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jeudi 2 septembre 2021

PMA pour toutes : après la loi, des femmes confrontées à l’«indifférence» et au «je-m’en-foutisme»

par Marlène Thomas   publié le 1er septembre 2021

Après la promulgation de la loi ouvrant la PMA aux couples de lesbiennes et aux femmes célibataires, les décrets d’application du texte tardent à être publiés. Les femmes concernées se confrontent déjà à l’épreuve du réel, entre pénurie de gamètes, limite d’âge arbitraire et crainte d’une priorisation.

«Je trouve ça encore plus dur de savoir que la loi bioéthique a été adoptée et que rien n’a concrètement changé.» Cassandre et Célia (1) ont respectivement 33 et 36 ans. Une poignée de jours après la promulgation, le 2 août au Journal officiel, de la loi bioéthique ouvrant la PMA aux couples de femmes et femmes seules, l’espoir de concevoir un enfant dans un délai raisonnable en France s’amincit pour ces Parisiennes. Et la promesse du gouvernement d’avoir des premiers bébés nés de PMA pour toutes avant mai 2022 paraît difficilement réalisable. «C’est sûr, il n’y aura pas de bébé et de grossesse en route avant la fin du mandat de Macron», appuie Dominique Mehl, sociologue au CNRS, autrice de la PMA déconfinée (L’Harmattan, 2021).

Au soulagement ayant suivi l’accouchement dans la douleur de cet espoir législatif le 29 juin, promesse de campagne d’Emmanuel Macron maintes fois reportée, succède l’amertume. Le lendemain de la promulgation, le Président annonçait par voie de tweet : «Fin septembre, la PMA sera accessible à toutes.» Un calendrier en décalage avec celui promis par son ministre de la Santé mi-juin à Têtu. «Je souhaite que les parcours de PMA puissent être initiés pour les femmes concernées dès cet été», prédisait Olivier Véran, en assurant avoir anticipé «pour qu’un maximum de décrets sortent dès que la loi sera promulguée». Près d’un mois plus tard, toujours rien. La raison de ce retard ? Ces décrets doivent être validés par le Conseil d’Etat, dont les congés d’été n’ont pas été anticipés par l’exécutif, selon le magazine. Derrière ce temps politique à rallonge se trouvent des femmes parfois suspendues depuis des années au vote de ce texte. «Certaines peuvent être à deux, trois mois près»,rappelle la sociologue.

«Nos familles comptent moins»

Libération, l’Agence de biomédecine assure que «les premiers décrets d’application sont attendus dans les semaines à venir». La nouvelle loi sera alors (enfin) «légalement applicable». Ceux-ci fixeront notamment «les conditions d’âge pour les hommes et les femmes souhaitant bénéficier d’une assistance médicale à la procréation ou d’une autoconservation de leurs gamètes et la composition de l’équipe médicale clinico-biologique des centres d’assistance médicale à la procréation», complète la Direction générale de l’offre de soins (DGOS). L’avocate spécialiste en droit des familles Caroline Mécary s’interroge sur la nécessité de ce décret déterminant l’âge, entravant le lancement des procédures : «Pour l’accès aux techniques de PMA, je ne vois pas au nom de quoi il y en a besoin. Pour moi, c’est un texte quasi à application immédiate.» La condition d’âge est en effet déjà fixée par l’assurance maladie, qui prend en charge la PMA pour les femmes jusqu’à 43 ans. Le seuil de 59 ans a, lui, été acté en 2019 par le Conseil d’Etat pour les hommes. En somme, l’avocate ne voit là aucune «malice» de la part du gouvernement, mais «de l’indifférence et du je-m’en-foutisme».

Anne-Fleur Multon et Sara Guédés, 28 et 32 ans, ont préféré sécuriser leur projet en commençant des inséminations en Belgique. Anne-Fleur Multon martèle : «Cette attente, c’est aussi nous dire qu’on est invisibles, que nos familles comptent moins.» En attendant l’ultime feu vert, il est toutefois possible de «s’adresser aux Cecos [Centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains, ndlr]» pour amorcer le parcours, note l’Agence de biomédecine. Une décision renvoyée à l’échelon local. Les appels prennent donc pour l’heure la forme d’une roulette russe. Celui de Pauline Milliot a été concluant. Installée à Angers, cette femme de 37 ans envisage une PMA solo depuis une dizaine d’années. «J’ai commencé il y a dix-huit mois à faire illégalement des dons artisanaux avec des hommes acceptant de rester anonymes», confie-t-elle. Au lendemain du vote, elle contacte le centre de PMA de sa ville. «Ils m’ont proposé un rendez-vous le lendemain. La gynécologue m’a dit qu’il faudrait attendre les décrets pour l’inscription dans les Cecos mais les examens médicaux ont pu commencer tout de suite.»

