À QUOI SERT UNE ASSOCIATION DE SECTEUR ?
De quelques questions d’héritage...
Guillaume Simon
ERES | « Chimères »
2019/2 N° 95 | pages 65 à 75
ISSN 0986-6035
ISBN 9782749264080
Article disponible en ligne à l'adresse :
https://www.cairn.info/revue-chimeres-2019-2-page-65.htm
Distribution électronique Cairn.info pour ERES.
© ERES. Tous droits réservés pour tous pays.
La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.
À quoi sert une association de secteur ? À question si large toutes
les réponses bien entendu sont possibles puisqu’aussi bien « Une » association de secteur, ça n’existe pas. Chaque association de secteur sert à
ce dont son secteur d’attachement lui a trouvé d’utilité pour son propre
fonctionnement. Pas de mystère à cette diversité, simple conséquence
de la souplesse et de la créativité autorisées par le cadre associatif depuis
la loi de 1901, qui lui permet à chaque fois d’être adapté au plus près
des circonstances locales.
En revanche, cette diversité est certes problématique pour répondre à
notre question. A quoi sert une association de secteur ? De ne pouvoir
lui trouver de réponse univoque, devons nous pour autant renoncer
à la poser? Non si l’on en croit Albert Einstein pour qui « formuler
un problème est souvent plus essentiel que d’en donner une solution,
laquelle peut-être une affaire d’habileté mathématique ou expérimentale. Faire naître de nouvelles questions (...), envisager de vieux
problèmes sous un angle nouveau, cela demande une imagination créatrice et marque un réel progrès dans la science. »1
Et en matière de « vieux problèmes » quoi de mieux qu’une question
d’héritage ? Comme son nom l’indique, une association de secteur se
situe au confluent de deux héritages. D’une part celui de la psycho-
thérapie institutionnelle qui a théorisé l’intérêt d’une association au
1.Einstein, Infeld, L’évolution des idées en physique. Champs Flammarion p.89
GUILLAUME SIMON
CHIMÈRES 65
sein d’un dispositif de soins (le club thérapeutique). D’autre part celui
de l’histoire de la politique de secteur.
Si ces deux héritages ont des racines communes et s’appuient sur certains concepts communs, les problématiques qu’ils soulèvent méritent
d’être distinguées du fait des places très différentes qu’ils occupent aujourd’hui dans la pratique. En effet, si le secteur est remis en question
de diverses manières, il n’en reste pas moins à la base de l’organisation
ordinaire de la psychiatrie publique. Tandis que la psychothérapie institutionnelle tend parfois à n’être plus considérée que comme corpus
théorique désuet, sinon arriéré, voire carrément réactionnaire.
Située au confluent de ces deux courants, les associations de secteur se
trouvent donc écartelées entre des questions découlant de l’organisation
la plus quotidienne de la psychiatrie (la pratique du secteur aujourd’hui)
aussi bien que d’interrogations classées aux archives de l’histoire de la
psychiatrie. De sorte que la question de savoir dans quelle mesure un
dispositif associatif conserve un intérêt au sein de l’organisation d’un
secteur aujourd’hui peut nous conduire en fait à nous demander si les
idées de la psychothérapie institutionnelle conservent encore un intérêt
pour la psychiatrie de secteur telle qu’elle se pratique actuellement? Et
si oui, lequel ?
Nous commencerons par essayer de resituer l’intérêt du cadre associatif
au sein du dispositif de soins selon les idées de la psychothérapie institutionnelle telle que nous la comprenons. Puis nous essaierons de situer
la place que la réflexion institutionnelle a pu tenir dans l’histoire de
la psychiatrie de secteur. Enfin nous envisagerons quelques questions
insistantes qui nous semblent indiquer l’intérêt persistant de cette ap-
proche institutionnelle pour la psychiatrie de secteur.
