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mardi 29 décembre 2020

Fermetures de lits à l’hôpital : l’inquiétude remonte chez les soignants

Après la première vague de l’épidémie de Covid-19, Olivier Véran s’était engagé à mettre fin au « dogme » des réductions des capacités des établissements. Sur le terrain, les syndicats estiment que rien n’a changé, pour l’instant. 

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Publié le 28 décembre 2020

Lors de l’allocution télévisée de Jean Castex sur la situation épidémique, visionnée à la polyclinique Jean-Villar, à Bruges (Gironde), le 3 décembre.

Les fermetures de lits dans les hôpitaux, dans le cadre des projets de restructuration, sont-elles vraiment de l’histoire ancienne ? Au plus fort de la première vague de l’épidémie, en avril, le directeur de l’agence régionale de santé (ARS) du Grand-Est, Christophe Lannelongue, a eu le malheur de défendre le plan alors en cours au CHRU de Nancy, qui comprenait des centaines de suppressions de lits et de postes. Une faute politique, en temps de Covid-19.

Le haut-fonctionnaire a été remercié, quelques jours après ses propos – un limogeage que le Conseil d’Etat a jugé irrégulier, dans une décision du 10 décembre. Le ministre de la santé, Olivier Véran, a assuré dans la foulée que « tous les plans de réorganisation » étaient « évidemment suspendus ». Il n’a cessé de le marteler depuis : c’en est fini du « dogme de la réduction des lits » qui prévalait lors des grands projets de transformation hospitalière.

Mais, huit mois plus tard, sur le terrain, l’inquiétude remonte chez les soignants, les responsables d’hôpitaux, et les élus locaux. « Rien n’a changé », estime-t-on dans les rangs syndicaux : « Les projets se poursuivent comme avant, alors que la crise a bien montré que ce n’était plus possible », clame Christophe Prudhomme, de la CGT Santé. Lui comme d’autres égrènent les plans Copermo toujours en cours à Paris, à Nantes, à Caen, à Nancy… avec 100, 200, 300 suppressions de lits en perspective.

« Projet par projet »

Copermo : ce sigle est devenu synonyme d’économies pour l’hôpital. Le Comité interministériel de la performance et de la modernisation de l’offre de soins hospitaliers a été créé en décembre 2012 pour accompagner les hôpitaux dans leurs « projets d’investissement d’ampleur exceptionnelle », peut-on lire sur le site du ministère de la santé, selon des « critères exigeants en termes d’efficience », de « soutenabilité financière » et de « valeur ajoutée », et dans leurs « trajectoires de retour à l’équilibre ». Autrement dit, de gros projets de modernisation assortis d’un engagement à faire des économies. Une « boîte noire », ironise-t-on chez les hospitaliers. « Personne n’a jamais eu de contacts directs avec eux », rapporte un responsable d’établissement.

Olivier Véran a décidé de sa suppression cet été, lors des annonces du Ségur de la santé, et de son remplacement par un « conseil national de l’investissement », pour valider les projets supérieurs à 100 millions d’euros. « Les projets avancent, les nouvelles modalités d’accompagnement des investissements sont en train d’être expérimentées », assure-t-on au ministère.

De premiers « feux verts » de ce futur conseil sont attendus début 2021 pour des projets revisités à l’aune du nouveau paradigme. Le taux de marge brute à « 8 % » ou encore la réduction automatique d’au moins « 15 % » des capacités en lits ne seront plus l’alpha et l’oméga de chaque projet, assure-t-on au ministère.

Cela n’exclut pas, néanmoins, toute suppression de lits dans les mois à venir : « Le renversement est très clair, il n’y aura plus de critères imposés dans un pur objectif financier d’économies, dit-on au ministère. Ce sera projet par projet, selon les besoins, les projections d’activité et l’évolution de la médecine, qui permet des prises en charge plus courtes, et parfois d’aller vers moins de lits d’hospitalisation complète et plus d’ambulatoire [prise en charge sans hospitalisation] quand cela est pertinent. »

« On ne veut plus l’entendre »

