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jeudi 13 février 2020

Comment faire du sport sans bouger un orteil

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Publié dans le magazine Books n° 91, septembre/octobre 2018. Par Nicola Twilley.


Plusieurs biologistes travaillent à la mise au point d’une molécule reproduisant les effets bénéfiques de l’activité physique sur l’organisme. Ce médicament, qui pourrait être extrêmement lucratif, pose des questions abyssales – qui en disent long sur l’évolution de notre société






















© Martin Parr / Magnum
Les bienfaits de l’activité physique sont avérés, et l’OMS recommande deux heures et demie d’exercice par semaine. Mais les chercheurs peinent encore à comprendre les processus à l’œuvre.
Nous sommes à la fin de l’été 2017. Les tours grises de l’Institut Salk, à San Diego, se fondent dans la brume océanique. L’austère cour centrale ­dallée de marbre est silencieuse et déserte. Sur la pelouse sud, un coin paisible où ont souvent lieu des cours de yoga et de tai-chi, aucune trace de vie non plus. Il émane toutefois des grilles d’aération de la bordure en béton une légère odeur d’ammoniaque provenant des quelque 2 000 cages de souris de laboratoire héber­gées au sous-sol. Dans un bureau avec vue sur l’océan, le biologiste ­Ronald Evans me présente deux spécimens : Gros Mollasson et Lance Armstrong.
La souris Gros Mollasson a été élevée pour représenter l’Américain moyen. Son activité physique quotidienne se limite à se dandiner de temps à autre jusqu’à un bol rempli à ras bord de granulés contenant essentiellement des sucres et des graisses – granulés dont le goût rappelle, à ce qu’il paraît, celui de la pâte à biscuit et qui représentent la version de laboratoire du « régime alimentaire occidental ». Cette souris léthargique se prélasse sur sa ­litière, bourrelets de graisse bien visibles sous sa fourrure clairsemée.
La souris Lance Armstrong a été élevée exactement dans les mêmes conditions, et pourtant, malgré son alimentation peu équilibrée et son manque d’activité physique, elle est mince et ferme, a les yeux et le pelage luisants et s’active dans sa cage. Le secret de sa forme physique et de son énergie juvénile tient, nous ­explique Evans, à une dose quotidienne de GW501516, un médicament qui repro­duit les effets bénéfiques de l’activité physique sans qu’il soit nécessaire de faire travailler le moindre muscle.
Evans a commencé ses expériences avec le 516, comme on appelle com­munément ce produit, en 2007. Il ­espé­rait pouvoir comprendre comment les gènes qui contrôlent le métabolisme humain sont activés ou désactivés, question à laquelle il a consacré l’essentiel de sa carrière.
Les souris adorent courir, me raconte Evans, et, quand il équipe leur cage d’une roue d’activité, elles font en géné­ral plusieurs kilomètres chaque nuit. Ces exercices nocturnes ne servent pas uniquement à évacuer le stress de la vie de laboratoire, comme l’ont démontré il y a quelques années des chercheurs de l’université de Leyde, aux Pays-Bas, avec une expérience amusante : ils ont déposé une petite structure ressemblant à une cage et contenant une roue dans un coin paisible d’un parc urbain sur­veillé par une caméra de vision nocturne à détecteur de mouvements. Les enregistrements ont révélé que la roue était utilisée en permanence ou presque par des souris sauvages. Bien que leurs activités quotidiennes – chercher de la nourriture, trouver des partenaires, échapper aux prédateurs – leur procurent une dose plus que suffisante d’exercice, les souris avaient envie de courir et passaient jusqu’à dix-huit minutes d’affilée sur la roue, à laquelle elles ne cessaient de revenir.
Mais, comme le montre l’exemple du Lance Armstrong humain, l’exercice ne suffit pas toujours. Quand Evans a ­commencé à administrer du 516 à des souris de laboratoire qui faisaient régu­lièrement de la roue, il a découvert qu’après seulement quatre semaines de traitement elles avaient amélioré leur endurance – le temps passé à courir et la distance parcourue – de 75 %. Ce faisant, leur tour de taille (leur « section transversale » dans le jargon scientifique) et leur indice de masse grasse avaient diminué, ainsi que leur résistance à l’insuline. La composition de leur tissu musculaire s’était modifiée, se rapprochant de celui des coureurs de fond, qui développent ce qu’on appelle des fibres à contraction lente – ayant une meilleure résistance à la fatigue et brûlant davantage de graisses. En d’autres termes, c’est un peu comme si un joggeur du dimanche se réveillait avec un corps d’athlète.
Evans publie ses premiers résultats dans la revue Cell Metabolism en 2008. En 2017, il démontre [dans la même revue] que, quand les souris gavées de pâte à biscuit ont la possibilité de faire de l’exercice, celles à qui on a administré du 516 pendant huit semaines peuvent courir près d’une heure et demie de plus que celles qui n’en ont pas pris. Conclusion : « On peut remplacer l’entraînement pas un médicament. »
Le produit opère en reproduisant les ­effets des activités d’endurance sur un gène spécifique : le PPAR delta (PPARD). Comme tous les gènes, le PPARD envoie des instructions sous forme de substances chimiques – des signaux transmis par des protéines aux cellules pour leur indiquer d’où tirer leur énergie, quels déchets éliminer, etc. En se fixant au récepteur du gène PPARD, le 516 le reconfigure en modifiant le message envoyé : le signal ordonnant de décomposer et de brûler les graisses est intensifié tandis que celui qui concerne les sucres est supprimé.


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