Jeux paralympiques de Tokyo, le 26 août 2021. Axel Bourlon (France) soulève 165 kilos au développé-couché lors de la finale d’haltérophilie, catégorie moins de 54 kilos. © Christopher Jue/Getty Images for International Paralympic Committee/AFP
Les Jeux paralympiques, qui s’achèvent cette semaine, sont presque le seul moment où l’on entend parler de handicap dans les médias. Un instant d’attention qui ne doit pas faire oublier que le handicap est toujours maintenu, par la société des « valides », en marge. Le point de vue du philosophe Bertrand Quentin, auteur de La Philosophie face au handicap (Éditions Érès, 2013) et des Invalidés. Nouvelles réflexions philosophiques sur le handicap(Érès, 2017).
Les Jeux paralympiques constituent l’un des rares moments où l’on entend publiquement parler des handicapés. Faut-il se réjouir de cette visibilité, ou diriez-vous qu’elle maintient les handicapés en marge de la société, puisqu’elle reste exceptionnelle ?
Bertrand Quentin : Les moments de visibilité du handicap ont été totalement absents des médias pendant des décennies. Quelques films à grand succès (comme par exemple Intouchables en 2012 ou Hors Normes en 2019) ont mis en évidence que le grand public pouvait s’intéresser au handicap et accepter de le voir quand une histoire bien ficelée l’amenait dans le champ de l’universalité humaine. La présence du handicap à la télévision reste néanmoins modeste. On ne se plaindra donc pas que les Jeux paralympiques ouvrent une fenêtre de visibilité plus étendue que d’habitude. Mais la visibilité serait moins symbolique si certains journalistes couvrant les sujets pouvaient aussi être handicapés. Or sur les plateaux télévisés traitant des Jeux paralympiques, ce sont exclusivement des journalistes sportifs dits valides qui officient en cravate – maintenant ce clivage entre valides et invalides. Ici encore se repère cette liminalité, c’est-à-dire le fait d’être « maintenu sur le seuil ». En 1909, l’ethnologue français Arnold Van Gennep, dans un ouvrage intitulé Les Rites de passage, décrit la situation au cours d’un rite, où la personne est isolée de la vie du groupe sans être rejetée définitivement. Dans les années 1980, l’anthropologue américain Robert Murphy reprend, lui, le concept de « liminalité » par rapport au handicap. Il rend compte du fait que la personne en situation de handicap est maintenue sur le seuil de la société. Ni totalement extérieure (ce serait la barbarie nazie), ni jamais totalement à l’intérieur (une paroi invisible empêche à chaque fois une vie dite normale). On appelle cela la « liminalité », donc – et bien souvent, nos sociétés ne font que semblant d’accueillir les personnes handicapées, pour les laisser en réalité dans une situation de liminalité, transformant les invalides en invalidés.
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