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Nous avons dû réinventer nos manières de nous saluer en période de pandémie. Fini la sacro-sainte bise à la française, les serrages de main quotidiens et les accolades amicales. Vive les saluts venus d’Inde, de Chine ou d’Afrique, les checks les plus inattendus. Quel bonjour utilisez-vous ? Ce choix est révélateur de votre vision du monde et du rapport éthique entre les êtres. Les philosophes de l’école phénoménologique nous aident à y voir plus clair…
1/Le signe de la main
Il faut d’abord distinguer deux tribus : ceux qui restent à distance et ceux qui acceptent ou réclament le contact. Ils forment deux écoles différentes. La première est celle du respect absolu de l’altérité. Son principal représentant est le phénoménologue du XXe siècle Emmanuel Levinas. Selon lui, alors que la philosophie occidentale a toujours eu tendance à assimiler l’Autre au Même, il faut pleinement reconnaître que l’autre personne restera distante de moi de manière irréductible. Alors que la prendre dans ses bras ou la couvrir de baisers mime un acte d’absorption, le salut de loin reconnaît pleinement l’altérité. Je ne pourrai jamais t’ingérer, te comprendre complètement, te ramener à moi semble dire le salut de la main.
Accepter la séparation ne signifie pas prendre de la distance. Quand on secoue les deux mains en même temps de façon un peu trop frénétique, c’est vrai qu’on risque de manifester une certaine répulsion (surtout si votre interlocuteur s’apprête à vous sauter au cou). Mais le salut à distance exprime avant tout un respect pour l’altérité. En ce sens, il n’est pas un geste de rejet. Il est ce que Levinas appelle « un rapport éthique » (Totalité et Infini), en tant que je reconnais l’autre comme quelqu’un de libre : « l’étrangeté d’autrui, sa liberté même ». Il est « l’accueil de front et de face de l’Autre par moi ». Si on l’accompagne de paroles amicales, on peut même dire avec Levinas que « reconnaître Autrui c’est donner ».
2/Le salut à l’indienne
C’est une version orientaliste et appuyée de l’hommage à l’altérité. Reproduisant le namasté (« bonjour » en sanskrit), il nous emmène en Inde. Mais on peut aussi y voir un approfondissement de la pensée de Levinas. Ce dernier, avec son exaltation de l’altérité, nous dirige en effet vers une dimension plus théologique. Ce qu’il appelle la transcendance de l’autre nous renvoie in fine à l’Autre dans sa plus pure acception : Dieu. Avec le geste de joindre les mains comme pour une invocation, avec la légère inclination de la colonne vertébrale, on reconnaît dans l’autre quelque chose qui nous dépasse tous les deux, le Grand Autre, transcendant, « jusqu’à l’absence » écrit Levinas, invisible et pourtant présent en filigrane dans toutes les relations éthiques entre les êtres. Vous l’avez compris : si vous optez pour le namasté, restez souriant et non violent…
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