas nouvelles, avec une désertification médicale qui va de l’hôpital aux médecins généralistes – 60 000 habitants n’ont pas de médecin traitant – jusqu’aux spécialistes.

Mais quelques départs d’urgentistes ici et là dans ces services qui comptent une quarantaine de postes vacants sur 80, contre 30 avant la crise, et un marché de l’intérim médical toujours plus rude, ont suffi à bousculer le fragile équilibre maintenu jusqu’ici. Une tension qui touche de nombreux territoires du pays, à entendre les représentants des urgentistes, avec des fermetures qui se multiplient depuis la rentrée dans ces services, dont la promesse est pourtant d’être ouverts « vingt-quatre heures sur vingt-quatre ». Il suffit de regarder un peu plus loin, en Mayenne, au centre hospitalier de Laval, pour voir les urgences fermer de manière inédite plusieurs nuits par semaine depuis la rentrée.

Aux urgences du centre hospitalier du Mans, certains patients examinés par les urgentistes attendent plusieurs heures que des lits se libèrent dans les services où ils doivent être hospitalisés. Ici, le 8 novembre 2021.

Mécanique bien rodée

Installé derrière son bureau au Mans, le docteur Pannetier imprime ce qu’il surnomme le « tableau de la pénurie » du jour. Selon le nombre de médecins présents dans chacun des quatre autres services sarthois, l’activité est calibrée de « normale » à « adaptée », faisant varier le type de patients pouvant être accueillis, en allant jusqu’à la fermeture. « On en arrive à des choses qu’on n’aurait pas pensé faire un jour », dit-il en souriant, avant de traverser la salle de régulation du SAMU, où le nombre des appels s’élève désormais à près d’un millier par jour, soit 200 de plus qu’avant la crise. Cette organisation graduée permet de garder au maximum les services ouverts, quand bien même tous les médecins nécessaires ne sont pas là : « On est un laboratoire d’idées, on n’a pas le choix ! »

Chargé des patients les plus graves pour l’après-midi, le docteur Gobert, aux traits légèrement tirés, slalome dans le couloir entre les brancards le long des murs. « On avait l’impression qu’on allait pouvoir souffler un peu à la rentrée, mais ce n’est pas le casc’est vrai que ça pèse sur le moral,avoue la jeune femme, qui débute sa semaine avec pas moins de soixante heures en perspective. Heureusement, on est une équipe soudée, mais ça ne va pas être jouable à ce rythme trop longtemps. » Cent trente-deux passages s’affichent au compteur dans le service, à 15 h 30.

Depuis le poste de soins centre hospitalier du Mans, l'équipe médicale coordonne le suivi simultané d'une trentaine de patients. A 15h30, le 8 novembre 2021, le service comptabilise déjà 132 passages.

Malgré l’affluence, l’atmosphère est calme, dans une mécanique bien rodée qui part de l’accueil et du tri à l’entrée, pour déterminer le niveau de gravité de chacun, jusqu’aux secteurs d’attente pour les patients « couchés », les chaises pour les « valides », les box et les chambres.

« On a battu des records de fréquentation, mais pas du temps d’attente », soutient le chef du service, Lionel Imsaad, qui sort de réunion et va poursuivre dans quelques heures avec sa nuit de garde. « Les gardes sont plus denses », reconnaît l’homme de 38 ans, qui se veut « optimiste », loin de tout « discours misérabiliste ». A l’heure où il parle, la durée d’attente des patients – après le tri de gravité effectué à l’entrée par une infirmière – reste inférieure à trois heures.

Problématique des déserts médicaux

Le service tient le coup, mais cela a un prix : l’équipe médicale, qui compte neuf postes vacants sur 40 – soit le même chiffre qu’avant la crise sanitaire –, a cumulé six mille heures supplémentaires, alors que l’année n’est pas terminée. Mille de plus que sur la totalité de l’année 2019. « Forcément, c’est difficile », reconnaît Lionel Imsaad. La moyenne d’âge des praticiens est de 33 ans : « Les gens se crament vite aux urgences », dit celui qui a la chance de « bien dormir ». En novembre, la voilure a dû être réduite, malgré la fréquentation en hausse, pour préserver la ressource médicale : le nombre de médecins est repassé de six à cinq sur la journée.

Difficile de ne pas voir une forme d’absurdité à accueillir toujours plus de patients au Mans, dans un service de plus en plus sous-dimensionné, alors qu’ils pourraient être accueillis dans de meilleures conditions dans les centres périphériques, comme le veut l’éternel problème des « déserts médicaux » dont la charge se reporte à proximité. D’ores et déjà, les urgentistes tentent le plus possible d’organiser le renvoi des patients qui ont besoin d’être hospitalisés dans l’établissement à côté de chez eux, après leur passage aux urgences du Mans. Un projet d’équipe « territoriale » est en préparation, avec des médecins qui pourraient effectuer une partie de leur service dans les autres hôpitaux en souffrance.

Le docteur Lionel Imsaad, médecin urgentiste et chef du service des urgences du centre hospitalier du Mans, le 8 novembre 2021.

Pendant qu’il déambule dans l’ancien secteur « Covid », le docteur Imsaad l’assure : lui est ses collègues tentent de « tirer toutes les ficelles ». Il montre aussi cette nouvelle« zone » créée en novembre pour les patients les plus âgés, en collaboration avec les gériatres et les pharmaciens. Un système de « fast pass » pour une population dont la« mortalité peut être corrélée au temps passé dans le couloir ». « L’urgence vitale, les patients les plus graves, ça ne nous pose pas de problème », pointe-t-il, c’est tout le reste qui peut rendre le quotidien de l’urgentiste, confronté à son impuissance, insupportable.

« Plan blanc » en psychiatrie

Deux semaines plus tôt, l’hôpital psychiatrique de la Sarthe est passé en « plan blanc », synonyme de grande tension. « Quand on voit des patients qui attendent chez nous une place en psychiatrie pendant un jour, deux jours… cinq jours ! C’est là où il y a une perte de sens pour un soignant, parce qu’on a fait notre boulot aux urgences, mais là, on ne sait plus faire », poursuit le docteur Imsaad. Cette problématique des « lits d’aval » pour placer les patients est récurrente aux urgences. « On est le service qui met en lumière tous les dysfonctionnements, là où ça se cristallise. »

Du côté des soignants, plus que de la cadence, on parle d’abord de cette « charge mentale »« Le service est toujours densément rempli. Pour nous, c’est un peu la même chose, qu’il y ait 10 ou 40 patients en salle d’attente, résume Aurélien, infirmier de 34 ans. La différence, c’est l’atmosphère de travail, plus anxiogène parce que les gens attendent, c’est aussi passer sa journée à s’excuser, et rentrer parfois chez soi le soir en se disant qu’on a fait de la merde parce que l’outil hospitalier ne nous donne pas les moyens de faire notre travail. »

Il est 17 h 30, l’heure du second pic d’arrivées de patients de la journée. Une nouveauté, depuis que les autres services sarthois ferment la nuit.


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