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samedi 2 janvier 2021

«Côté culture, l’épisode Covid aura du bon»

Par Julien Gester Ève Beauvallet Marie Klock et Sandra Onana — 1 janvier 2021

Le Centre Pompidou lors de la fermeture des lieux culturelles, le 13 mars.

Le Centre Pompidou lors de la fermeture des lieux culturelles, le 13 mars. Photo Cyril Zannettacci. Vu pour Libération

Au terme d’une année dévastatrice pour le monde de la création artistique, Libération a donné carte blanche à quatre artistes - cinéaste, femme de théâtre, bédéaste ou auteur - pour imaginer ce qui pourrait émerger du champ de ruines.

Benoît Forgeard : «En art, rien de tel que la contrainte»

Auteur au cinéma de comédies d’anticipation presque trop bien vues pour n’être que drôles (Gaz de France, Yves), le cinéaste retient avant tout de cette année qu’il ne faut plus rien chercher à anticiper.

«Je pèche par optimisme, mais côté culture, l’épisode Covid aura du bon. On peut être certain que les spectacles proposés à la réouverture des salles auront été parfaitement répétés, et beaucoup ont redécouvert le théâtre à l’occasion du confinement, via Internet. La Comédie-Française a fait un tabac, une nouvelle fenêtre s’est ouverte. Cette obligation à se virtualiser a permis d’attirer l’attention de nouveaux publics. En art, rien de tel que la contrainte. Expérimentation à poursuivre quand plus rien ne nous y forcera.

«Le cinéma a pris cher, encore que, dans ce contexte moins concurrentiel, les films français ont fait plus d’entrées que les américains. Mais la période semble avoir entériné un changement de rapport de force. Le temps d’un petit somme, les plateformes ont triplé de volume. C’est avec elles qu’il va falloir dealer. Attention toutefois : une panne mondiale d’Internet sur plusieurs mois aurait pour effet de relancer les salles. Aussi, je préconise de ne pas nous en débarrasser. Comme souvent, la société civile a plus de clés qu’elle ne l’imagine. Pour rééquilibrer les forces et contraindre les Gafa, il suffirait de se mobiliser. La résiliation de millions d’abonnements pourrait-elle faire pression ? Faudrait tenter. Qui commence ?»

Sophie Perez : «L’occasion d’envisager le théâtre enfin comme un truc artistique, pas comme un art croupi»

L’ardente meneuse de revue du Zerep, qui a monté de nombreux projets iconoclastes avec Xavier Boussiron (en 2018, Purge, Baby, Purge et les Chauves-souris du volcan), fidèle à son esprit frondeur, ne veut pas être traitée en victime.

«Bien sûr qu’il faut se réinventer, pour qu’il y ait plus d’espoir et plus de férocité. C’est l’occasion d’envisager le théâtre enfin comme un truc artistique, et pas comme un art croupi où l’on va reprendre, et encore plus qu’avant, les mêmes gros machins à la papa. Chialer parce qu’on a l’impression d’être des crottes de nez ? Mais on est où là ? Y a beaucoup d’ego là-dedans. Ceux qui morflent dans la culture, c’est la famille des Bigard, des Arditi, du théâtre privé qui se paie en jouant. Mais nous, les intermittents, le théâtre subventionné, on morfle de quoi ? On se sent coincé comme tout le monde. La douleur de "A quoi tu sers dans la vie ?", elle est hyper intime et quotidienne.

«Moi, j’ai toujours su que je n’étais pas essentielle, que c’est la guerre quand on essaie de faire de l’art. Au Zerep, ça nous a tout de suite donné envie de nous mettre au travail, avec un truc pas prévu, en vitesse, avec trois cacahuètes, qui s’appelle la Meringue du souterrain. Ça part de l’art brut, c’est des mecs qui ont la nécessité de s’exprimer et qui s’en foutent d’être exposés. Dedans, on raconte que c’est le seul spectacle qui a tourné pendant un an dans des théâtres vides. Ça pose des questions fondamentales à notre groupe : qu’est-ce qu’on fait quand les gens regardent pas ? Bah encore pire que d’habitude. On n’a pas les ronds, mais on rêverait de racheter une boîte de nuit (parce qu’elles vont toutes fermer) qu’on appellerait le «Va Fan Culo Club», on ferait du french cancan, de la poésie, des perfs… Moi, ça me reconnecte à des fondamentaux.» 