Intérêt du dispositif associatif pour la psychothérapie
institutionnelle
Où nous retenons que la psychothérapie institutionnelle a posé la question
des conditions nécessaires pour considérer une institution comme un véritable
outil de soins psychiatrique. Qu’elle a souligné la discordance possible entre
certaines nécessités organisationnelles de l’institution et l’enjeu qui lui est posé
par la psychose de l’accueil d’un transfert subjectif singulier et morcelé. Et que
l’intérêt du dispositif associatif doit être repéré non seulement au niveau de son
intérêt pour les patients considérés de façon individuelle mais au moins tout
autant au niveau de son intérêt pour l’établissement de soins considéré dans
son fonctionnement global.
De l’héritage de la psychothérapie institutionnelle, nous retiendrons
principalement ici son questionnement sur les conditions nécessaires
pour pouvoir considérer une institution comme un véritable outil de
soins psychiatrique.
Au départ il s’agit de l’idée simple que nommer une institution comme
« hôpital » ou « lieu de soins » ne suffit pas pour garantir que du soin
s’y produise effectivement. Et que le soin psychiatrique requiert cer-
taines conditions. D’où la nécessité d’une analyse de l’institution qui
devrait repérer les processus à l’œuvre en son sein. Et secondairement
la question du travail à entreprendre pour limiter les facteurs qui lui
sont défavorables et soutenir ceux qui lui sont favorables.
De ces quelques point découlent plusieurs idées et concepts classique-
ment rattachés à la psychothérapie institutionnelle : importance de
l’ambiance, lutte contre l’inactivité induite par l’institution ou les pré-
jugés d’irresponsabilité des patients, « organiser l’imprévu » afin d’ouvrir des possibilités de créativité tant pour les patients que pour les
soignants...
Par la suite, en approfondissant la question, on aboutit à l’idée paradoxale que certains facteurs nécessaires au fonctionnement d’une
institution quelle qu’elle soit (nécessité d’organisation, de structure
hiérarchique, de répartition des tâches, d’uniformisation de certaine
procédures...) peuvent parfois fonctionner comme l’un de ces facteurs
défavorable à la dynamique des soins.
Pour mieux situer ce paradoxe qu’une institution organisée pour soigner puisse entraver les soins qu’elle cherche à prodiguer, il faut intro-
duire un autre apport de la psychothérapie institutionnelle à savoir une
théorisation de la rencontre entre le patient psychotique et l’institution
prise comme un ensemble. Cette théorisation découle de l’analyse des
spécificités du fonctionnement psychique de ces patients.
Il est aujourd’hui assez banal de considérer que le fonctionnement
psychotique se caractérise par la tendance au déni, à la projection et
au clivage des contenus de pensée. Tout l’intérêt de l’approche de la
psychothérapie institutionnelle est de proposer d’appréhender ce fonctionnement, non plus seulement au niveau de la clinique individuelle
comme symptôme pathologique de morcellement, mais aussi au niveau
du collectif de l’institution dans sa dimension de transfert morcelé.
La différence est majeure parce que cette proposition permet de transformer notre appréhension de ce qui apparait comme empêche-
ment (du fonctionnement psychique, de la relation...) en une modalité
relationnelle en tant que telle.
De là l’idée que l’institution soignante doit être capable d’accueillir
cette forme particulière de lien. En ce sens, veiller à la dynamique institutionnelle n’est qu’un préalable pour permettre que ce travail second puisse s’opérer dans ses différentes dimensions. A savoir : d’abord
l’accueil des éléments morcelés de la subjectivité de chaque patient.
Ensuite le rassemblement de ces éléments épars par le travail de trans-
missions et de synthèse. Et enfin l’élaboration collective d’une réponse
suffisamment cohérente et coordonnée.
De là encore l’idée que l’accueil de ce transfert morcelé ne peut se satisfaire d’une simple répartition hiérarchique des tâches. Si un patient
confie un élément de sa biographie à une secrétaire, ou si une part
de sa symptomatologie s’exprime dans l’espace de sa chambre sous les
yeux de l’ASH, le psychiatre qui prétendrait cerner la problématique
psychique de son patient à partir des seuls entretiens où il exprime
peut-être tout autre chose, prend le risque d’œuvrer dans un sens qui
redouble celui de la psychose, morcelant et clivant.
