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lundi 30 août 2021

Elodie Serna : «La vasectomie reste encore une contraception de dernier recours»

par Juliette Deborde    publié le 30 août 2021

Dans son essai «Opération vasectomie», l’historienne retrace l’apparition et le développement de cette technique de stérilisation masculine qui ne s’inscrit toujours pas dans le cadre d’une évolution féministe de répartition de la charge contraceptive. 

Son évocation suscite encore souvent ricanements gênés, moue embarrassée, voire dégoût non dissimulé. La vasectomie, technique chirurgicale vieille de plus d’un siècle a beau ne rien avoir de barbare (elle consiste à ligaturer les canaux déférents pour empêcher le passage des spermatozoïdes), elle peine toujours à s’imposer en France comme méthode de contraception : moins de 1 % des hommes ont sauté le pas, même si on observe un frémissement, le nombre d’interventions ayant été multiplié par cinq en une décennie.

Dans Opération vasectomie (paru aux éditions Libertalia), Elodie Serna, docteure en histoire contemporaine, retrace l’apparition et le développement de cette pratique, et les résistances à sa démocratisation. Un travail inédit, la contraception masculine ayant jusqu’alors été peu étudiée par les historiens. De sa promotion pour des raisons eugénistes au début du XXe siècle à son expérimentation massive dans les années 50 en Inde, la chercheuse indépendante montre que la vasectomie a davantage été utilisée comme un moyen simple et peu coûteux de contrôler la fertilité, notamment des plus pauvres, que pour émanciper les femmes. Une histoire «intime et politique» qui invite à questionner notre vision de la reproduction, du corps, du genre, mais est aussi révélatrice des rapports de domination économiques et sociaux, estime Elodie Serna, dont la thèse sur la stérilisation masculine dans l’entre-deux-guerres sera également publiée à l’automne aux Presses universitaires de Rennes (PUR).

Pourquoi avoir voulu explorer la question de la vasectomie sous l’angle historique ?

Jusqu’à présent, la stérilisation masculine avait été étudiée notamment par le biais de l’histoire de la médecine, mais il n’y avait pas d’ouvrage abordant cette question d’un point de vue de l’histoire sociale. Aujourd’hui, on s’interroge sur la contraception principalement sous le prisme des questions de genre. L’aborder sous l’angle historique montre qu’il y a beaucoup plus d’enjeux derrière. On se rend compte que les progrès ne sont pas uniquement liés à la volonté d’émanciper les femmes, mais aussi à des rapports de classe très marqués, la volonté de contrôler la reproduction en général et celles de certaines classes sociales défavorisées en particulier. Aujourd’hui, évidemment, ce qui interroge le plus, c’est le rapport au sein de couples sur la répartition de ce que l’on appelle désormais la «charge contraceptive», mais pour trouver des réponses, il faut inscrire les choses dans un rapport social, et non uniquement relationnel.

Actuellement, en France, la pratique est extrêmement minoritaire, malgré son ancienneté. Comment l’expliquer ?

La situation française fait figure d’exception notamment par rapport aux pays anglo-saxons où la vasectomie est beaucoup plus répandue. Malgré tout, au niveau mondial, la vasectomie reste très minoritaire, surtout par rapport à la stérilisation des femmes. Actuellement, dans le monde, une femme sur quatre est stérilisée, alors que seulement 2 % des femmes peuvent compter sur la stérilisation de leur partenaire. On est un pays à l’histoire très nataliste, alors que l’Angleterre avait une tradition eugéniste, ce qui explique que la loi autorisant la vasectomie n’ait été adoptée en France qu’en juillet 2001. Il y a aussi une réticence des hommes à s’emparer de la question de la contraception. Ils sont aussi mal informés, les médecins ne parlent pas de vasectomie aux patients. Il existe une conception assez généralisée que la médecine a un droit d’accès beaucoup plus large sur le corps des femmes que sur celui des hommes.

On observe des parallèles entre l’histoire de la vasectomie et les mouvements féministes : des gynécologues pour le droit à l’IVG ont tenté de démocratiser la vasectomie, un manifeste des vasectomisés publié en 1975 s’inspirait du «Manifeste des 343» de 1971. Sans rencontrer le même succès. Pourquoi ?

