Malgré les risques potentiels sur le terrain, les universités ou écoles qui proposent des diplômes préparant à des carrières dans le secteur humanitaire attirent toujours de jeunes aspirants.
« Aider les populations qui en ont le plus besoin, c’est le but de ma vie. » Clémence Petton, 23 ans, le dit sans exaltation mais fermement. L’assassinat de six jeunes Français de l’ONG Acted et de leur accompagnateur, dimanche 9 août au Niger, ne la dévie en rien de la ligne qu’elle s’est fixée : aider les plus démunis, même dans les zones les plus dangereuses.
Ce vendredi de septembre, c’est probablement sa dernière rentrée sur les bancs d’une école. Avec elle, ils sont une trentaine d’étudiants à suivre le premier cours de l’année du master de « management de la solidarité » de l’Ircom, une école privée spécialisée dans la formation d’humanitaires « de terrain », située près d’Angers (Maine-et-Loire). « Il y a trente ans, les hommes et les femmes qui partaient en mission humanitaire dans des zones en conflit étaient des têtes brûlées, sans formation adaptée », affirme Christine Aubrée, directrice du pôle formations de l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), école qui compte parmi ses élèves nombre d’aspirants à des carrières dans l’humanitaire.
Des candidats très diplômés
Aujourd’hui, les ONG recrutent des candidats à l’image des six jeunes tués au Niger : des individus très diplômés, qui doivent être entraînés à l’analyse des enjeux locaux. Des jeunes toujours plus nombreux à aspirer à ces carrières, formés dans des licences ou masters à l’université, ou dans des grandes écoles. Mais aussi dans la poignée d’écoles privées spécialisées dans les métiers de l’humanitaire, qui délivrent une formation axée sur la préparation au terrain et l’organisation de l’aide d’urgence.
Car apporter de l’aide est un métier auquel on se prépare. Dans ces formations spécialisées, savoir évaluer la sécurité d’une situation est un enjeu clé. « Les Occidentaux qui viennent travailler dans ces zones en conflit sont des cibles », prévient Ghislain Bregeot, directeur de l’Institut de formation et d’appui aux initiatives de développement (Ifaid), situé près de Bordeaux (Gironde). Il faut alors apprendre à remettre en question ses propres perceptions. « C’est le syndrome de la grenouille. Si vous la plongez dans une eau frémissante, elle s’échappe. Si vous la plongez dans une eau froide et que vous faites monter la température, elle meurt. On s’habitue au danger. La difficulté est de réanalyser chaque jour la situation. Il faut ne jamais se sentir en sécurité », explique tristement Gilles Collard, directeur de Bioforce, centre de formation spécialisé dans l’humanitaire, situé à Venissieux (Rhône). L’institut compte deux de ses anciens étudiants parmi les victimes.
Apprendre à gérer le danger
Comprendre comment gérer une situation de danger extrême, « se confronter aux capacités de résilience et de coordination des équipes, fait aussi partie des apprentissages », explique Marion, diplômée du master « Peace studies » de l’université Paris Dauphine, spécialisé dans les conflits géopolitiques. L’une des victimes de l’attentat du 9 août en était diplômée. Les étudiants doivent se soumettre durant leur cursus à des situations de kidnapping, de braquage, des reconstitutions de check-point tenu par des hommes armés. « Les y exposer, c’est leur apporter des clefs comportementales, note Olivier Routeau, directeur pédagogique de l’IRIS. Le gars qui te braque avec son fusil-mitrailleur, c’est souvent quelqu’un qui flippe. Il ne faut pas faire le geste qui le poussera à appuyer sur la gâchette. » A l’Ircom d’Angers, c’est l’école du génie de l’armée de terre qui forme les étudiants à gérer les situations les plus difficiles, de plus en plus banales dans la région du Sahel. Dans le cas des assassinats du 9 août, « les victimes n’ont pas fait d’erreur, note le directeur pédagogique de l’IRIS. C’était une exécution. Il n’y avait pas de marge de manœuvre. »
« Nous sommes en capacité de leur apprendre de 20 % à 30 % de la matière. Le reste se fera avec de l’expérience », Simon Brabant, directeur de l’école 3A, à Lyon
Pour les étudiants, se former à l’action humanitaire depuis la France, c’est apprendre à « faire une analyse de risque du territoire », explique Olivier Routeau. Mais aussi comprendre « les crises qu’ont traversées les pays dans lesquels ils vont débarquer, appréhender la culture et les antagonismes qui se sont créés, maîtriser l’histoire des ethnies pour être en capacité d’entrer dans la logique des personnes qu’ils veulent aider », explique Johan Glaisner, directeur de l’Ircom. Cette formation des futurs humanitaires est aussi économique et sanitaire. « Un paludisme mal géré peut mettre à bas une mission », souligne Olivier Routeau. Il faut donc savoir où on va, mais aussi avec qui et pour qui. Les protocoles de sécurité divergent selon les organismes, certains n’autorisent pas, au Niger, les déplacements des humanitaires hors de la capitale sans une escorte armée.
Retours d’expérience
Pour faire passer leurs messages, les écoles multiplient les témoignages et retours d’expériences. « Tous nos formateurs ont été, ou sont, en situation d’agir sur le terrain », assure Gilles Collard, de Bioforce. « Des hommes et des femmes de terrain viennent exposer les situations compliquées qu’ils ont connues et comment ils les ont gérées », abonde Johan Glaisner, de l’Ircom.
