Par Manon Boquen. Publié le 3 septembre 2021
Sous l’effet de l’érosion, 300 personnages burinés dans la roche sur la Côte d’Emeraude s’effacent lentement. Créé cet été, un musée tente de sauver de l’oubli cette merveille d’art brut.
Un chemin face à la mer. Soudain, d’étranges visages surgissent le long du sentier, puis c’est tout un peuple de personnages et d’animaux en tout genre qui affleure de l’amas rocheux. Perchées sur les pointes de la Haie et du Christ à Rothéneuf, ancien village de pêcheurs appartenant désormais à la commune de Saint-Malo, quelque 300 sculptures réalisées par un religieux, l’abbé Fouré, font face aux vagues… et s’effacent doucement. Menacée d’érosion, confrontée au vent et aux embruns, mais aussi fragilisée par les passants qui l’escaladent, cette œuvre d’art brut pourrait bientôt disparaître.
« Notre but n’est pas de lutter contre les éléments, mais de retarder la disparition des œuvres », explique une amoureuse du lieu, Joëlle Jouneau. La sexagénaire préside depuis onze ans l’association des Amis de l’œuvre de l’abbé Fouré. Avec sa trentaine de bénévoles, l’organisation a ouvert, en juillet, à Saint-Malo, le Centre d’interprétation de l’Ermite de Rothéneuf. A l’intérieur de ce petit musée s’entremêlent des panneaux explicatifs et des sculptures en bois. Il est aussi possible de faire une visite virtuelle des rochers sculptés, situés à seulement un kilomètre de là.
Du land art avant l’heure
L’abbé Fouré, surnommé « l’Ermite », a créé ce site entre 1894 et 1907. Mis en retrait après des conflits internes au sein de sa paroisse de Langouët, à 50 kilomètres dans les terres, l’ancien recteur ne s’était jamais essayé à l’art avant son arrivée à Rothéneuf. Des cartes postales de l’autodidacte témoignent de cette époque. On le voit en soutane noire modeler les roches granitiques à l’aide d’un marteau et d’un burin, puis poser auprès de ses œuvres.
Parmi ses réalisations, l’amoureux d’histoire et de légendes, fervent lecteur de journaux, a figuré des saints bretons, mais aussi Napoléon ou l’explorateur natif de Saint-Malo Jacques Cartier. « C’est une sorte de land art avant l’heure, décrit la conservatrice Savine Faupin, responsable de la collection d’art brut au Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut de Lille Métropole (LaM). Quand l’abbé taillait, on peut s’imaginer qu’il voyait la force de la mer, il devait savoir que son œuvre allait se transformer. »
L’association en est consciente, une demande de classement aux Monuments historiques ne pourrait qu’échouer. « A moins de couvrir le site d’une cloche de verre, je ne vois pas comment on pourrait lutter contre le phénomène d’érosion », se désole Bruno Montpied. Cet essayiste et documentariste, qui étudie l’art brut depuis les années 1980 et recense les lieux faisant partie de ce mouvement, est admiratif de l’œuvre du tailleur de pierre : « Elle prouve que tout le monde peut faire de l’art. »
Ermitage de « Haute-Folie »
Conservateur à la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) de Bretagne, Henry Masson n’a pas davantage de solution :« C’est un lieu atypique, très exposé, mais nous n’avons pas de pouvoir de coercition pour empêcher les gens de gravir les sculptures. » En 2019, la DRAC avait bien proposé aux propriétaires du site de réaliser des relevés 3D et d’entretenir les sculptures. La proposition est restée lettre morte.
Les Amis de l’œuvre de l’abbé Fouré veulent croire à un autre destin. En plus de leur micromusée et des visites guidées, les bénévoles de l’association entretiennent et nettoient les hommes de pierre. Ils tentent aussi de retrouver les sculptures en bois de l’abbé, dont beaucoup ont été perdues après la seconde guerre mondiale. L’artiste les avait exposées dans sa maison de « Haute Folie », comme il l’avait baptisée, à Rothéneuf – des photos en témoignent.
Enfin, avec des financements d’acteurs publics et de mécènes, l’association a pu reproduire un gisant sculpté en pierre par l’abbé, grâce à une modélisation 3D. Christophe Bastide, adjoint chargé du patrimoine à la mairie de Saint-Malo, qui apporte son soutien financier à l’association, s’en réjouit : « C’est intéressant de préserver ce qui peut l’être en reconstituant certaines œuvres. » A l’entrée du petit musée, la réplique du Duc de Bretagne, première œuvre de l’abbé, accueille désormais les visiteurs.
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