— 29 décembre 2020
Syndrome prémenstruel : un tabou en fin de cycle
Maux de tête, douleurs au ventre, humeur de chacal... tous les mois, ça recommence. Au moins 40% des femmes ressentent une gêne juste avant leurs règles. Mais si le gouvernement a annoncé des mesures contre la précarité menstruelle, ces 150 symptômes répertoriés ne sont pas assez pris en compte.
Le tabou séculaire autour des menstruations est-il (enfin) en train de tomber ? Ces dernières années, comme l’atteste le tout récent buzz controversé de l’influenceuse Instagram Louise Aubery (MyBetterSelf) sur la précarité menstruelle, la parole des femmes se libère pour faire reconnaître les violences obstétricales, l’endométriose ou encore la difficulté à payer chaque mois tampons et serviettes. Le sujet a fini par remonter jusqu’au gouvernement, qui, en décembre, a promis cinq millions d’euros en 2021 pour aider les femmes les plus précaires à se procurer des protections périodiques.
«Si les mecs savaient…»
Parallèlement, Dans Ma Culotte, une start-up qui fabrique depuis 2015 des protections hygiéniques, a levé 3,5 millions d’euros fin novembre pour lutter contre la précarité menstruelle. Sur les réseaux sociaux, elle vend auprès de ses 100 000 followers, tampons bios, serviettes hygiéniques lavables, coupes ou culottes menstruelles en alternative aux protections classiques accusées d’être néfastes pour le corps et l’environnement. Le livre Les règles… Quelle aventure ! d’Elise Thiébaut et Mirion Malle (1), élaboré à l’attention des ados, s’est écoulé à 200 000 exemplaires depuis sa sortie en novembre 2017. Il explique le cycle de la femme à travers l’histoire, la biologie, la sociologie avec humour.
L’humour est de fait l’une des clés pour parler librement des inconvénients liés aux règles. A commencer par le syndrome prémenstruel, dit SPM, qui touche au moins 40 % des femmes au cours de leur vie et survient à n’importe quel âge. Dans Le Vingt-huitième jour (2), l’écrivaine Catherine Barry met en scène un personnage souffrant du bas du dos et du crâne, des douleurs exacerbées par son humeur exécrable. Elle se sent alors «possédée par le diable et tous ses cousins éloignés», pleure pour un rien. Ajoutez à cela les trous de mémoire, la pulsion de nettoyage, la fièvre acheteuse, la soudaine éruption de boutons sur son visage, les cheveux gras (pourtant lavés la veille), le jean qui ne ferme plus à cause du ventre gonflé, et vous avez un«pudding renversé avec quelques raisins dessus».
Près de 150 symptômes ont été répertoriés par les spécialistes. Ils peuvent durer jusqu’à trois semaines mais réapparaissent généralement quelques jours avant le début de cycle. «Plus on avance en âge, plus le risque de souffrir d’un syndrome prémenstruel est grand, observe la gynécologue Bérengère Arnal dans Syndrome prémenstruel : les solutions naturelles (3). Même s’il peut apparaître dès les premières règles - période où le syndrome touche une jeune fille sur trois -, il survient en effet plus souvent entre 30 et 40 ans et il est fréquemment plus sévère après 45 ans.» Une dizaine d’hypothèses expliquent ses causes, mais «il est en réalité très probable que plusieurs facteurs - hormonaux, nutritionnels et neurohormonaux - interagissent». Par exemple, le corps peut, avant les règles, surproduire de l’œstrogène ou bien de la progestérone : ce déséquilibre hormonal (naturel ou provoqué par une pilule ou un traitement mal dosé) a alors des effets sur la rétention d’eau et sur l’humeur. Lorsque la fluctuation des hormones «fonctionne» bien, le SPM serait plutôt dû aux neurotransmetteurs : ces molécules qui assurent la transmission d’un neurone à l’autre montrent alors une sensibilité anormale aux hormones ovariennes. La perte d’étanchéité de l’intestin est aussi mise en cause, quand le stress, les pollutions diverses, des médicaments comme les anti-inflammatoires, une alimentation déséquilibrée, certains aliments comme le lactose et le gluten, l’alcool, font passer des molécules indésirables entre l’intestin et le sang, ce qui provoque une réaction inflammatoire. «Ce passage serait majoré au moment de l’ovulation», éclaire la gynécologue.
