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jeudi 31 décembre 2020

« Rendre obligatoire la vaccination de façon insidieuse serait une stratégie risquée »


Le juriste Christophe Alonso questionne, dans une tribune au « Monde », les intentions du gouvernement au sujet du projet de loi sur la gestion des urgences sanitaires, dont l’examen a été repoussé.

Publié le 30 décembre 2020

Une résidente de l’Ephad Les Magnolias à Loos (Nord), reçoit une dose du vaccin Pfizer et BioNTech contre le Covid-19, le 28 décembre.

Tribune. A peine déposé sur la table du conseil des ministres lundi 21 décembre, le projet de loi instituant un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires, enregistré en procédure accélérée à l’Assemblée nationale, soulève de vives réactions. En cause, une disposition projetant d’instiller la contrainte vaccinale dans le cadre de certaines activités de la vie courante.

La disposition à l’origine de la controverse est contenue dans le point 6 de l’article L. 3131-9 qui vise à réformer le code de la santé publique. Elle prévoit que, en période d’urgence sanitaire, le premier ministre pourrait, par décret, « subordonner les déplacements des personnes, leur accès aux moyens de transport ou à certains lieux, ainsi que l’exercice de certaines activités, à la présentation des résultats d’un test de dépistage établissant que la personne n’est pas affectée ou contaminée, au suivi d’un traitement préventif, y compris à l’administration d’un vaccin, ou d’un traitement curatif ».

Cette mesure, inscrite au sein d’un texte visant à établir un cadre juridique durable et 
stable face aux crises sanitaires, est à la fois inquiétante et troublante. D’abord, elle est suffisamment floue en l’état – renvoyant à un décret le soin d’en préciser l’étendue et les modalités d’application – pour semer la panique dans un pays en proie au doute sur la question vaccinale.

Ensuite, elle laisse planer l’incertitude sur les véritables desseins du pouvoir exécutif, en pleine période d’état d’urgence sanitaire prorogé par la loi du 14 novembre 2020 jusqu’au 16 février 2021 et prévoyant, dans la foulée, un régime transitoire de sortie d’état d’urgence courant jusqu’au 1er avril suivant.

Propos contradictoires

Elle s’inscrit, sinon en contrepoint, au moins en porte-à-faux, des propos tenus par le chef de l’Etat lors de son allocution télévisée du 24 novembre, déclarant qu’il ne rendrait pas la vaccination obligatoire. En effet, pourquoi envisager une mesure visant à contraindre telle ou telle catégorie de personnes, en fonction de leurs motifs de déplacements ou des risques que font encourir certaines de leurs activités, à l’administration d’un vaccin qui – on nous l’a dit – ne sera pas obligatoire ? Le gouvernement aurait-il décidé d’avancer masqué sur un sujet pour lequel il a promis une totale transparence ?

Il y a là un paradoxe qui laisse perplexe sur les intentions de nos gouvernants. Faut-il comprendre que, sans être rendue obligatoire en population générale, la vaccination pourrait le devenir pour certaines personnes seulement, ou dans certaines situations uniquement ? L’on songe alors immédiatement aux populations dites vulnérables (résidents des Ehpad ou de centres spécialisés de soins par exemple), aux personnes qui choisiraient d’effectuer un voyage à l’étranger ou désireuses de franchir certaines frontières, ou à celles exerçant des activités à risque de transmission de la maladie (personnels soignants et étudiants en formation de soins).

Mais comment ne pas imaginer alors que cette catégorie puisse être entendue et étendue très largement, compte tenu de la contagiosité du virus, aux restaurateurs, aux enseignants, et de façon plus générale à tout individu travaillant au contact du public ? Une lecture suspicieuse pourrait laisser penser qu’en ciblant ces personnes, contraintes de se faire vacciner pour leurs besoins quotidiens, le projet de loi cherche à contourner l’impossibilité d’une obligation vaccinale généralisée. On passerait alors subrepticement d’une vaccination recommandée à une vaccination qui nous obligerait.

Non-positionnement du Conseil d’Etat

Pour calmer les craintes, Matignon affirme, dans l’étude d’impact accompagnant le texte, que « cette disposition n’a pas vocation à être utilisée dans le cadre de la crise sanitaire actuelle pour instaurer une obligation de vaccination contre la Covid-19. Le recours à une telle prérogative pourrait cependant être particulièrement nécessaire pour faire face à une menace épidémique plus sérieuse encore ». Voilà de quoi rassurer ! Nous n’en sommes donc pas là, mais cette réforme nous projette assurément.

L’avis rendu public par le Conseil d’Etat sur ce projet de loi n’est guère plus rassurant. La haute juridiction administrative, intervenant ici en tant que conseil de l’Etat, prend soin de ne jamais mentionner la formule relative à« l’administration d’un vaccin » contenue dans l’article en débat, alors qu’elle en constitue pourtant l’adjuvant. Cette absence est intéressante en ce qu’elle évite au Conseil d’Etat de se positionner sur un terrain glissant car politiquement sensible sur le plan des libertés.

De plus, lorsqu’il fait allusion au vaccin, au titre d’un traitement préventif, c’est pour préciser qu’une telle mesure « sans être par elle-même assimilable à une obligation de soins » peut, notamment lorsqu’elle « conditionne la possibilité de sortir de son domicile, avoir des effets équivalents ». On comprend mieux, dès lors, pourquoi le Conseil d’Etat avise le gouvernement de préciser les activités ou les lieux concernés. Après tout, chacun son travail ! Il appartient désormais au législateur de combler cette absence de clarté.

Une maladresse de plus

Ce point de réforme apparaît comme une maladresse de plus dans la gestion confuse de la crise sanitaire, susceptible de faire le lit des théories complotistes : justifications ambiguës, procédure accélérée, avis juridique pointant du doigt le risque mais à mots couverts. Il ne nous reste plus, dès lors, qu’à observer l’attitude de nos parlementaires puis du Conseil constitutionnel, derniers remparts de notre démocratie pour clarifier ce qui doit l’être. Le risque, songeons-y seulement, est que le gouvernement escamote une partie du processus législatif et fasse jouer le fait majoritaire, ce qui neutraliserait le débat démocratique.

Quant au Conseil constitutionnel, il pourrait se limiter, comme il a pu déjà le faire, à considérer « qu’il est loisible au législateur de définir une politique de vaccination afin de protéger la santé individuelle et collective » et qu’il ne lui appartient pas « de remettre en cause, au regard de l’état des connaissances scientifiques, les dispositions prises par le législateur ni de rechercher si l’objectif de protection de la santé que s’est assigné le législateur aurait pu être atteint par d’autres voies » que celle de l’obligation vaccinale. Nous assisterions alors à un jeu de dupes qui deviendrait, pour certains, impardonnable.

Sans présager de l’avenir de ce texte, il ravive la question lancinante de la vaccination qui nous divise. La rendre obligatoire de façon insidieuse serait une stratégie risquée. En cette période de fin d’année où le virus progresse, laissons à notre pouvoir exécutif le droit à la présomption d’innocence mais prenons tout de même à la lettre ses propres recommandations, en ne baissant pas la garde.

Christophe Alonso est maître de conférences en droit public à l’université Paris-V-Descartes, membre du Centre Maurice Hauriou pour la recherche en droit public.


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