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dimanche 18 octobre 2020

« Pour moi, cela a signifié la perte de ma féminité » : toujours taboue, la ménopause se vit en silence

Parfois vécue comme un « soulagement », la ménopause reste majoritairement associée à une disqualification sociale liée à la fin de la fécondité.

Par  Publié le 18 octobre 2020

Pour certaines, cela a été « une épreuve douloureuse » ou « un véritable enfer » ; d’autres ont traversé cette « période pénible » avec fatalisme, évoquant « un mauvais moment à passer » ; pour d’autres encore, elle fut synonyme de « délivrance » et d’« apaisement ». Survenant en moyenne entre 45 et 55 ans, le phénomène naturel de la ménopause – marqué par l’arrêt de l’ovulation et la disparition des règles – varie énormément d’une femme à l’autre. La journée du 18 octobre y est dédiée afin de sortir du tabou.

Sur la centaine de témoignages recueillis par Le Monde, certains mots-clés reviennent systématiquement : bouffées de chaleur, sueurs nocturnes, fatigue, irritabilité, troubles du sommeil, baisse de libido, prise de poids… Nathalie, qui vit en Bretagne dans le Morbihan, a par exemple eu l’impression de « passer de 47 à 70 ans en six mois ». La ménopause a provoqué chez elle des douleurs osseuses et articulaires, des problèmes de peau, des irritations vulvo-vaginales et « un bon gros sentiment de déprime ».

Reste que seulement 15 % des femmes ménopausées ou préménopausées déclarent mal vivre le passage à la ménopause, selon une enquête de la Mutuelle générale de l’éducation nationale (MGEN) et de la Fondation des femmes, publiée en février.

Pour la plupart, ce moment de la vie est même plutôt une libération : 59 % des femmes ménopausées y voient autant d’avantages que d’inconvénients, parmi lesquels la fin des contraintes et des douleurs liées aux règles ou la fin de la contraception. « Fini la peur de tomber enceinte ! Ça revient un peu à vivre comme un homme… », s’amuse Christine, 58 ans, une laborantine qui habite dans le Loir-et-Cher.

Un sujet qui se raconte peu

Qu’elle soit vécue comme une souffrance ou comme une renaissance, dans la majorité des cas, la ménopause est vue comme une étape importante. Pourtant, malgré sa portée symbolique forte, elle se raconte peu : si 93 % des femmes en période de préménopause en ont discuté avec au moins une personne (souvent un membre du corps médical), seule une sur deux en a parlé avec son conjoint. Même entre mère et fille, la transmission de cette expérience ne semble pas aller de soi, selon Cécile Charlap, sociologue et autrice de La Fabrique de la ménopause (CNRS éditions, 2019) :

« La ménopause est un apprentissage entre initiées intimes. On l’aborde surtout entre amies ménopausées, et presque toujours pour en souligner les symptômes. La grammaire corporelle et médicale semble la seule valable pour évoquer ce sujet. »

Bien que n’étant pas une maladie, la ménopause « reste néanmoins perçue comme un bouleversement délétère plutôt que comme une évolution biologique naturelle. Le corps ménopausé est avant tout associé à une dégradation, il est affecté d’une sorte de disqualification sociale », affirme encore la sociologue.

Or, depuis le début des années 2010, le corps féminin tend à investir le débat public dans ses dimensions les plus intimes : dénonciation des violences gynécologiques, campagnes contre la précarité menstruelle, représentation du clitoris dans les manuels scolaires, explosion des révélations liées aux violences sexuelles… Nous vivons ce que la philosophe et professeure de science politique Camille Froidevaux-Metterie appelle « le tournant génital du féminisme »Mais pour l’heure, le thème de la ménopause reste invisible.

La « ménopause sociale »

Cécile Charlap y voit deux explications. La première est liée « à la représentation du corps des femmes, associé à l’impureté ou au déséquilibre : le corps féminin, c’est toujours celui qui pose problème ». En cela, menstruations et ménopause sont étroitement articulées. Le tabou des unes déteint sur l’autre. Dans certaines sociétés, les femmes ménopausées acquièrent une liberté de parole et d’action. Toutefois, elles gagnent moins un statut positif qu’elles ne se délestent du statut négatif des femmes réglées, analyse la sociologue dans son livre.

