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jeudi 17 septembre 2020

«Avec votre ADN, je peux raconter des choses sur l’histoire de l’humanité»

 

Pour la chercheuse Evelyne Heyer, la génétique permet de voyager dans le temps et dans l’espace. Il est en effet possible de retrouver au sein du génome humain les traces des migrations passées et des pratiques culturelles transmises sur plusieurs générations.

Notre ADN est une macromolécule fascinante. Elle contient l’information génétique qui va influer sur nos caractéristiques physiques, notre développement et tant d’autres aspects de notre vie. C’est aussi un héritage, celui de nos parents qui nous transmettent chacun la moitié de leur propre ADN, mais aussi de toutes celles et tous ceux qui étaient là avant, nos ancêtres. «Nous sommes les descendants d’un ensemble de gens qui, sur plein de générations, se sont reproduits.» C’est trivial, certes, mais lorsque c’est Evelyne Heyer qui le dit, cette réalité qui peut sembler basique prend une tout autre dimension.

Professeure en anthropologie génétique au Muséum national d’histoire naturelle, elle cherche à lire dans notre ADN l’histoire de l’humanité et veut comprendre comment les spécificités culturelles transmises à travers les âges se retrouvent inscrites dans notre génome. C’est cette histoire, notre histoire commune, qu’elle raconte dans son livre l’Odyssée des gènes (Flammarion).
Comment pourriez-vous nous définir «l’anthropologie génétique» ?
C’est l’étude de l’évolution et de la diversité biologique et culturelle de l’homme et des sociétés humaines. En ce sens-là, c’est un peu différent d’une autre discipline proche, «la génétique des populations», où il s’agit davantage d’analyse génétique pure. Dans l’anthropologie génétique, le terrain est fondamental. C’est en allant à la découverte des différences qu’on peut comprendre les mécanismes universaux dans notre diversité et dans notre évolution. Si on me rapporte juste des échantillons à analyser, je n’ai aucune idée du contexte culturel.
A partir d’un échantillon, je ne sais pas quelle langue parle l’individu, avec qui il s’est marié, comment ses parents se sont rencontrés, quelle musique il joue, etc. Il faut récolter à la fois des données culturelles et des données génétiques. C’est ça qui fait la force de l’anthropologie génétique, le mélange de ces deux grands champs disciplinaires : la biologie et les sciences humaines.
Les gènes n’expliquent évidemment pas la culture, mais vous cherchez à comprendre comment les deux interagissent…
C’est ça. On se rend compte que si on veut comprendre la diversité humaine, il faut tenir compte de la culture. Il y a d’une part l’aspect anthropologique et sociologique qui concerne les systèmes de parenté ou l’aspect linguistique. De l’autre, il y a l’aspect plus biologique. On a beaucoup travaillé autour de l’alimentation. En fonction de l’alimentation choisie, il y aura une évolution génétique en réponse. L’exemple le plus classique, c’est la lactase. Ce sont les populations qui se sont mises à utiliser le lait frais dans l’alimentation qui ont sélectionné des mutations qui permettent de digérer le lait une fois adulte.
Des mutations différentes ont été sélectionnées en Europe du Nord, au Moyen-Orient, en Afrique. Ce genre de phénomènes est bien connu depuis les années 70-80, même si on en saisit mieux les mécanismes aujourd’hui. Ce qu’il y a de vraiment nouveau, c’est que l’on regarde comment la génétique est aussi dépendante de phénomènes plus sociaux.
Comment fonctionne cet aller-retour, ce dialogue, entre les cultures et les gènes ?
Du point de vue de la diversité culturelle, chaque groupe humain aime se différencier du groupe d’à côté. Il aime avoir des traits culturels qui lui sont spécifiques, différents de ceux des voisins. Ça peut être la musique, le fromage, telle équipe de foot, ou la langue. On observe souvent, une espèce d’endogamie, le souhait de se marier à l’intérieur de son groupe. Et puisque le hasard amène sans arrêt des petites mutations génétiques, celles-ci vont être conservées à l’intérieur du groupe.
Cette appartenance va donc se retrouver dans l’histoire que vont nous raconter les gènes. Aucun groupe humain n’est complètement isolé, aucune culture n’est jamais étanche. Pourtant, certaines préférences émergent : se marier entre voisins, ou au contraire aller chercher plus loin des points communs. Ainsi, en Angleterre, on constate des différences génétiques entre les Cornouailles et le Devon, alors que ce sont deux régions voisines que rien ne sépare. A l’inverse, entre l’Irlande du Nord et l’Ecosse, les profils génétiques sont très semblables ; la mer n’a pas du tout été un frein au mariage. Tout cela, ce sont des éléments de la culture.
Les progrès récents de la génétique permettent-ils de dire avec certitude que le berceau de l’humanité situé est en Afrique ?