Des hommes se sont effectivement mobilisés en faveur de la contraception masculine dans les années 70, en s’inscrivant dans le sillage du mouvement de libération des femmes. Leurs réflexions ont été inspirées par les femmes qui les entouraient. Cependant, on ne peut pas parler d’un mouvement. Les hommes étaient peu nombreux. Pour les femmes, le droit à l’IVG et à la contraception est fondamental. Pour elles, il y a une urgence à gérer cette part de la biologie. Accéder à des moyens de contraception médicalisés a donc été une avancée très importante. Pour les hommes, c’est plus secondaire, leur sexualité peut être séparée de la question de la reproduction. Pour eux, se contracepter ou se stériliser reste une contrainte. Tant que l’on peut la faire porter sur les femmes, il n’y a pas d’impératif. L’accès des hommes à une contraception, notamment temporaire, n’a pas toujours reçu un accueil très positif des femmes. Il existe une peur de prise de pouvoir sur la fécondité. Sur la vasectomie, il y a moins de réticences, beaucoup de femmes qui ont déjà eu des enfants aimeraient que leur compagnon soit stérilisé. Mais cela peut difficilement devenir un moyen de revendication des femmes.

Le nombre d’hommes opérés en France est en augmentation. On pourrait mettre cela sur le compte d’une génération plus sensibilisée et féministe, alors que votre ouvrage montre que la volonté de partager la charge contraceptive n’est souvent pas la priorité…

Ce qui revient souvent, c’est que la vasectomie est une contraception de dernier recours, que l’on pratique autour de la quarantaine, quand on ne veut plus d’enfants, quand les femmes ne supportent plus la pilule… On le constate au XXe siècle, avec les tentatives de campagne de stérilisation massive après la Seconde Guerre mondiale par crainte de l’explosion démographique, qui montrent qu’on peut en venir à un usage large d’une contraception des hommes sans que cela soit motivé par un discours féministe. Aujourd’hui, un très grand nombre de vasectomies ne serait pas forcément le signe d’une avancée féministe de la société. Mais il y a quand même une vraie réflexion autour de la déconstruction du masculin du côté des associations qui se mobilisent en France pour la contraception masculine, comme l’Ardecom [Association pour la recherche et le développement de la contraception masculine, ndlr].Pour elles, on ne doit pas la réduire à une simple technique, et il faut l’inscrire dans une remise en question de la domination masculine.

Les exemples de médiatisation de la vasectomie cités dans votre ouvrage sont très marqués par des stéréotypes sexistes. Les opérations sont mises en scène pour renforcer un sentiment de masculinité. Qu’est-ce que cela dit de notre vision du corps des hommes ?

La vasectomie se pratique et se valorise avec des références qui sont très ancrées dans le masculin, voire virilistes, avec par exemple les «Vasectomy party» ou la «Brosectomy» entre amis aux Etats-Unis. On n’expose pas de la même manière l’intime du corps des femmes que celui des hommes. Pour les hommes, très souvent, cela tourne à la plaisanterie, comme si c’était un moyen de défense, de se réaffirmer en tant qu’homme malgré la stérilisation. Cela traduit un besoin de reconnaissance dans le regard des autres hommes. Les vasectomisés veulent s’assurer que les autres hommes ne remettront pas en cause leur identité d’hommes. Cela semble ordinaire que les femmes prennent en charge la contraception, mais quand ce sont les hommes qui le font, c’est interprété comme un geste envers les femmes, les hommes vasectomisés peuvent se valoriser et sont socialement valorisés.

En France, la méthode s’inscrit dans une forme de militantisme, promue par des associations, mais pas par les pouvoirs publics ni par l’institution médicale. Comment l’interpréter ?

Le monde médical est à l’image de la société, avec les mêmes préjugés sur les rôles assignés aux hommes et aux femmes. La vasectomie ne s’appuie pas sur un réseau de médecins qui serait aussi dense que le réseau des gynécologues. Les urologues sont peu formés et n’y voient pas grand intérêt, notamment d’un point de vue financier. Des études faites après la loi de 2001 montraient que les médecins ne connaissaient pas la vasectomie. Vingt ans après, l’opération est autorisée, mais ce n’est pas un droit à part entière. On trouve plus d’informations via des réseaux d’entraide et des groupes Facebook que sur des sites institutionnels ou chez un médecin généraliste. La pilule est une manne très rémunératrice pour les laboratoires pharmaceutiques, et il y a peu d’intérêt pour eux à développer d’autres méthodes de contraception. C’est aussi pour cela que la vasectomie a été utilisée aussi bien dans les réseaux clandestins dans l’entre-deux-guerres que comme méthode de masse dans les pays du Sud : c’est une méthode rapide et qui ne coûte rien ! La vasectomie pourrait être une méthode idéale, mais elle ne correspond pas à notre logique de marché.


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