Autre facteur : «Plus je suis fatiguée, plus le SPM est fort,observe Christelle, 24 ans, qui a besoin de dix heures trente de sommeil les deux nuits avant le début de ses règles. Sinon, je fais des malaises.» Cette prof à Chartres (Eure-et-Loir) est contrainte d’adapter son calendrier pour ne pas être surchargée de travail à cette période. Le SPM s’accompagne pour elle d’une intolérance au lactose. Même en adaptant son régime elle n’échappe pas aux brûlures d’estomac. Mélanie, vendeuse rennaise de 28 ans, a, elle, envie de «manger toute la journée, des trucs hypergras et salés». Ce qui la gêne le plus : la douloureuse rétention d’eau dans sa poitrine et sa «mauvaise humeur puissance 10, un ou deux jours avant les règles, je me transforme systématiquement en connasse susceptible». Seule solution qu’elle a trouvée : s’isoler, autant que son emploi du temps le permet. Marion, étudiante parisienne de 25 ans, parle d’un cercle vicieux : «Je n’arrive pas à ne pas être odieuse et cette impuissance consciente me met encore plus en rogne !»Une autre chose l’énerve : «Quand on me lance "t’es de mauvaise humeur, t’as tes règles ?" d’un ton badin, sans se rendre compte de ma souffrance et que je dois bosser comme si de rien n’était.» Journaliste, Louise, 32 ans, a du mal à adapter son emploi du temps en fonction de ses douleurs. «Je me dis souvent : "Si les mecs savaient ce que je vis en ce moment…"» Et en parler à son employeur n’est pas évident. Ne reste plus qu’à prendre sur ses RTT, quand c’est possible. Faudrait-il mettre en place un congé menstruel ? Au Japon, celui-ci n’est pas obligatoirement rémunéré et est très peu utilisé ; en Corée, les travailleuses perçoivent une prime quand elles ne le prennent pas… L’Italie l’a envisagé en 2017, avant de faire machine arrière de peur que les femmes soient discriminées à l’embauche.
«Honte de se plaindre»
Bérengère Arnal indique que pour 5 % des femmes, «la vie est un enfer du fait de l’intensité, du nombre et de la quasi-permanence des symptômes». Pour Camille, 33 ans, le répit dure une dizaine de jours par mois, entre le début de ses règles et l’ovulation. Puis c’est la «plongée émotionnelle» : «Pendant quinze jours, parfois trois semaines par mois, je suis dans les limbes du désespoir.»Elle se sent «emprisonnée dans ma condition hormonale depuis la puberté». Jusqu’à la fin de ses années lycée, elle prend une pilule qui la fait dormir quinze heures par jour. «J’étais dans un mal-être permanent. On pensait que c’était une crise d’ado.»Lorsqu’elle comprend que c’est lié à sa contraception, elle réduit la dose : le sommeil s’améliore, mais pas la dépression. Puis elle donne naissance à sa fille et remplace la pilule par un stérilet. Elle perd toute libido. «Ma gynécologue m’a dit que ce n’était pas lié au stérilet et d’aller voir un sexologue. Je me sens ménopausée, souffle la trentenaire. Je ne considère même plus mon SPM comme un problème, mais comme une chose avec laquelle je suis prête à vivre, une fatalité, un handicap. Je suis résignée, car je suis convaincue qu’il n’y a rien à faire.» Il y a trois mois, elle a tout de même essayé un nouveau stérilet, qui parvient à rendre le flux moins abondant. Camille dit avoir «honte de se plaindre» auprès de ses gynécologues. Et quand elle arrive à leur en parler, c’est souvent «l’incompréhension» : «J’ai fini par changer de gynéco une fois par an, parce qu’ils pensaient que c’était moi qui avais des problèmes, qu’il fallait que j’aille