Lisa Mandel : «On devrait faire des Amap de la BD, avec des paniers de saison»

Autrice de BD, Marseillaise engagée, Lisa Mandel (qui a autopublié en 2020 Une année exemplaire grâce au financement participatif) porte le projet d’une maison d’édition en faveur d’une meilleure répartition des droits d’auteur.

«Dans un monde idéal, quand on serait enfin libres de nos mouvements, les auteurs pourraient prendre des triporteurs et aller vendre leurs livres à la criée, comme sur un marché paysan. Pour moi, on devrait faire des Amap de la BD, avec des paniers de saison. Les auteurs se regrouperaient en collectifs, éditeraient leurs livres ensemble en mutualisant les frais. Il y aurait un rapport direct entre les producteurs et les lecteurs, en circuit court. A côté des vendeurs de légumes bio, il y aurait le vendeur de livres bio : les gens s’abonneraient pour acheter la production de l’année. Il y aurait aussi des imprimeries de proximité, ce qui n’existe quasi plus en France, pour relancer une production locale de nos BD. On ne serait plus obligés d’envoyer les pages en Italie quand on veut imprimer depuis Marseille…

«Avec d’autres, nous réfléchissons à comment reprendre en main notre production. Tout ce temps de latence en 2020 m’a fait comprendre que notre salut est dans le collectif, la solidarité, le peuple qui s’allie. Quand on est dans un cul-de-sac, il faut trouver la solution soi-même. C’est pour ça qu’on a lancé un financement participatif pour créer une structure éditoriale alternative qui permettrait de toucher des droits d’auteur deux à cinq fois supérieurs à ce qu’on gagne aujourd’hui, avec une répartition plus juste. Dans un monde qui se réinvente tel que je voudrais qu’il existe, les auteurs ne seraient plus les moins bien lotis dans la chaîne du livre. Ils diraient aux autres : mangez un peu moins, ce sera bon pour votre santé, et donnez-nous un peu plus. Si vous ne voulez pas, on ne demande qu’à construire notre cabane à côté avec notre potager, et à manger ce qu’on produit.»

Antoine Boute : «Challenge muscu dans et avec le grand livre du monde !»

Poète sonore, écrivain, performeur, blagueur, «pornolettriste» et, parfois, bûcheron. Le bureau d’Antoine Boute se trouve dans la forêt de Tervuren, non loin de Bruxelles. En août, il a publié un Manuel de civilité biohardcore.

«Challenge réinventer la culture ? = challenge révolutionner la vie, la mort, l’amour, le mix des 3 dans la nature ! Challenge fais entrer un max de nature dans ton lieu de vie ! Challenge disparais dedans ! Challenge fais de ton lit une jungle ! Enterre-toi, terre, bananiers, le bzz des mouches en Spotify bio ! La moindre patte d’insecte à mater = méditation de l’extrême ! Challenge bois un peu de ton urine chaque fois pour checker comment tu vas ! Challenge tes selles = ton compost portable & pocket ! Challenge des odeurs yeux fermés : "je sais où brouter quelques fleurs d’ortie dans le lavabo perturbé", qui est le nec du goutte-à-goutte récup générale ! Challenge je "récupère" des poules pondeuses et en fais les amies des petits rats & rattes qui squattent sympathiquement mon chez moi !

«Challenge gober un·e petit·e rat·te nouve·lle·au né·e rose pour le feeling de le·a sentir gigoter dans ton estomac, brrr à la mode chinoise (tour du monde gastrono) = challenge du devenir-télé de ton estomac : oops ce soir film d’horreur, la lente agonie d’un·e bébé·e rat·te noyé·e dans un suc digestif du tonnerre ! Challenge fais de ta chambre à coucher une chambre à coucher dehors ! Nomade épileptique démesurément couché !

«Challenge entre en transe en plein film de cul du lombricompost ! Challenge bulbes à la va-comme-je-te-pousse - et où je pense ! Challenge sable en plastique pour tortues en chaleur ! Challenge muscu dans et avec le grand livre du monde ! Challenge je fais le poulpe pendant des heures et ça marche, dans le sens ça flotte ! Challenge je me tape la tête contre un mur parce que je suis un gros taureau bien à l’aise dans le déconfinement de l’existence.»


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