Dans les hôpitaux, où l’on a surtout retenu la « fin » des fermetures de lits, le changement de ligne tarde à se matérialiser. « On en est nulle part », assure Christian Rabaud, président de la commission médicale d’établissement (CME) du CHRU de Nancy, où un rebond épidémique se fait déjà sentir, avec une augmentation des patients Covid depuis plusieurs semaines. « C’est très lourd pour la communauté médicale, actuellement la tête sous l’eau, et qui ne dispose toujours pas de perspectives pour la suite, souligne l’infectiologue. Le Covid a bien montré qu’on ne peut pas éternellement faire plus avec moins. »

Le projet immobilier nancéien, qui représente plus de 500 millions d’euros d’investissement, prévoit le rassemblement du centre hospitalier, éclaté sur plusieurs sites souvent vétustes, sur le site de Brabois, assorti d’une réorganisation, avec 598 suppressions de postes et 179 lits de moins d’ici à 2024.

La direction de l’hôpital et la commission médicale de l’établissement ont repris la copie à la rentrée. Mais les réunions avec l’ARS Grand-Est, toujours accompagnée du cabinet de conseil Capgemini, demeurent « tout aussi bloquées » qu’auparavant, estime le professeur Christian Rabaud. « Les choses ne sont pas claires, on nous demande de continuer à rendre des personnels et des lits pour faire des gains d’efficience, ça, on ne veut plus l’entendre, dit-il. On ne parle toujours pas la même langue, on nous demande encore : “Mais comment vous allez faire pour vous payer ceci ou cela ?” »

D’après la direction de l’hôpital, 500 emplois et 300 lits ont déjà été supprimés dans cette restructuration qui a commencé il y a sept ans – dont 204 postes et 78 lits en 2019 et en 2020. « La situation est assez inconfortable et participe à une certaine morosité, reconnaît le directeur général, Bernard Dupont. Olivier Véran s’est exprimé clairement, mais la déclinaison prend du temps… »

« Lassitude »

« Il est urgent de sortir de l’ambiguïté », insiste Mathieu Klein (PS), maire de Nancy et président du conseil de surveillance de l’hôpital, qui s’oppose à ces réductions de lits et de postes, qu’il entend encore comme une « demande tacite » lors des discussions avec les autorités sanitaires. « La crise due au Covid a engendré une lassitude du monde hospitalier à un niveau inquiétant, personne ne comprend cet attentisme et cette hésitation. »

A l’ARS Grand-Est, on indique que le dossier, retravaillé depuis l’été,est « en cours de finalisation »« en anticipation des nouvelles modalités de gestion des investissements issues du Ségur », intégrant une « appréciation “cousue main” des critères de dimensionnement par rapport aux besoins de santé du territoire et pour tirer les leçons de la gestion de la crise du Covid ». Le projet fera partie des premiers dossiers examinés par la nouvelle instance nationale, début 2021.

« Si c’est pour mettre en place une nouvelle structure qui prendra les mêmes décisions comptables, cela ne va pas être possible », prévient Arnaud Robinet, maire (Les Républicains) de Reims et président du conseil de surveillance du CHU de Reims. L’élu de droite multiplie lui aussi les appels, au plus haut sommet de l’Etat, sans avoir reçu d’« engagement » à ce jour. Ainsi, 184 suppressions de lits sont prévues dans les futurs bâtiments de ce CHU, soit 24 % des capacités, souligne l’édile, initialement favorable au projet. « Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis », dit-il aujourd’hui.

Un nouveau projet est sur la table, assure le professeur Philippe Rieu, président de la CME, sans la centaine de suppressions de lits prévue dans le second bâtiment (la construction du premier est déjà enclenchée). « Nous sommes en train de chiffrer le supplément avec l’ARS, ajoute la directrice générale, Dominique de Wilde. Notre ministre a dit : “Plus de suppressions de lits”. Moi je crois ce que dit notre ministre. »

L’espoir est moindre en Ile-de-France

L’espoir est moindre en Ile-de-France, sur le projet d’hôpital Grand Paris-Nord, porté par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), qui doit rassembler, à l’horizon 2028, les hôpitaux Beaujon (Clichy, Hauts-de-Seine) et Bichat (Paris) à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). « Cela devient très concret », dit le cardiologue Olivier Milleron, qui siège dans les commissions d’évaluation du projet architectural. Mais rien n’a été remis en question, ou presque, d’après le médecin membre du Collectif inter-hôpitaux : sur les 350 suppressions de lits prévues, soit 30 % du total, l’AP-HP a annoncé que 84 lits seraient maintenus, et 94 autres mais sous forme « flexible » « Ça ne nous satisfait pas du tout, on est toujours très loin du compte. »

Le projet ne devrait néanmoins pas avoir besoin de repasser devant une instance nationale : il fait partie de la dizaine d’ex-Copermo les plus avancés, qui ont obtenu validation définitive. Pour ces projets, si des ajustements sont jugés nécessaires, ils pourront être demandés par les directions d’établissement directement auprès des ARS, indique-t-on au ministère. Sollicitée, l’AP-HP n’a pas souhaité répondre à nos questions.