Selon nous, ce n’est qu’au sein de cette perspective d’ensemble que peut
être saisi l’intérêt du club thérapeutique pour le dispositif de soins. Par
exemple formulée comme « l’intérêt pour les soins d’une structure collective qui soit distincte de l’Établissement, autonome dans sa gestion
tout en lui étant articulée », on voit qu’il s’agit avant tout de situer l’association dans ses effets sociaux et politiques sur l’établissement.
En effet, si le dispositif associatif peut certainement remplir une fonction auprès de certains patients de façon individuelle (comme leur per-
mettre de prendre une position active vis à vis des décisions prises au
sein de l’institution, ou d’accueillir et de favoriser leurs initiatives, ou
encore de leur permettre de trouver une place un peu en marge du
dispositif de soins proprement dit...). Il est essentiel de le considérer
au moins autant dans sa fonction par rapport à l’Établissement de soins
lui-même. C’est ainsi que prennent sens les idées que l’association soit
chargée d’agir sur l’ambiance, ou encore l’idée de l’intérêt d’un autre
circuit de décision, distinct de celui du fonctionnement hiérarchique
et organisationnel de l’Établissement ; ou enfin cette idée que l’association contribue à soutenir la remise en question nécessaire au processus
d’analyse institutionnelle...
Dimensions institutionnelles de la politique de secteur
Où nous retenons que la politique de secteur remettait également en question
la fonction soignante des institutions psychiatriques, mais plus particulière-
ment vis-à-vis de ses formes anciennes, asilaires et hospitalocentrées ; qu’elle
en dénonçait les effets délétères d’isolement et de désinsertion sociale. Mais
que l’histoire de sa mise en place effective, intriquée à l’essor des chimiothérapies a sans doute contribué à en effacer en partie la dimension institutionnelle.
Posons que le mouvement théorico-militant qui a abouti à la politique
de secteur s’est fondé sur la dénonciation de l’effet délétère d’une prise
en charge uniquement hospitalière des patients psychotiques. En ce
sens, il remettait en question les théories psychiatriques antérieures qui
affirmaient les vertus de l’isolement et de l’asile vis-à-vis d’un milieu
considéré comme pathogène. Il soulignait au contraire les effets né-
fastes de la désinsertion et de la perte de ses étayages familiaux, sociaux
et professionnels.
C’est donc initialement à contre-pied d’un dispositif hospitalo-centré
qu’a été proposé le développement d’autres dispositifs institutionnels
de soins extra-hospitaliers. Ceux-ci étaient pensés ouverts sur la ville (à
l’opposé de l’isolement de l’asile) et à proximité des lieux de vie des patients (pour préserver les étayages existants). Ainsi ont été crées les différentes structures de soins ambulatoires qui constituent aujourd’hui,
avec l’hôpital, le dispositif de secteur (CMP, HDJ, CATTP, foyer de
post-cure, appartements thérapeutiques...)
Dans le même temps la politique de secteur soulignait la nécessité du
principe de continuité2 de la prise en charge tout au long du parcours de
soins du patient. Il s’agissait là encore clairement d’une réflexion sur l’or-
ganisation institutionnelle du dispositif de soins. Réflexion articulée à la
prise en compte des spécificités cliniques posées par la prise en charge
des patients psychotiques. En l’occurrence la nécessité de lutter contre
les effets de déliaison et de rupture du lien, produits par la psychose.
Soulignons que c’est de cette réflexion institutionnelle, articulée à la
clinique de la psychose que découlent plusieurs principes d’organisation
du secteur. Ainsi, qu’une seule et même équipe soit chargée de la total-
ité de ce parcours de soins, depuis la prévention jusqu’à la post-cure.
Que soit regroupé au sein d’un même service l’ensemble des structures
2. L. Bonnafé, l’esprit du secteur, in Santé Mentale N°51 oct 2000. http://ancien.
serpsy.org/histoire/bonnafe1.html
de soins nécessitées par cette prise en charge dans la durée (extra aussi
bien qu’intra hospitalières). Et encore une autre de ses conséquences
logique : la nécessité d’un découpage géographique qui permette à une
équipe (aux moyens nécessairement limités) d’être en mesure d’assumer
la prise en charge de l’ensemble des patients résidants sur la zone dont
elle a la responsabilité. Ou en miroir, découpage qui permette à tous les
patients de trouver à proximité de chez eux les dispositifs de soin dont
ils ont besoin.