Si on retrace l’histoire des recherches, d’abord, on a commencé à utiliser, il y a une vingtaine d’années, les empreintes génétiques, celles qu’on utilise aussi dans la police scientifique. Différentes équipes ont alors échantillonné à travers le monde et ont constaté que les profils génétiques recueillis à l’extérieur de l’Afrique étaient un sous-ensemble de ceux qu’on trouve sur ce continent, ce qui démontre formellement notre origine africaine. Dans un second temps, les chercheurs ont eu accès à beaucoup plus de séquences génétiques et ont réussi à les dater de plus en plus finement.
On a pu confirmer que les gens qui vivent à l’heure actuelle à l’extérieur de l’Afrique sont les descendants d’individus Homo sapiens qui sont sortis de ce continent, il y a 60 000 ans ou 100 000 ans, selon les estimations. Et puis, il y a cinq ans ou dix ans, on a commencé à pouvoir extraire l’ADN de fossiles ou de restes de squelettes, ce qu’on appelle «l’ADN ancien». Grâce à cette technologie, on a réussi à analyser de l’ADN de Néandertal datant de plus de 50 000 ou 100 000 ans.
La génétique actuelle permet donc de reconstituer la conquête de la planète par Sapiens, étape par étape…
C’est ça. On arrive à retracer d’où viennent les populations et surtout à identifier les mélanges. Ce qu’on voit, c’est qu’il y en a tout le temps eu. Il faut voir l’ADN comme une grande pelote de laine qu’on coupe en petits bouts, et chaque petit bout nous raconte un mélange différent. Avec nos techniques et nos modèles sophistiqués, on arrive à peu près à dater quand ont eu lieu ces migrations. L’idée qu’avec de l’ADN actuel, on arrive à reconstituer le passé, est quelque chose de très difficile à appréhender. Ce n’est pas naturel. Pourtant, avec votre ADN, je peux raconter des choses sur l’histoire de l’humanité. Dans mon travail, je ne le fais pas au niveau des individus, mais au niveau des populations.
L’histoire de l’humanité, c’est l’histoire des migrations…
Oui, et l’histoire des stabilités. Ainsi au Tibet, les hommes ont eu besoin de plusieurs générations pour s’adapter à l’altitude, pour que cette capacité soit inscrite dans leurs gènes. Même chose pour l’adaptation au lait. On voit donc les migrations, mais on voit, en même temps, qu’il y a des stabilités sur un grand nombre de générations.
Cette dualité est intéressante : il n’y a pas de population figée au même endroit pendant des millénaires sans voir arriver des migrants, mais on n’est pas non plus dans un mouvement totalement chaotique où tout le monde bouge sans cesse en tous sens.
Vous expliquez qu’il y a un intérêt biologique, pour notre espèce, à ce que les êtres humains se mélangent…
Dans toutes les espèces, animales ou végétales, la migration est nécessaire. Une espèce ou un groupe qui reste isolé s’appauvrit génétiquement au fil des générations. Les migrations sont fondamentales pour maintenir la diversité génétique, et pour bénéficier, par chance, de mutations qui permettront de résister à de nouveaux pathogènes ou de nouvelles conditions d’existence.
Quel est le lien entre le récit des historiens et le vôtre ?
La génétique n’est pas là pour apporter une quelconque forme de vérité aux historiens. Dans mon laboratoire, nous construisons les questions avec des archéologues en fonction de ce que nous pouvons résoudre. Nous concevons les projets ensemble. Pour ma part, je fais des enquêtes ethnologiques pour comprendre le contexte culturel des populations actuelles, mais si on veut étudier le passé, ce sont les archéologues qui connaissent les modes de vie des populations d’alors. On a, en ce moment, un beau projet cherchant à retracer ce qui s’est passé en Ile-de-France du Néolithique à nos jours. On a donc échantillonné différents sites, à différentes périodes pour observer les continuités et les différences. Depuis quatre ans ou cinq ans, nous pouvons amener un outil aux archéologues pour qu’ils trouvent des informations auxquelles ils n’avaient pas accès. Ça va devenir un outil génial, au même titre que le carbone 14 qui a révolutionné l’archéologie.
Avec la génétique, on peut travailler sur l’ADN en entier…
…si on a l’argent pour le faire. Et en France, on a beaucoup de mal à obtenir cet argent. Les gouvernements successifs se sont tous engagés à consacrer 1 % du PIB à la recherche, mais on ne l’a jamais eu. Nous avons pourtant, en France, les capacités intellectuelles et technologiques de conduire des recherches poussées, mais nous manquons cruellement de moyens.
Je comprends qu’on puisse dire qu’on s’en moque, finalement, de retracer l’histoire des populations, mais je crois profondément que la quête des ancêtres, savoir d’où l’on vient, est une question fondamentale. Ça intéresse tout le monde, tous les humains partout sur la planète. Je m’en suis rendu compte quand j’ai fait du terrain.
Avoir un récit de notre histoire, ça permet de mieux vivre en société, de mieux connaître comment on s’est construit. Ça participe à un apaisement social. Je veux raconter l’histoire des gens qui ne sont pas dans les écrits, l’histoire de tous nos ancêtres qui se sont reproduits.
Recueilli par Erwan Cario 
évelyne Heyer L’Odyssée des gènes Flammarion 388. pp.

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