Publié le 14 novembre 2021
CHRONIQUE
Notre activité sexuelle est essentiellement nocturne. Et pourtant, faire l’amour le soir relève de l’auto-sabotage, estime Maïa Mazaurette, chroniqueuse de « La Matinale », qui pointe les facteurs biologiques et culturels à l’œuvre.
Existe-t-il une horloge du sexe ? La réponse tombe sous le sens : de même qu’on n’a pas toujours le même niveau d’énergie ou de concentration, de même qu’on mange ou dort à certaines heures, notre activité sexuelle dépend du moment de la journée, du jour de la semaine, de variations saisonnières et bien sûr, de l’âge du capitaine.
S’il existe une chrononutrition, faudrait-il inventer un chronoérotisme ? Ce serait une piste, à condition de ne pas confondre ce projet avec la chronosexualité (sont chronosexuelles les personnes dont les attirances changent selon l’heure ou la situation) ou avec la chronophilie (sont chronophiles les personnes attirées par une tranche d’âge spécifique).
Du côté de l’activité sexuelle pure et dure, les choses sont claires : nos galipettes sont essentiellement nocturnes. En combinant les différentes études réalisées sur la question, on obtient une tranche horaire allant de 21 heures à 1 heure du matin, complétée par un petit « rebond » matinal vers 8 heures.
Même bilan du côté des plaisirs solitaires : 68 % des masturbations ont lieu le soir, 16 % le matin, 16 % l’après-midi, selon l’enquête Tenga 2017. Sans surprise, c’est également en soirée que nous regardons le plus de films porno (Pornhub Insights, 2019).
Faut-il en déduire que nous sommes toutes et tous, sexuellement, des créatures de la nuit ? N’allons pas trop vite en besogne. Car selon les personnes sondées, le temps consacré à la sexualité correspond moins à une fulgurante pulsion érotique qu’à des éléments matériels (concrètement, a-t-on accès au partenaire et à un lit douillet, sans parler d’un sextoy décemment chargé). On fait l’amour quand on peut, pas forcément quand on veut.
Jouir d’un moment d’égoïsme absolu
Même logique dans le champ de la séduction : si les oiseaux de nuit ramènent plus de partenaires sexuels que les personnes matinales, ce n’est pas seulement pour des raisons d’énergie ou de disponibilité individuelle, c’est aussi parce que culturellement, c’est le soir que nous sommes amenés à faire des rencontres. En somme : on n’a pas le choix... Et si ce choix nous était rendu (comme pendant les vacances), il y a fort à parier que la tranche horaire réservée au sexe changerait complètement.
Car admettons-le : pratiquer des galipettes en fin de journée relève de l’auto-sabotage. Chez les hommes, c’est bien simple, on est hormonalement au fond du gouffre (si vous cherchez votre testostérone autour de 20 heures, je vous informe qu’elle prend l’apéro au bar du coin et qu’elle ne reviendra que pendant la nuit). Chez les femmes, on sort traditionnellement du tunnel de la double journée : tout relent libidinal ayant survécu à la vaisselle et aux couches sera balayé par le ressentiment (j’en profite pour rappeller que le partage des tâches est corrélé à une plus grande satisfaction sexuelle).
Les autres obstacles sont communs aux hommes et aux femmes : épuisés par la journée de travail (ou de jardinage), ankylosés par la digestion, nous n’aspirons qu’à jouir d’un moment d’égoïsme absolu. De préférence en pyjama et chaussons. Cette phase de « redescente » nous pousse vers des activités simples : pas parce que nous sommes stupides, mais parce que nous avons besoin de préparer notre sommeil. La sexualité nous oblige à nous engager à un moment où il faudrait se désengager. Dans des conditions pareilles, inutile d’avoir validé son doctorat en sexologie pour deviner que les orgasmes éblouissants seront rarement au rendez-vous. On peut se laisser tenter par du sexe mécanique et expéditif, bien entendu. Mais sur le long terme, on va finir par associer la sexualité à une corvée consécutive à d’autres corvées – et ça, franchement, c’est un mauvais service à rendre à son couple.
Si ce n’est le soir, alors quand ? Eh bien, ça dépend. Si nous bornions la question aux variables hormonales, il faudrait pour les hommes se mettre immédiatement à la tâche (je présume que vous êtes disciplinés et que vous lisez La Matinale, comme son nom le suggère, le matin). En effet, les hommes connaissent leur pic de testostérone vers 8 heures, et plus on avance dans la journée, plus ce taux baisse (vous pouvez lire l’article très complet du New York Times sur la question). Chez les femmes, les hormones varient selon deux cycles : menstruel et quotidien (si vous voulez vous plonger dans les graphiques, ils sont ici). Difficile donc d’établir « une » heure du pic hormonal... en revanche, on sait que les femmes matinales sont plus satisfaites que les femmes « du soir ».
Le soir, nous devenons une autre personne
Cependant, les rythmes circadiens ont également leur rôle à jouer – or ils connaissent de très amples variations individuelles. Selon une étude de l’université de Varsoviepubliée en 2018, les hommes matinaux préfèrent le sexe le matin (à 50 %), tandis que les couche-tard préfèrent le sexe après 21 heures (à 70 %). Cette démarcation est moins prononcée chez les femmes, qui ont de toute manière tendance à être « du soir ».
Cela, bien sûr, pose la question de la synchronicité : que faire quand notre tempo n’est pas le même que celui du conjoint ? Selon l’université de Varsovie, les couples désynchronisés ne font pas moins l’amour, mais leur satisfaction trinque. En cas de conflit, le problème se règle généralement en faveur des femmes. Donc avec des rapports le soir. Donc hormonalement, au pire moment pour les hommes. (Suis-je en train de suggérer que les hommes et les femmes sont incompatibles ? Je vous laisse tirer vos propres conclusions, et discuter de qui gardera le chat après la rupture.)
Nous avons parlé des hormones, nous nous sommes plongés dans les cycles circadiens, n’oublions cependant pas un troisième facteur : la culture. L’érotisme a su tirer parti de l’obscurité : elle nous anonymise, cache nos (éventuels) petits défauts, invite dans un monde interlope. Le soir, nous devenons une autre personne – moins raisonnable, souvent encline aux prises de risque. Le rôle social s’effrite, quelque chose de sauvage peut enfin s’exprimer… A condition, bien entendu, qu’on soit capable de résister à l’épuisement.
En résumé, quand devriez-vous faire l’amour ? Le matin pour les matinaux, le soir pour les vespéraux. Le matin pour les hommes, le soir pour les femmes. Le matin pour l’élan physique et la disponibilité, le soir pour des raisons matérielles et culturelles. C’est dans ce sac de nœuds que s’épanouit votre liberté : faire l’amour tout le temps ou jamais, deux fois par jour ou deux fois par an. En s’écoutant avant toute chose – puisque franchement, les moyennes statistiques ne seront jamais que des indicateurs abstraits.
Si vous n’arrivez pas à mettre le sexe dans votre planning(comme je vous y encourageais en 2019), vous pouvez quand même améliorer votre tempo sexuel. Tout d’abord en apprenant à vous écouter. N’hésitez pas à remettre en question les codes sociaux, qui imposent à nombre d’entre nous un rythme qui ne leur correspond pas. Ensuite en profitant des week-ends et jour de repos. Enfin, en communiquant avec votre partenaire sur cette question de la synchronicité ; parfois, les problèmes de couple sont simplement des problèmes d’organisation. Ça vaut le coup de remettre les pendules à l’heure !
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