D’un côté pluralité des missions, multiplicité des professions et des
structures de soins impliquées dans un dispositif global ; de l’autre côté
nécessité de la continuité et de la coordination dans le suivi de chaque
patient singulier. Ainsi formulée, l’ambition initiale de la politique de
secteur ne peut manquer de faire apparaître des enjeux essentiels au-
tant que complexes, du fonctionnement institutionnel du « secteur de
psychiatrie ». Pourtant, ces enjeux institutionnels posés par la prise en
charge des patients psychotiques par le dispositif de secteur ne sont-ils
pas aujourd’hui de moins en moins souvent pris en compte ?
Si tel est bien le cas, notre hypothèse est qu’entre ces ambitions initiales
et la pratique actuelle s’est insérée une autre question d’héritage. Celui
de la révolution médicamenteuse constituée par la découverte et l’essor
de l’usage des neuroleptiques en psychiatrie. En effet, si les idées qui
ont donné naissance à la politique de secteur ont précédé cette révolution (d’où sa proximité initiale avec la psychothérapie institutionnelle),
sa mise en œuvre quant à elle a été incontestablement accompagnée,
sinon soutenue, voire façonnée par cette révolution médicamenteuse.
A tel point que l’on peut à bon droit se demander ce que la pratique
actuelle de la psychiatrie de secteur doit à cet autre héritage ?
Dans quelle mesure les neuroleptiques ont-ils rendu possible le pro-
jet de dés-hospitalisation de la politique de secteur ? D’une certaine
manière, l’intérêt que l’on accorde aujourd’hui aux idées de la psycho-
thérapie institutionnelle dépend de la réponse que l’on donne à cette
question. Est-ce la transformation institutionnelle du dispositif de soins, notamment le développement du dispositif extra-hospitalier qui a
permis le succès de cette dés-hospitalisation? Sont-ce les médicaments ?
Ou bien est-ce une conjonction plus ou moins inextricable entre les
deux ?
L’effet des médicaments apparaît indéniable. Il suffit d’écouter les
soignants qui ont été témoins de cette époque pour entendre que cet effet a été absolument évident. Mais peut-être plus encore l’idée de cet
effet tire sa force d’évidence que cette constatation de l’efficacité des
médicaments peut être chaque jour renouvelée par les soignants dans
de nombreuses prises en charge.
Mais du coup, nous nous demandons si l’idée de cet effet, pour indéniable qu’il soit, n’a pas eu tendance à devenir peu à peu unique facteur
explicatif ? Ayant tellement fasciné et focalisé l’attention des soignants
ne leur a-t-il pas faire perdre de vue la dimension institutionnelle qui
restait néanmoins pertinente ? Autrement dit dans quelle mesure la
participation des neuroleptiques à la réussite du projet de la politique
de secteur n’a-t-elle pas contribué à transformer la dés-hospitalisation
espérée initialement en « désinstitutionalisation » d’autant plus regret-
table qu’elle serait partiellement inconsciente ?
Nous pouvons par exemple nous demander dans quelle mesure cet
effet médicamenteux a contribué à faire évoluer la pensée des soins
psychiatriques (en particulier ceux dispensés par les secteurs) vers un
mode essentiellement individuel : un individu, un traitement médicamenteux, des soins paramédicaux individualisés. Assurément le modèle
somatique a toujours été plus ou moins à l’arrière plan de la pensée
du soin psychiatrique. Dès l’origine, le projet aliéniste avait consisté à
réduire le désordre social de la folie à un désordre médical individuel.
Toutefois l’efficacité manifeste des neuroleptiques a certainement contribué à renforcer fortement ce modèle médical pour penser la folie
(et donc la prendre en charge). Sur le modèle du médicament, le soin
deviendrait localisé, assignable à un acte, un temps, un lieu.
