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vendredi 19 novembre 2021

« J’ai peur d’y retourner » : le sombre quotidien des élèves victimes de harcèlement scolaire


 



Par   Publié le 17 novembre 2021

En France, un enfant sur dix serait concerné par des violences verbales ou physiques dans le cadre scolaire. A l’occasion de la journée de lutte contre le harcèlement scolaire, des victimes et leurs parents racontent leur histoire au « Monde ».

Anissa a 12 ans. Pour cette collégienne de Seine-et-Marne, qui ne souhaite pas donner son nom – comme les autres adolescents interrogés – la rentrée en 5e ne s’est pas déroulée comme prévu. Cette adolescente qui se décrit comme « forte » est victime d’insultes sur son poids « depuis la maternelle ». Mais depuis la 6e, où elle est arrivée « très intimidée », la situation s’aggrave.

Anissa se fait régulièrement traiter de « grosse vache », jusqu’au jour où plusieurs élèves, dont certains qu’elle ne connaît pas, la prennent à partie à l’extérieur de l’établissement pour la frapper, en filmant l’agression. Sa famille dépose plainte, un camarade est exclu huit jours, deux autres trois jours. Un harcèlement « avéré »et « pris en compte comme tel », assure le rectorat de Créteil. « Quand ils sont revenus, ils se sont moqués de moi », se souvient néanmoins la jeune fille.

Il y a quelques semaines, à la veille des vacances de la Toussaint, Anissa tombe dans l’escalier du collège. Elle dit avoir été poussée par une camarade, qui ne faisait pas partie de ses harceleurs « habituels ». Elle a une fracture à la cheville gauche, une plaie sur la jambe droite, et plusieurs semaines d’arrêt. « J’ai peur d’y retourner », confie-t-elle, alors que son médecin a prolongé son absence jusqu’au retour des vacances de Noël et qu’une « continuité pédagogique » est mise en place à la maison. « J’ai peur de recroiser cette fille, je ne sais pas comment vous dire… ça va me rendre encore plus triste. » Contacté par Le Monde, le rectorat assure ne pas détenir de preuve que le geste qui a entraîné sa chute était « intentionnel », même s’il indique accorder de l’importance au « ressenti » d’Anissa.

« Sale pute », « grosse vache », « tu pues », « va te suicider ». Ces insultes, certains adolescents les entendent chaque jour, parfois depuis des années. Elles constituent le quotidien du harcèlement scolaire et sont parfois assorties de coups, de brimades, de vol ou de racket, voire d’agressions sexuelles. En France, l’éducation nationale estime qu’un élève sur dix est touché par ce fléau. « Difficultés scolaires, absentéisme, voire déscolarisation, mal-être, angoisse, voire dépression, pouvant aller jusqu’au suicide, l’actualité nous rappelle régulièrement les effets dramatiques de ce phénomène », écrit la Défenseure des droits, Claire Hédon, dans un rapport sur la santé mentale des enfants publié mercredi 17 novembre. A l’occasion de la Journée nationale de lutte contre le harcèlement à l’école du 18 novembre, Le Monde donne la parole à des victimes et à leurs parents.

Alors qu’une proposition de loi créant un « délit de harcèlement scolaire » va être étudiée début décembre à l’Assemblée nationale, les adolescents qui subissent ces situations décrivent tous le même engrenage : ils sont ciblés d’abord par une seule personne, puis plusieurs, puis parfois toute la classe. Ils alertent les adultes, qui tentent des médiations, souvent sans succès. Ils se replient, enfermés dans un statut de victime qui pousse à une hypervigilance parfois jugée comme un excès de sensibilité. Jusqu’à ce que l’on vienne dire à l’enfant, avec une pointe d’agacement, qu’il est décidément « trop sensible », incapable « d’aller vers les autres », voire « parano ». En allant, parfois, jusqu’à lui conseiller de changer d’établissement.

Caractère aléatoire

Le harcèlement scolaire concerne des enfants de tous âges – même si sa prévalence est beaucoup plus forte au collège qu’à l’école et au lycée – et de tous milieux. Le poids, le prénom, les centres d’intérêt, la situation familiale sont autant de prétextes, qui, mis bout à bout, soulignent le caractère aléatoire du phénomène, qui peut tomber sur n’importe qui, n’importe quand.

Lola, une collégienne de 14 ans qui ne se rend plus en cours depuis plusieurs semaines, assure qu’elle ne « sait pas » pourquoi « cette fille », qu’elle connaît depuis de nombreuses années, l’a prise en grippe. Sa mère, elle, croit savoir. L’autre élève est « moins privilégiée », ses parents « sont séparés ». Ailleurs, d’autres parents raconteront l’inverse : leur enfant serait harcelé parce qu’ils n’ont, au contraire, pas beaucoup de moyens.

Lola a des amies, qui parfois ont le courage de prendre sa défense. Mais il y a donc « cette fille » qui la regarde méchamment, s’assoit à côté d’elle sans rien dire en la fixant, l’insulte, réclame des photos à d’autres pour « voir sa sale tronche ». Et puis, parfois, pendant plusieurs mois, il ne se passe plus rien. Pour l’établissement, cela rend difficile la qualification de « harcèlement ».

Jusqu’au jour où, en 2020, Lola est attrapée par-derrière dans la cour de récréation, et frappée, en l’absence d’un surveillant. « Les parents de cette jeune fille ont nié l’agression, puis on nous a demandé de ne plus mettre Lola à la cantine, pour éviter les bagarres », se souvient sa mère. Selon cette dernière, on a également suggéré à la famille de changer d’établissement, ce que Lola a refusé. Les spécialistes consultés ont dit que Lola « allait bien », parce qu’elle était « insérée socialement »« Ma fille développe aujourd’hui une phobie scolaireElle ne veut plus aller en cours, ne sort plus de sa chambre, ne veut plus passer du temps avec nous, a perdu l’appétit et le sommeil », énumère pourtant sa mère.