C’est l’ensemble de l’« idéologie » derrière ce projet qu’il faut pourtant remettre en question, dénonce Olivier Milleron, qui signait dans Libération, en mai, une lettre ouverte au président de la République, avec une centaine de collègues et d’usagers : « Le nombre de lits dans le futur hôpital est basé sur un taux d’occupation de ceux-ci à 95 %, avec une durée moyenne de séjour des patients 30 % inférieure à la moyenne nationale, c’est démentiel », dit-il.

Pour le sociologue Frédéric Pierru, coauteur de La Casse du siècle. A propos des réformes de l’hôpital public (Raisons d’agir, 2019), « la crise du Covid a jeté une lumière crue sur l’inanité de cette doctrine d’un hôpital géré “à flux tendu”, sans aucune marge de manœuvre. Nous avons quand même dû confiner le pays parce que notre nombre de lits en réanimation avait toujours été calculé au plus juste », juge-t-il.

La question des ressources humaines

Le « mirage » du virage ambulatoire, qui permettrait sans difficulté de réduire l’hospitalisation, est critiqué de toute part. « C’est vrai que l’hospitalisation peut être plus courte qu’avant pour certaines pathologies, mais nous gardons justement à l’hôpital des malades très lourds, pour lesquels on ne peut pas faire d’ambulatoire », relève Marie-Astrid Piquet, gastro-entérologue au CHU de Caen.

La professeure passe déjà son temps à chercher des places aux patients qu’elle doit hospitaliser. « Nous n’avons jamais un lit vide, une dizaine de nos malades sont en permanence en chirurgie, faute de place dans notre service », rapporte la membre du Collectif inter-hôpitaux. Ici, 200 lits de moins sont prévus dans le projet de restructuration.

Les élus de la région sont montés au créneau, à l’été. La sénatrice centriste du Calvados, Sonia de La Provôté, attend toujours une réponse au courrier envoyé avec quatre autres parlementaires normands du Parti socialiste et de La République en marche, en mai, au ministre de la santé, lui demandant de revoir le projet. « La crise a bien montré combien il était nécessaire d’avoir un volet de lits mobilisables pour l’urgence, insiste l’élue, médecin de profession. Derrière les lits, surtout, ce sont des ressources humaines, qui ne peuvent pas être la “denrée rare” en matière sanitaire. »

A Nantes, où le chantier doit commencer en janvier, un collectif de syndicats, d’associations et de mouvements politiques s’est constitué et a recueilli quelque 2 000 signatures dans une pétition lancée mi-novembre, demandant à mettre « sur pause » le projet de transfert du CHU. « Tant que la première pierre n’est pas posée, on peut encore changer les choses », défend Olivier Terrien, de la CGT, qui dénonce les 202 lits en moins prévu dans ce déménagement sur l’Ile de Nantes, à l’horizon 2026. « Il n’y a eu aucun changement de braquet depuis la crise, lâche-t-il. Les derniers documents de la direction confirment qu’on se dirige vers ces suppressions de lits, alors qu’on est déjà sous-dimensionné. »

A Marseille, le projet de restructuration, déjà très avancé, ne devrait pas être modifié, ce que défend la direction de l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille, malgré les 150 suppressions de lits prévues.

« Dans le cadre actuel des bâtiments, c’est difficile de faire mieux, souligne le directeur général, Jean-Olivier Arnaud. On ne veut pas recommencer un cycle de négociations qui retarderait le début des travaux, cela fait tellement longtemps qu’on attend, nos locaux sont tellement obsolètes… » Le directeur espère obtenir un soutien dans d’autres opérations, dans le cadre du prochain plan d’investissement.



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