Olivier Routeau, directeur pédagogique de l’IRIS, est également responsable des urgences de l’ONG Première urgence internationale : il tente d’adapter le contenu de ses formations au plus près des besoins du terrain. « Mais se préparer, ce n’est pas vivre les choses, rappelle Simon Brabant, directeur de l’école 3A, à Lyon. Nous sommes en capacité de leur apprendre de 20 % à 30 % de la matière. Le reste se fera avec de l’expérience. »
Les premiers contacts avec la réalité du métier ont lieu lors de stages qui rythment les cursus. Le terrain, les étudiants en master de l’Ircom d’Angers le connaissent déjà tous. Clémence Petton, après une licence de droit, a passé une année en République démocratique du Congo dans un centre d’alphabétisation. Clothilde de Solages, 24 ans, est allée en Jordanie pour venir en aide aux familles qui fuyaient l’Organisation Etat islamique tandis que Bastien Siodac, à 21 ans, a passé deux ans en Asie, au Népal, puis aux Philippines, pour secourir des enfants démunis… Ils ont tous bourlingué sur des terrains difficiles, et reviennent en cours pour parfaire leur formation.
Risquer sa vie
Paul Leclerc, 24 ans, titulaire d’un master de relations internationales de Sciences Po, est venu à l’Ircom pour compléter son cursus. « Le management de l’humanitaire, c’est aussi maîtriser des outils de gestion, de comptabilité, des compétences en ressources humaines indispensables à la gestion d’une équipe. » Son projet pour les prochaines années : l’aide d’urgence. « Je veux que mon travail réponde à un besoin immédiat et pouvoir l’apporter sans condition ». Tous sont prêts à partir. « Ces jeunes veulent que leur vie ait du sens, mais le simple fait d’être français peut faire d’eux une cible », répète Ghislain Bregeot.
L’attentat du Niger les a amenés à réinterroger leur choix de carrière. « Ce qui m’a surpris, c’est l’âge des victimes [de 25 à 30 ans pour les Français]. Le plus jeune avait 25 ans, témoigne Paul. j’ai 24 ans. A une année près, ce n’est pas loin d’être moi. »
« Nous ne partirons pas le nez au vent, nous pouvons choisir les organisations en fonction des missions et des règles de sécurité appliquées », Clothilde de Solages, en master à l’Ircom d’Angers
La question se pose et se repose : cela vaut-il le coup de risquer sa vie ? En 2019, 125 humanitaires ont été tués, 234 blessés et 124 kidnappés selon l’Organisation des Nations unies (ONU), soit une hausse de 18 % des attaques par rapport à 2018. « Cela fait longtemps que j’ai choisi ce métier, répond Clothilde de Solages. Ce drame m’a permis de remettre en question mon choix, mais en ayant encore plus conscience des risques. Et la réponse est toujours la même : il y a des populations qui ont besoin d’aide, donc il faut que j’y aille. »
« Le risque ne doit pas être un frein dans le choix de nos carrières », poursuit Bastien Siodac. « Mais nous ne partirons pas le nez au vent, modère Clothilde, nous pouvons choisir les organisations pour lesquelles nous travaillerons en fonction des missions et des règles de sécurité appliquées. Après ce drame, nul doute que les ONG les révisent. » « Il faut être prêt au pire, c’est un engagement proche de celui du soldat. Il y a quelque chose de particulier qui nous anime », lâche Paul, qui reconnaît qu’il n’y a jamais « de risque zéro » dans l’humanitaire d’urgence.
Selon Thierry Allafort-Duverger, directeur général de Médecins sans frontières (MSF), le maintien des missions humanitaires dans les zones à risques passe par le renforcement des formations.
De nombreux jeunes s’engagent dans des études qui forment aux métiers de l’humanitaire. Quel profil faut-il avoir pour prendre cette voie ?
Il faut avoir l’envie de venir en aide aux personnes les plus démunies, mais pas seulement. Pour être humanitaire, il faut également avoir un goût prononcé pour l’aventure et un intérêt pour les autres, pour les rencontres. Et puis, il faut accepter la dangerosité du métier, c’est d’ailleurs le rôle des ONG d’informer sur les risques auxquels ces jeunes peuvent être exposés. L’engagement de chacun naît d’un consentement éclairé. C’est aussi là que les écoles jouent un rôle. Un humanitaire doit avoir des connaissances géopolitiques, une compréhension des contextes des territoires ou sont menées les missions.
Aider les plus démunis est souvent le moteur de ces étudiants. Cela ne présente-t-il pas le danger de s’exposer à des risques en étant déconnecté de la réalité du terrain ?
Ni MSF ni une autre ONG ne laisseront un individu prendre seul une initiative téméraire, même si, parfois, l’institution peut être plus téméraire que l’individu. Mais nous faisons très attention à mesurer la volonté de s’engager au regard des risques qui sont pris. D’ailleurs, lorsque notre maternité a été attaquée, en mai, à Kaboul, en Afghanistan, qu’une collègue a été tuée et de nombreuses patientes massacrées, nous avons préféré nous retirer.
Peut-on améliorer les formations des futurs humanitaires ?
Nous sommes régulièrement en discussion avec les établissements. Nous leur demandons de coller au plus près des réalités du terrain afin de pouvoir en permanence s’adapter. Mais le gros du métier s’apprend sur place. Pour les hommes et les femmes qui veulent s’engager avec nous, nous tentons d’organiser un parcours progressif afin qu’ils soient entourés de volontaires expérimentés et de leur apprendre la sécurité. Surtout, il y a de plus en plus de lieux où nous ne pouvons pas envoyer d’Occidentaux pour des raisons de sécurité, notamment au Sahel. Il faut savoir que 90 % de nos équipes sont issus des pays dans lesquels nous intervenons. La connaissance d’un lieu ne se fait qu’avec des gens nés sur place. Il est important que ces personnes aient accès localement aux formations. Des initiatives ont été prises dans ce sens en Afrique, comme celle de Bioforce, qui a monté une antenne à Dakar au Sénégal.
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