Ce sont ces comportements qui alertent, bien souvent, les parents. Thibault, le fils de Stéphanie aujourd’hui en CM1, a été victime de harcèlement en grande section et au CP. A la Toussaint de son année de CP, il se met à « pleurer tous les matins », refuse de monter dans la voiture, « s’enferme dans les toilettes ou se cache sous le lit » pour échapper à l’école. Sa mère finit par le déscolariser, sur les conseils du pédiatre, après avoir trouvé un moyen de garde. C’est là que l’enfant commence à parler : « Il était tapé tous les jours par le même enfant, depuis un an, rapporte Stéphanie. Je ne le savais pas, parce qu’il ne verbalisait pas. » Quelques semaines plus tard, estimant que les mesures ne sont pas prises pour protéger son fils, Stéphanie le change d’école.

Maladresse généralisée

Bien souvent, le chef d’établissement, le professeur principal ou le conseiller principal d’éducation (CPE) ont tenté de mettre en place des dispositifs de remédiation, voire une prévention plus large du harcèlement scolaire. Mais le sentiment d’une maladresse généralisée se dégage des témoignages : ici, tel élève a été « sorti de cours » pendant que le CPE organisait une heure de vie de classe à son sujet – une initiative vécue comme une provocation de plus par la victime. Là, tel autre a bénéficié d’heures de « prévention », destinées à mettre fin au harcèlement en l’encourageant à « reprendre confiance en lui »« C’est donc à mon fils de faire des séances pour progresser dans la gestion de son harcèlement, alors que lui n’a rien fait », relève la maman d’Ethane, un collégien scolarisé dans les Ardennes dont deux camarades ont fait l’objet, en 2020, d’un rappel à la loi pour injures non publiques, comme le confirme au Monde le parquet de Charleville-Mézières.

Les associations soulignent cependant que les familles qui se tournent vers elles sont aussi celles qui sont « perdues » et n’ont trouvé « aucune solution » auprès de l’éducation nationale, qui parvient à gérer beaucoup de cas sans en arriver au point de rupture. Les chiffres sont néanmoins éloquents. L’association Hugo ! assure avoir accompagné et informé « 120 000 familles en trois ans ». « Le nombre de demandes est encore bien supérieur, et nous n’avons pas les moyens de les traiter toutes », assure Hugo Martinez, fondateur de l’association et lui-même ancienne victime.

Ces réponses inadaptées sont liées à un « manque de formation »des enseignants, CPE et chefs d’établissement dans la prise en charge du harcèlement scolaire, selon Hugo Martinez. « Si les personnels ne sont pas formés à cette problématique spécifique, ils risquent de commettre des maladresses aux conséquences dramatiques pour les familles », assure-t-il. L’association, qui soutient la création d’un « délit de harcèlement scolaire », assure que ce dernier permettra, en plus de « créer un interdit », de reconnaître plus facilement le « statut de victime » des élèves, donc de proposer un accompagnement psychologique remboursé par la sécurité sociale.

Des référents contre le harcèlement dans les établissements scolaires

A compter de septembre, tous les collèges et lycées de France devront se doter d’équipes formées à la prise en charge du harcèlement, et d’élèves « ambassadeurs » pour lutter contre ce phénomène, a annoncé, vendredi 28 mai, le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, lors d’un déplacement dans un collège de l’Essonne avec Brigitte Macron. Cela revient à généraliser le programme dit « clé en main », expérimenté jusqu’à présent dans six académies. Depuis 2019, le droit des élèves à suivre une scolarité sans harcèlement est inscrit dans la loi. Mais on estime qu’un collégien sur dix est harcelé, et qu’un sur cinq subit une forme de cyberviolence (texto, usurpation d’identité, etc.). « On a encore des progrès à faire », a jugé M. Blanquer. « Ces dernières années on a réussi à faire reculer un peu le harcèlement, (…) mais on n’a pas réussi à faire reculer le cyberharcèlement », un phénomène qui s’est notamment aggravé pendant la crise sanitaire, rappelé le ministre.

C’est le souhait de nombreux adolescents et familles, parfois plusieurs années après que le harcèlement a pris fin : que l’on reconnaisse le harcelé comme victime et que l’on « punisse »l’autre, ce harceleur qui poursuit sa scolarité « comme si de rien n’était », selon les expressions entendues dans la bouche de plusieurs adolescents et de leurs parents. A court de solutions, beaucoup se retrouvent d’ailleurs au commissariat ou à la gendarmerie – et lancent des procédures souvent suivies d’aucun effet.

« Dans les affaires de harcèlement scolaire, il y a une difficulté à caractériser la répétition des faits, pointe Laurent de Caigny, procureur au tribunal judiciaire de Charleville-Mézières. Un rappel à la loi pour injures est déjà une réponse forte, sans compter la portée symbolique de la procédure, avec des collégiens longuement interrogés par deux gendarmes en uniforme… » 

Pour Erwan Balanant, député (MoDem) du Finistère à l’origine de la proposition de loi qui sera examinée en décembre, la « judiciarisation » du harcèlement scolaire n’est pas une solution. « Quand les parents vont à la gendarmerie, c’est le signe que tout le reste a échoué », souligne-t-il. Selon lui, la solution est à trouver « dans l’enceinte scolaire », en mettant en place des procédures pour briser le mécanisme et former les enseignants à les détecter. Sa proposition de loi veut aussi instaurer l’obligation, pour les établissements, de lutter contre le harcèlement scolaire.


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