Les personnels d’établissements accueillant des personnes âgées déplorent le manque de consignes au niveau national.
« Le pire est à venir », elle en est sûre. Sa gorge se noue quand elle imagine le virus « arriver dans nos structures gériatriques. Ce sera terrible ! », dit-elle. Séverine Laboue dirige le groupe hospitalier Loos-Haubourdin, un ensemble de 285 lits pour personnes âgées répartis sur deux sites dans la périphérie lilloise.
Pour protéger ses résidents, elle a mis en place une batterie de mesures : installation de bidons de solution hydroalcoolique à l’entrée et dans les couloirs ; désinfection renforcée des surfaces et des poignées de porte. Elle a commandé 2 000 masques chirurgicaux qui s’ajouteront aux 300 boîtes déjà stockées, a supprimé les animations et les sorties. Mais elle pressent que cela ne suffira pas
Mercredi 4 mars, Mme Laboue a annoncé à ses équipes, réunies en « cellule de crise », sa décision de fortement restreindre les visites des familles. Dorénavant, les portes de son Ehpad ne s’ouvriront aux proches qu’un après-midi par semaine, tous les quinze jours, et sur rendez-vous. Elle s’attend à ce que le ministère de la santé annonce le passage en phase 3 qui correspond au stade de « l’épidémie ».
Comme elle, d’autres chefs d’établissement pour personnes âgées anticipent une aggravation de la situation. « Une fois passé la fête des grands-mères [dimanche 1er mars], on a décidé de fermer aux visites nos quatre établissements dans le Val-d’Oise et dans l’Oise », explique Antoine Liogier, à la tête d’un groupe privé familial. Deux de nos infirmiers portent un masque et des gants », poursuit son épouse Marie-Anne Liogier, directrice de l’Ehpad Saint-Régis, à Compiègne (Oise). Tous deux habitent Crépy-en-Valois (Oise), l’épicentre de la contamination au Covid-19 dans le département.
« Du retard à l’allumage »
A Crépy-en-Valois, « la situation m’inspire la plus grande inquiétude, confie au Monde Philippe Marini, le maire (Les Républicains, LR) de Compiègne. Ce qui se passe au sein de l’hôpital gériatrique de Crépy est abominable. » Quarante personnes y souffrent d’infections respiratoires aiguës. Parmi eux, cinq résidents et deux agents ont été reconnus, lundi, porteurs du SARS-CoV-2. « L’ensemble des patients et résidents présentant des symptômes seront testés mercredi 4 et jeudi 5 mars », indiquait, mardi, la directrice de l’établissement crépinois, Marie-Cécile Darmois.
Crépy-en-Valois et d’autres communes alentour font partie d’une zone où le ministère de la santé vient de proscrire les visites des familles dans les Ehpad. Elles sont également interdites dans une partie du Morbihan et de la Haute-Savoie, où les patients contaminés sont les plus nombreux. A l’échelle de la France entière, le ministère recommande également que les enfants ne soient plus admis dans les établissements pour personnes âgées, considérant qu’ils peuvent être porteurs sains du virus.
Jusqu’à ces derniers jours, les directeurs d’Ehpad déploraient « le manque de consignes spécifiques » de la part du ministère de la santé pour les aider à enrayer le virus. « Le gouvernement a eu du retard à l’allumage, déplore Laurent Garcia, cadre de santé au sein de l’Ehpad Les Quatre saisons, à Bagnolet (Seine-Saint-Denis). « Le secteur n’a pas été le premier sujet de préoccupation du ministère », déplore un interlocuteur régulier du ministère.
« On ne peut plus attendre »
Mardi, Olivier Véran, ministre de la santé, et Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, ont manifesté leur soutien au secteur médico-social en conviant au ministère les représentants du secteur du grand âge, du handicap et de la petite enfance, l’Assemblée des départements de France et l’Association des maires de France.
« Une bonne réunion, salue Florence Arnaiz-Maumé, déléguée générale du Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées (Synerpa). Le ministre a promis d’envoyer un guide sur les conduites à tenir dans les quarante-huit heures et de nous réunir chaque semaine pour faire le point. »
Face à la propagation du coronavirus, les professionnels attendent des messages clairs des pouvoirs publics pour proposer des réponses graduées selon le nombre de cas dans un Ehpad et les capacités d’accueil des hôpitaux : que faire si un résident en Ehpad est contaminé ? Doit-il être hospitalisé ? Comment le soigner sur place ?
« On ne peut plus attendre, insiste Marc Bourquin, conseiller stratégie de la Fédération hospitalière de France. Il nous faut une doctrine nationale très très vite. » « Mardi, on a posé beaucoup de questions mais on n’a pas eu toutes les réponses », résume Jean-Christian Sovrano, directeur de l’autonomie à la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs.
L’inquiétude est forte concernant l’approvisionnement en masques. « Nous avons des stocks pour tenir entre quinze jours et quatre semaines selon les établissements. Mais à quel moment allons-nous être prioritaires pour les réassorts ?, s’interroge Mme Arnaiz-Maumé, au nom du Synerpa. Si un résident est touché par le virus, il faudrait l’équivalent de 150 masques très protecteurs (FFP2) chaque jour dans un établissement de cent lits. »
Droit de retrait
S’ils sont sur le qui-vive, les directeurs d’Ehpad s’efforcent toutefois de ne pas être alarmistes. « La situation est suffisamment anxiogène pour ne pas en rajouter, relève Céline Boreux, directrice de l’Ehpad public de la Seigneurie, qui compte 280 lits à Pantin (Seine-Saint-Denis). On sait qu’on n’a pas le droit à l’erreur, mais on est rodés. On fait face depuis longtemps aux épisodes de grippe, de gastro-entérite, sans parler des canicules. »
Les représentants du secteur du domicile estiment, pour leur part, être les « grands oubliés » du dispositif national. « Nos salariés réclament des masques. Il faut les sécuriser », a indiqué Thierry d’Aboville, secrétaire général de l’Union nationale de l’aide à domicile en milieu rural (ADMR). De plus en plus d’aides à domicile menacent d’exercer leur droit de retrait, constatent les professionnels du secteur.
Une femme de 89 ans décédée au CHU de Compiègne dans la nuit de samedi à dimanche a été diagnostiquée, après sa mort, porteuse du virus. Les aides à domicile qui lui rendaient visite régulièrement ont été placées en quarantaine. La défunte habitait Crépy-en-Valois.
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