«A 39 ans, pour moi, c’est foutu»

A 300 kilomètres de là, Anne-Fleur Multon et sa femme ont pu, depuis Concarneau, avoir une prise de contact avec le centre de Brest voilà deux semaines. Si un flou plane encore sur le tempo, le «soulagement» est indéniable pour les Bretonnes, qui ont dépensé près de 6 000 euros en Belgique pour leur projet. «Avoir au téléphone des gens pour qui la PMA est une mission, pas seulement une façon de faire de l’argent, comptait pour nous», insiste Anne-Fleur Multon.

Cette ouverture à toutes les femmes se confronte d’ores et déjà à l’épreuve du réel. Le nœud principal du problème n’est toujours pas levé : la pénurie de gamètes. A l’aube du point final législatif, Anne-Fleur Multon résume : «Lors du vote, j’étais contente mais je n’ai pas sabré le champagne car je savais que la lutte continuait.» En 2019, seules 836 femmes ont donné des ovocytes et 317 hommes des spermatozoïdes pour 1 396 enfants nés d’une PMA, égrène l’Agence de biomédecine. Pas de quoi répondre à la demande des seuls couples hétérosexuels. «Une amie a attendu sept ans pour avoir un don d’ovocyte alors qu’elle est mariée», déroule Marine. Désabusée, cette habitante de Saint-Denis en projet de PMA solo tranche : «A 39 ans, pour moi la France, c’est foutu.»

Depuis 2018, elle multiplie les allers-retours entre la Seine-Saint-Denis et l’Espagne. Après plusieurs échecs d’inséminations, de fécondations in-vitro (FIV) et un cancer du sein, «le parcours du combattant continue». Suivie à l’hôpital Cochin à Paris, Marine remplit il y a deux semaines le formulaire de leur centre de PMA où est désormais écrit noir sur blanc «femme célibataire». Le couperet tombe : «Une dame m’a téléphoné en me disant que ce n’était pas possible de m’inscrire car j’ai 40 ans. J’ai rétorqué que je ne les avais pas encore, elle m’a dit que c’était tout comme car l’attente est estimée entre dix mois et un an juste pour un don de sperme.» Sans grande conviction, Marine compte démarcher d’autres centres français tout en continuant ses démarches espagnoles. Les délais habituels pour une PMA avec un tiers donneur s’étendent de neuf à dix-huit mois selon les départements, avance la DGOS. «Les moyens supplémentaires déployés ont pour objectif de ne pas rallonger cette attente et de la réduire dans la mesure du possible», veut rassurer l’instance en évoquant l’instauration d’un dispositif pour analyser l’évolution des nouvelles demandes.

«Je n’y crois plus trop»

Dans l’Hexagone, l’incitation à léguer sa semence ou ses ovocytes est restreinte : les dons sont gracieux contrairement aux donneurs anonymes espagnols, à qui une indemnisation forfaitaire est allouée. Autre mesure phare de la loi bioéthique, la levée partielle de l’anonymat des donneurs peut-elle être dissuasive ? Une inconnue pour Dominique Mehl : «Tout ce que l’on sait vient des expériences étrangères. En Angleterre, les dons ont légèrement baissé au moment où ils l’ont levé puis sont remontés un an et demi après avec des donneurs assez différents.» Face à l’inquiétude grandissante, l’Agence de biomédecine promet de «poursuivre et intensifier ses efforts de communication auprès du grand public dans les mois à venir».