Ce qui fait peu de doute en tout cas, c’est que cette modélisation individualisée du soin tend certainement à refouler à l’arrière plan la pensée
d’une éventuelle fonction soignante de l’institution considérée dans son
ensemble. D’autant qu’il faut bien avouer que la majorité des prises en
charge actuelles se passe apparemment sans grand dommage d’une telle
réflexion institutionnelle. Je rajouterais : et sans doute d’autant moins à
mesure que les missions confiées à la psychiatrie s’étendent toujours plus
au-delà de la prise en charge de la psychose proprement dite...
De questions qui insistent malgré tout dans la pratique de
secteur pour soutenir l’intérêt d’une approche institutionnelle
Comme souvent, c’est là où les choses se répètent sur un mode problématique que l’on peut repérer les questions qui insistent malgré leur difficulté à être formulées clairement. Je me contenterais ici d’en relever deux :
La question de la schizophrénie dite résistante
La schizophrénie résistante est une question d’autant plus intéressante
pour notre réflexion qu’à l’heure de la multiplication des dispositifs
de prise en charge psychiatriques non sectorisés, celle-ci semble sou-
vent demeurer l’apanage quasi réservé de la psychiatrie de secteur. A
tel point que l’on est tenté de dire qu’à être ainsi quasi unanimement
reconnue comme relevant de la psychiatrie de secteur, la schizophrénie
résistante devrait cesser d’être considérée par elle comme un problème
(contrairement à ce qu’elle demeure manifestement pour les autres
structures de soins quand elles s’en débarrassent) pour devenir le socle
le plus assuré d’une juste définition de sa problématique.
Ceci permettrait peut-être de situer plus précisément quelques in-
cohérences de la politique de santé mentale. Telles celles qui permettent
que des services auxquels ne s’imposent pas les contraintes des secteurs
puissent, tout en bénéficiant des financements publiques dédiés à la
psychiatrie, se délester sans conséquences sur les secteurs de ces patients
complexes qui ne rentrent pas dans le cadre des prises en charge habit-
uelles, fussent-elles recommandées, voire correctement certifiées.
Or ce que la schizophrénie résistante nous impose de prendre en
compte c’est précisément la nécessité de trouver d’autres outils de soins quand nos outils habituels se trouvent pris en défaut. Soulignons
ici à l’appui de notre réflexion de tout à l’heure que ce concept de
schizophrénie résistante est explicitement construit en référence à une
résistance médicamenteuse.
Face aux enjeux majeurs de prise en charge de tels patients il semble
donc déraisonnable de se priver dans la pratique de secteur des possibilités offertes par les outils proposés par la psychothérapie institutionnelle. Pour nous permettre d’élaborer les modalités de lien propre
à ces patients. Pour nous aider à entendre parfois dans leur résistance
la manifestation d’un transfert adressé à une dimension particulière de
l’institution. Par exemple son statut médical justement (« je ne suis pas malade ») ou bien son caractère incarnant une autorité. Ou en-
core de reconnaître dans cette résistance la manifestation d’une défense
délirante nécessaire au sujet, de sorte que la question devient celle de
savoir comment faire pour que le dispositif de soins soit capable de respecter cette défense tout en parvenant à contourner la déliaison qu’elle
produit ? Par exemple en étant capable de proposer d’autres lieux où
d’autres types de liens pour préserver la relation. Problématique pour
laquelle la diversité des espaces et des intervenants du secteur trouve
tout son intérêt. (« je ne suis pas malade je n’ai pas besoin d’aller dans
un hôpital de jour mais j’aime aller au centre d’activités »... « Parler ne
sert à rien mais je suis d’accord pour rencontrer une psychomotricienne
pour ce qui se passe dans mon corps »...)
La question paradoxale de la fin de la prise en charge des patients
« chroniques »
Force est de constater que la dimension chronique de la maladie psychiatrique n’a pas été résolue par la disparition de l’asile et la mise en œuvre de la psychiatrie de secteur. Non plus que par l’efficacité pourtant
indéniable des médicaments. Pour les services d’hospitalisation confrontés en permanence au manque de lits disponibles pour accueillir les
nouveaux patients aussi bien que pour les structures de soins extra-hos-
pitalières (foyers, hôpitaux de jour...), chaque nouvelle admission re-
lance la question de la fin des autres prises en charge. Jusqu’aux CMP
dont les délais d’attente à rallonge disent encore d’une autre façon la
difficulté de mettre un terme à certaines prises en charge pour être en
mesure d’accueillir de nouveaux patients.
