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A l’hôpital de Tours, vendredi. Photo Pascal Montagne. Hans Lucas
Selon le chef du service des maladies infectieuses de la Pitié-Salpêtrière, l’inquiétude ne doit pas tant résider dans la gravité du virus - moindre qu’envisagée - que dans la capacité de l’hôpital public à gérer cette crise.
INTERVIEW
Dimanche, 130 cas étaient identifiés sur le territoire, soit 30 de plus en vingt-quatre heures, selon Santé publique France. Sur ce total, 12 personnes sont guéries, 2 sont mortes, 116 ont été hospitalisées. Le professeur Eric Caumes, chef du service des maladies infectieuses à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, est en première ligne. C’est une des deux équipes qui suit le plus grand nombre de personnes infectées par le coronavirus en France. Fatigué ? «On verra cela après», lâche-t-il.
Avec la hausse du nombre de personnes infectées, êtes-vous à flux tendu ?
Nous sommes dans une situation de plus en plus tendue, ce qui nous a obligés à ouvrir une nouvelle unité. Et l’on se retrouve à un moment charnière. Or on raisonne encore comme hier, comme si l’on était dans la phase précédente. On a un coup de retard.
C’est-à-dire…
Nous sommes dans une phase où l’on ne peut plus faire face si nous maintenons les mêmes standards de soins, avec les mêmes prises en charge. Par exemple, il est dit de mettre les patients dans des chambres à pression négative [dans ces chambres, l’air ne peut pas sortir, et le virus non plus, ndlr], c’était le dogme de la prise en charge. Aujourd’hui, elles sont toutes pleines, nous avons dû mettre deux patients dans l’une de ces chambres. Et la question se pose : a-t-on raison de les mettre dans des chambres ainsi ?
Et votre réponse ?
Non. On ne sait plus pourquoi on le fait, car cette infection est moins contagieuse et beaucoup moins grave qu’une tuberculose résistante. Il faut mettre les patients dans des chambres normales avec une pression normale, mais des chambres où l’on peut ouvrir les fenêtres pour aérer. Or, dans les hôpitaux, beaucoup des fenêtres ne sont plus ouvrables surtout dans les hôpitaux «modernes».
Samedi, à l’heure où nous réalisons cet entretien, combien de patients avez-vous ?
Une dizaine, je commence à ne plus les compter… Nous montons en puissance, nous avons ouvert une unité de 16 lits, et au total nous aurons ainsi 29 lits pour le coronavirus. Il est clair qu’il va falloir réorganiser les prises en charge. Nous avons des patients, certes infectés mais qui n’ont pas besoin d’être hospitalisés tant ils ont peu de symptômes. Actuellement, on se sert de l’hôpital pour faire de l’isolement. Isoler pendant quatorze jours un patient qui va bien n’a pourtant guère de sens. Nous allons changer cela, et on y réfléchit compte tenu de l’afflux des patients.
Que faut-il envisager ?
Ce que l’on sait, c’est que ce virus est assez contagieux et probablement beaucoup moins grave qu’envisagé au début. Il doit y avoir des dizaines, voire des centaines d’autres cas, en très grande majorité bénins. Mais on ne voit que les cas un peu sérieux, et on ne connaît pas la profondeur de l’iceberg. Nous ne sommes plus dans une logique de contenir, mais de ralentir. Et bientôt, nous serons dans une logique de gérer.
C’est un changement de perspectives ?
Oui, mais c’était attendu. Cela va être progressif, et tout va dépendre des mesures qui seront prises. Là, on s’organise, comme l’a dit le ministre, et on est en train d’ouvrir des lits dans une centaine de services, tous les services de maladies infectieuses vont être concernés. Donc, le mouvement est lancé.
Mais qu’est-ce qui est le plus compliqué à prévoir ?
C’est répondre à l’irrationnel. Car, disons les choses simplement, nous ne sommes pas devant une maladie très grave, mais les images véhiculées, entre autres, par les Chinois sont aux antipodes, avec des soignants recouverts de scaphandres. Comme si c’était Ebola. Cela génère de la panique, de l’anxiété. En plus, il y a une dictature des chiffres, avec le nombre de nouveaux cas affichés quotidiennement, avec le nombre de morts, pas toujours du CoVid de surcroît. Un compte à rebours inquiétant, alors que l’on voit bien qu’en très grande majorité les personnes qui décèdent meurent surtout du fait de leurs autres maladies. Cela alimente un buzz qui est difficile à contrôler.
Comment vont les équipes soignantes ?
Elles sont fatiguées, elles sont même souvent épuisées, mais elles réagissent très bien. En même temps, on les renforce. Reste que s’il y a des infections du personnel, mis en quarantaine, comment va-t-on faire ? Le vrai problème est là : la protection du personnel médical et non médical est fondamentale.
Vous avez eu des renforts ?
Oui. Avec la direction, cela se passe très bien, elle est sur le pont. Nous avons de nouvelles infirmières, certaines venant du pool central, d’autres, d’autres services.
Et tout cela, dans un contexte de forte crise hospitalière ?
Oui. J’ai été parmi les médecins chefs de service qui ont démissionné. Mais avec les événements, je suis revenu sur ma démission. L’administration nous aide. Ce n’est pas elle la responsable de la situation, c’est l’Etat qui a entraîné l’asphyxie de nos hôpitaux. Là, on nous donne les moyens, mais combien de temps cela tiendra-t-il ? J’ai toujours dit qu’une épidémie, dans un système de soins en difficulté, peut tout faire déborder. Pour l’instant, on tient, cela résiste mais on risque de manquer vite de personnel soignant.
En termes épidémiques, quels sont les scénarios à venir ?
D’abord, on le sait, le génie évolutif des épidémies est imprévisible. Cela étant dit, le plus probable est que l’on va avoir des mois de mars et d’avril assez pénibles, voire très difficiles. En mai et en juin, cela devrait baisser, et puis arrivera l’été et les infections respiratoires n’aiment pas trop l’été. Mais ce n’est qu’une hypothèse. En tout état de cause, aujourd’hui ce que l’on peut dire, c’est que le taux de mortalité va baisser. De plus, on sait prendre en charge les malades, il y a juste un cap difficile à passer pour certains patients. Ce n’est pas, comment dire, une maladie grave pour tout le monde.
Finalement, quel est le danger à venir ?
D’une certaine façon, il n’est pas médical sauf en cas d’explosion épidémique. Il est social. Car il peut y avoir des conséquences économiques bien embêtantes. En plus, il faut gérer l’irrationnel, et au passage se battre contre la dictature des normes et des règlements qui ont été, pour la plupart, conçus pour combattre des épidémies très méchantes mas peu importantes en nombre. Or, nous sommes confrontés à l’inverse : une épidémie qui se répand assez vite mais qui n’est pas très grave. Ce n’est pas la peste ! Il ne faut surtout pas que l’on reste prisonnier de procédures. Et on doit s’adapter au jour le jour.
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