«La loi promet, mais il faut voir la mise en application, qu’on ne fera pas d’abord passer les hétéros, puis les homos et ensuite les femmes seules»

—  La sociologue Dominique Mehl, autrice de «La PMA déconfinée»

Mélina (1) a reçu la même fin de non-recevoir que Marine. Trop vieille. Cette femme de 40 ans, mère solo d’un fils de 14 mois conçu lors d’une PMA en Espagne, s’est également adressée au Cecos de l’hôpital Cochin. Dans un échange de mails que Libération a pu consulter, le secrétariat répond laconiquement :«Malheureusement, nous prenons en charge les femmes jusqu’à 39 ans (femmes seules, couples de femmes ou hétéros).» Confronté au rappel de la limite d’âge de 43 ans fixée par la Sécu, le Cecos renvoie la balle aux hôpitaux Tenon ou Jean Verdier. Le premier a d’ores et déjà dégainé à Mélina la carte de l’attente des décrets. Elle «n’y croi[t] plus trop». Regrettant «tout ce temps perdu», elle se laisse trois mois à partir de la rentrée avant de fermer définitivement le chapitre France et de foncer de nouveau en Espagne. Contacté, le Fertilité Paris Centre de l’hôpital Cochin n’a pas répondu à nos sollicitations.

Balayant les temps politiques ayant pesé sur les corps et vies de ces femmes, cette limite d’âge arbitraire percute de plein fouet l’un des cœurs de la réforme, l’ouverture de la PMA aux femmes seules. «Une majorité d’entre elles ont un certain âge, notamment lorsqu’elles n’ont pas rencontré la bonne personne. Elles doivent choisir d’y aller seule ou prendre le risque de ne jamais être maman», s’inquiète Anne-Sophie Duperray, cofondatrice de l’association Mam’en solo. Cassandre et Célia en sont convaincues, les délais d’attente les obligeront à faire venir illégalement de la semence depuis l’étranger. «La loi bioéthique ne nous bénéficiera pas tout de suite mais dans l’hypothèse d’avoir un deuxième enfant, on pourrait déjà s’inscrire sur des listes d’attente», se projette Cassandre.

«On ne vous prendra pas»

En creux, ces restrictions font craindre une priorisation selon le statut matrimonial. «La loi promet, mais il faut voir la mise en application, qu’on ne fera pas d’abord passer les hétéros, puis les homos et ensuite les femmes seules», avance prudemment la sociologue. Les listes d’attente devraient s’établir «par ordre d’inscription», mais pour en être certains, il faut attendre… les fameux décrets d’application. «Beaucoup de Cecos, qui vont gérer la demande de dons, étaient assez hostiles à l’ouverture de la PMA à toutes les femmes», prévient Dominique Mehl. Femme célibataire de 41 ans, Sarah (1) a déjà fait les frais d’une hiérarchisation des besoins. Dès la promulgation, elle prend rendez-vous dans une clinique privée réunionnaise. «On m’a mis un stop direct en me disant “Il n’y a pas de donneurs à la Réunion, c’est déjà compliqué pour les couples, on ne vous prendra pas.”» Consciente de cet obstacle, elle martèle : «Ils font eux-mêmes leur ségrégation. Ils pourraient choisir de faire par ordre d’arrivée.» Du côté de l’hôpital public, les prises de rendez-vous sont suspendues à la publication des décrets.

L’insularité lui laisse peu d’alternatives. «Pas de possibilité de faire livrer des paillettes de sperme depuis l’étranger et pas de pays aux alentours pratiquant la PMA», liste-t-elle. Depuis un an, elle se met en danger dans l’espoir de devenir mère. «Je dois me débrouiller avec des réseaux parallèles sur Internet. Psychologiquement, prendre le premier venu est dur… Et je fais courir des risques pour ma santé car je ne peux pas demander un test de MST chaque mois.» L’idée que «bientôt, ça va être trop tard» la hante.

Mère solo d’une fille de 5 ans née d’une FIV au Danemark, Roxane (1) a réussi à décrocher un rendez-vous au Cecos de Bordeaux fin septembre. «Mais je ne sais pas si je peux dire tout haut que je veux faire une PMA solo», s’enquiert-elle. Elle ne l’a mentionné qu’à la toute fin de sa prise de rendez-vous. Roxane appréhende. «Est-ce qu’on va vraiment être traitées à égalité avec les couples hétéros ? On ne devrait pas y penser, quand vous prenez rendez-vous chez le dentiste, vous ne vous demandez pas si quelqu’un avec les cheveux blonds va passer avant vous…»

(1) Les prénoms ont été changés.


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