D’un point de vue purement organisationnel, cela semble une évidence : comment, à moyens constants forcément limités, peut-on faire
face à des demandes de prises en charge potentiellement illimitées puisque chaque secteur est sensé s’occuper de tous les patients habitant
sur sa zone géographique dédiée. Si chaque année amène son lot de
nouvelles demandes, ce système ne peut fonctionner dans la durée que
si autant d’anciens suivis s’interrompent.
Ici aussi, souligne-t-on assez la dissymétrie radicale qu’il y a entre la situation de la psychiatrie de secteur et celle des autres établissements non
sectorisés ? Pour les seconds, la question de la fin de la prise en charge
se pose différemment puisque s’il n’y a plus de place, il suffit de dire que
l’on n’admettra pas de nouveaux patients tant que l’on n’aura pas fait de nouvelles sorties. Ou bien encore si une prise en charge semble trop
problématique et s’éternise, on pourra toujours dire qu’elle relève d’une
prise en charge de secteur.
La psychiatrie de secteur ne peut se contenter de telles réponses soumise
comme elle est à l’impératif de service publique d’accueillir tous ceux
qui en font la demande ou au moins tous ceux qui lui sont adressés en
soins sous contrainte. A elle seule s’impose donc rigoureusement de
penser les prises en charge à la lumière de leur fin.
Or si l’on redit ici que la problématique de la psychiatrie de secteur
est celle de la prise en charge de la schizophrénie résistante, l’expérience nous rappelle sans cesse combien une fin de prise en charge est
rarement chose banale pour eux. Qu’il s’agisse d’une sortie d’hospitalisation, d’HDJ, ou de foyer, la fin se pose bien plus souvent sous
une forme problématique, voire impossible. Qu’elle soit éternellement
reportée ou prenne la forme de la rupture, interruption des soins ou
passage à l’acte pouvant aller jusqu’au suicide.
C’est que lorsque se pose la question d’une sortie d’hospitalisation, de
foyer ou d’HDJ pour ces patients, il est hasardeux de méconnaitre ce
que l’équilibre qu’ils ont trouvé doit aux divers étayages fourni par la
structure. Étayages qui vont bien au-delà des soins individuels qui leur
ont été prescris. Par exemple étayage dans leur rythme de vie, pour
s’alimenter, prendre soin de leur corps... Ou encore étayage du côté du
lien social grâce à la dimension collective de la structure... De sorte que
la question de la sortie pour ces patients contient toujours une forme de
paradoxe puisque c’est pourtant cet équilibre retrouvé qui conduit précisément à se poser la question de la sortie. Sortir de ce paradoxe n’est
possible qu’en prenant en compte la perte d’étayage qu’implique la sortie pour pouvoir la problématiser en termes de relais et de continuité.
Ceci impose de penser le dispositif du secteur comme une institution
globale où les différentes unités fonctionnelles sont articulées et coordonnées entre elles. De sorte que les soignants y élaborent la fin de chaque
temps de prise en charge en termes de passation et de relais pour permettre aux patients d’éprouver ces fins non plus comme expérience impossible de « la » fin et peu à peu les apprivoiser sous la forme du passage.
Pour conclure, on voit qu’aussi bien la question de la schizophrénie
résistante que la question de la fin des prises en charge de patients
chroniques nous imposent de penser le dispositif de secteur comme une institution globale, devant être articulée et coordonnée, mais aussi
suffisamment créative pour pouvoir répondre à la problématique de
l’accueil de ces patients « résistants » dont la définition même implique
qu’ils ne répondent pas aux prescriptions ordinaires. Et si notre lecteur
admet cette conclusion qu’il faut donc prendre soin de cette institution
qu’est le secteur, notre question initiale « à quoi sert une association
de secteur ? » revient effectivement à « à quoi sert une association pour
prendre soin d’une institution de soin ? ». Heureusement pour nous, la
littérature sur le sujet est suffisamment riche pour aider notre lecteur à
trouver ses propres réponses.
À quoi sert une association de secteur ?
CHIMÈRES 75
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire