Pour vivre leur sexualité, des handicapés français doivent recourir aux « prestations » des accompagnant(e)s sexuel(le)s d’une association belge. Car, dans l’Hexagone, où le débat vient d’être relancé, la pratique est illégale. Et taboue.
L’un, tétraplégique, a déménagé en Belgique pour pouvoir bénéficier de ses services ; l’autre, deux jours avant d’être euthanasié dans un hôpital bruxellois, a pu satisfaire son désir d’une dernière relation charnelle. Ces deux Français sont entrés en contact avec l’association belge Aditi, qui a pu leur apporter l’aide qu’ils espéraient. Bernard, un Wallon atteint depuis quarante ans d’une sclérose en plaques qui l’a rendu triplégique, a fait, lui aussi, il y a quelques années, « la découverte indescriptible » que certains de ses sens pouvaient être ranimés, que sa souffrance s’en trouvait diminuée et qu’il retrouvait le moral grâce à une « accompagnante sexuelle ».
Aditi – déesse mère dans l’hindouisme – est née en 2014 sur le modèle d’associations analogues créées plus tôt dans les pays nordiques, en Suisse et en Flandre. Elle apporte « conseils, informations, formation des professionnels et solutions concrètes » aux personnes handicapées et à leur entourage. « Solutions concrètes » ? « Je suis la personne venue de l’extérieur, une sorte d’élue, qui leur offre une chose très personnelle. Une main, de la chaleur humaine, un parfum, voire un corps qu’ils ont soif de toucher », explique Margretha. Épouse, mère, cadre, cette assistante juge que « ce deuxième métier [l’]embellit ». Jusqu’où peut aller cette relation ? Sur ce point, tout le monde reste discret.
Massages, caresses, calins
La directrice de l’association, Pascale Van Ransbeeck, une psychothérapeute, évalue d’abord l’état de la personne handicapée et sa demande en vue d’établir un dossier consultable par les accompagnants. Après cette première étape, Bernard raconte qu’il a entendu au bout du fil la « voix douce » d’une femme, peut-être susceptible de combler ce qu’il appelait « mon rêve et ma faim ». C’était sa future accompagnante, celle qui allait le « refaire humain », comme il dit. Depuis deux ans, il est régulièrement en relation avec cette ancienne travailleuse du sexe, aujourd’hui reconvertie.
Ils sont une vingtaine à œuvrer avec l’association francophone belge et quatre-vingts avec la branche flamande, où Frank, ingénieur quinquagénaire, a rendu un peu de sérénité à Laura, une femme atteinte d’une tumeur au cerveau, et à ses parents. Seule, elle se masturbait jusqu’à se blesser gravement. Massages, caresses, câlins, touchers l’ont apaisée. « La principale caractéristique des intervenants, c’est d’abord la générosité, explique Pascale Van Ransbeeck. Ensuite, le fait que, d’une manière ou d’une autre, ils ont déjà été en contact avec des handicapés. Enfin, ce sont des personnes à l’aise avec leur sexualité. »
Margretha, qui, dit-elle, a un compagnon « compréhensif et au fait de la question du handicap », ajoute deux autres qualités indispensables, d’après elle, à son activité : « la douceur et la fermeté ». « Car, dans cette relation très spéciale, il est important de fixer un cadre, de faire comprendre que l’on n’est pas une copine. » Pour prévenir le risque de l’attachement mutuel, la formation initiale des assistants insiste d’ailleurs beaucoup sur ce point et, tous les trois mois, une « intervision » aide les accompagnants à se recadrer mutuellement.
« A chaque rendez-vous je me remets mentalement debout, je ris, je vis et je jouis à nouveau de cette belle vie. » Bernard, usager de l’association Aditi
D’autres garde-fous ont été placés, souligne la directrice. Les accompagnants doivent exercer une autre activité professionnelle, pour écarter l’idée de lucre. Et chaque séance est rémunérée par la personne assistée : 100 euros, en plus des frais de déplacement. Un montant non remboursé par la Sécurité sociale. « Pas question de gratuité, cela rendrait un peu plus redevables encore des personnes qui ont le sentiment de beaucoup bénéficier, déjà, de l’aide des autres. »
Les régions de Wallonie et de Bruxelles financent seulement la structure d’encadrement de l’association. Bernard raconte comment son existence a été bouleversée par Aditi : « Je respire, je bouge, je sors de mon immobilité définitive. Et à chaque rendez-vous je me remets mentalement debout, je ris, je vis et je jouis à nouveau de cette belle vie. » Pendant ce temps, en France, alors que le débat sur l’accompagnement sexuel, toujours interdit, vient à peine d’être relancé par la secrétaire d’État Sophie Cluzel, l’Association pour la promotion de l’accompagnement sexuel lance des appels au secours pour survivre, tout en espérant que la loi changera. « Ce serait bien et cela éviterait que, lorsqu’ils viennent visiter Bruxelles, des handicapés français nous appellent à l’aide », confie Pascale Van Ransbeeck.
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