Deuxième raison avancée par Cécile Charlap : l’âgisme (la discrimination fondée sur l’âge), qui frappe davantage les femmes que les hommes. En résumé, une chevelure poivre et sel sera jugée sexy chez les hommes et négligée chez les femmes, même si les mentalités évoluent timidement. « Et comme le féminin se définit par rapport à la fécondité, le vieillissement des femmes est d’autant plus synonyme d’opprobre social, contrairement au vieillissement masculin », note-t-elle. Ne plus saigner, c’est ne plus être capable d’enfanter, et c’est donc, pour certaines, ne plus être tout à fait une « vraie » femme.

C’est comme ça que l’a ressenti Florence, une Parisienne de 54 ans :

« La ménopause m’a douloureusement abattue. Je travaille encore à l’accepter. Cela a signifié pour moi la perte de ma féminité. Je me réjouis de ne plus avoir de douleurs menstruelles, mais, bizarrement, ça me manque… A 49 ans, je me sentais femme et mère. A 51 ans, je me suis sentie comme dépossédée de moi-même. »

Pour Cécile Charlap, ce mal-être est à rapprocher du concept de « ménopause sociale ». Il s’agit de la norme intériorisée enjoignant aux femmes de cesser leur activité reproductrice à partir de la quarantaine alors qu’elles sont encore physiologiquement fertiles.

« Les femmes passent du pouvoir de procréer au devoir de ne plus le faire », remarque la sociologue, qui rappelle que les grossesses dites « tardives » sont souvent associées à un acte égoïste. « Richard Berry, qui a eu un enfant à 64 ans, n’est jamais questionné sur ce choix, contrairement à Monica Bellucci, qui a été mère à 45 ans », illustre-t-elle, alors que l’âge du père compte également, notamment pour la santé mentale du bébé (risques accrus d’autisme, de troubles bipolaires ou encore de schizophrénie).

Evincées du champ de la maternité, les quinquagénaires le sont aussi de ceux de la séduction et de la sexualité. L’idée sexiste selon laquelle les femmes auraient une « date de péremption » a la vie dure, comme l’exprime l’autrice Camille Laurens dans son roman Celle que vous croyez (Gallimard, 2016) : « La différence, c’est que tous les hommes ont un avenir. Toujours. (…) Les hommes meurent plus jeunes. Peut-être. Mais ils vivent plus longtemps. J’ai lu que sur les sites de rencontres, la frontière entre 49 et 50 ans est pour les femmes le gouffre où elles s’abîment. A 49 ans, elles ont en moyenne quarante visites par semaine, à 50 ans elles n’en ont plus que trois. (…) Du jour au lendemain, impropres à la consommation. »

Le risque d’ostéoporose

Au-delà de l’impact social et psychologique, le silence qui entoure la ménopause a des conséquences sur la prise en charge médicale des femmes. « Utilisé à bon escient, pour une durée de cinq à sept ans, un simple traitement hormonal (THM) permet de corriger les symptômes liés à la ménopause et ne présente aucun risque accru de mortalité », affirme la professeure Florence Trémollières, endocrinologue, qui dirige le Centre de ménopause au CHU de Toulouse, la seule structure de ce type en France.

Mal informées sur cette solution, les femmes en début de ménopause sont moins de 10 % à y recourir. Surtout, en 2002, une étude américaine établissait un lien entre THM et cancer du sein. Résultat : ce traitement effraie. Florence Trémollières se veut pourtant rassurante :

« Pour de nombreuses raisons méthodologiques, les risques de cette étude ont été surévalués, ou tout au moins ne sont pas applicables aux femmes françaises en début de ménopause. De nouvelles analyses, publiées dans des revues scientifiques très sérieuses, soulignent les bénéfices de ces traitements lorsqu’ils sont prescrits au commencement de la ménopause chez les femmes qui le nécessitent. »

On estime par ailleurs qu’environ un tiers des femmes ménopausées présente une ostéoporose (une maladie du squelette qui augmente le risque de fractures) en raison de la baisse brutale du taux d’œstrogènes, hormones préservant la masse osseuse. La proportion est également d’une femme sur trois pour les risques cardio-vasculaires. « C’est pour ça que je suis favorable à ce que toutes les femmes aient une consultation dédiée au début de leur ménopause afin d’identifier ces risques, plaide la professeure Trémollières. Et si les patientes n’osent pas aborder ce sujet, c’est aux médecins de le faire. »



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