voir un psy. J’ai parfois quitté la pièce en pleine consultation parce que je me sentais humiliée.» Maryama a également un mauvais souvenir d’un échange sur le SPM avec son gynécologue, mais pas pour les mêmes raisons : «J’avais 33-34 ans. Il me disait que les femmes qui avaient des enfants étaient moins sujettes aux règles douloureuses, et que j’avais un âge correct pour en faire. Bref, le discours pas possible !»Souffrance aussi quand l’entourage méconnaît le syndrome, ou qu’il est tabou. «Ce qui peut empêcher d’en parler, c’est que le SPM peut conforter un discours patriarcal qui, si je résume vite, dit que les femmes sont hystériques et instables,analyse Louise. Ma mère, féministe, ne m’en a jamais parlé. C’est mon père qui m’a appris qu’elle en avait souffert aussi. Mais rien que le fait que mon père m’en parle m’a donné une clé : ma mère l’a vécu, l’a traversé, ça me suffisait.»
«On n’en parle pas assez»
Elise, 80 ans, n’arrivait pas à en parler à sa mère. «Le jour où j’ai eu mes règles, dans les années 50, elle m’a donné une serviette hygiénique en coton spongieux, sans explications. Si je demandais comment une femme tombait enceinte, elle me disait : "Ah, y’a que ça qui t’intéresse !" Je me suis débrouillée comme je pouvais, on n’avait pas de livres.» Les connaissances sur les règles circulaient via le bouche-à-oreille, se souvient son mari : «J’ai découvert ce qu’on appelle aujourd’hui le syndrome prémenstruel vers 14-15 ans, car un copain avait eu vent de telle info, un autre avait entendu autre chose, puis on faisait la synthèse ! Quand ma grande sœur n’était pas de bon poil, je savais donc que c’était à cause de ses règles.» Solène, 32 ans, n’a pas cru nécessaire de parler de ses douleurs, qu’elle considérait comme normales. Mais son SPM cachait une endométriose, maladie chronique liée à la présence anormale de tissu utérin qui aurait dû être évacué lors des règles. «Je trouve qu’on n’en parle pas assez», conclut-elle.
Dans le meilleur des cas, le syndrome prémenstruel s’arrête naturellement. Pour Elise, qui restait chaque mois couchée au lit pendant un ou deux jours, les symptômes ont disparu lorsqu’elle est tombée enceinte. Chez d’autres, la pilule l’atténue ou le fait disparaître. «Mais il arrive que les hormones de synthèse aggravent le SPM, même s’ils bloquent le cycle», signale Bérengère Arnal, qui mise plutôt sur l’action des plantes à action progestérone ou alors oestrogénique - la patiente doit alors s’assurer de leur compatibilité avec un autre traitement. Certaines plantes ciblent les maux de tête (aubépine), d’autres les douleurs des règles (l’achillée millefeuille).«Même les gros cas de SPM peuvent être soulagés par beaucoup de comprimés, de plantes, d’homéopathie», assure la gynécologue. Il est par ailleurs recommandé d’éviter les boissons excitantes, le sel et les aliments qui retiennent l’eau, de prendre du magnésium et du calcium mais d’éviter les produits laitiers, d’arrêter la cigarette ou de pratiquer le sport pour réduire le stress. Pour Maryama, c’est la méditation qui l’a «aidée mentalement à ne pas [s]e laisser submerger et à comprendre d’où venait la douleur». Les femmes interrogées mentionnent aussi l’importance de prendre leur SPM avec humour. Pour libérer de la dopamine, l’hormone du sourire.
(1) Ed. La ville brûle
(2) Nouvelle parue dans le recueil Balades irlandaises aux éditions France Loisirs
(3) Ed. Thierry Souccar
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