Un adolescent de 14 ans est mort le 30 janvier à la suite d’un coup de couteau. Son agresseur présumé avait le même âge.
La trop brève existence de Wally s’est achevée sur un coin de trottoir, à un carrefour du 10e arrondissement de Paris, mercredi 29 janvier. A mi-chemin entre le canal Saint-Martin et la place du Colonel-Fabien, la rue Juliette-Dodu croise celle de la Grange-aux-Belles, formant une placette, encadrée par quelques troquets tout sauf branchés et un magasin bio. Frappé d’un coup de couteau dans la cuisse, l’adolescent s’est vidé de son sang sur le bitume, malgré l’aide des passants et des secours. Il est décédé le lendemain à l’hôpital Lariboisière.
Son meurtrier présumé, rapidement identifié par des bandes-vidéo, avait le même âge que lui : 14 ans. Il a été mis en examen pour « homicide volontaire, violences volontaires ayant entraîné une incapacité supérieure à huit jours et association de malfaiteurs », précise-t-on au parquet de Paris. Placé en détention provisoire, cet adolescent, connu pour des problèmes récurrents qui lui ont valu d’être exclu de trois collèges parisiens, risque jusqu’à trente ans de réclusion. Une information judiciaire a été ouverte pour retrouver d’éventuels coauteurs.
Quant au motif qui a poussé ce garçon, et une dizaine d’autres, à fondre sur Wally, il reste flou. Des sources proches de l’enquête évoquent une futile histoire de vente d’écouteurs « AirPods » qui aurait dégénéré. « Il s’agit d’un jeune avec beaucoup de problèmes (…) qui, avec des copains rencontrés dans les quatre collèges qu’il a fréquentés, a donné rendez-vous à d’autres jeunes gens pour une transaction. Les choses ont mal tourné, il y a eu une bagarre entre une dizaine de jeunes », confirme la maire de l’arrondissement, Alexandra Cordebard.
Elle précise qu’un véhicule de police était passé sur les lieux « quelques minutes avant » le drame, mais sans rien détecter. L’édile socialiste du 10e arrondissement insiste : il ne s’agit pas là d’une querelle de territoire ni d’une affaire de « bande ». Ni la victime ni l’agresseur ne vivaient d’ailleurs dans le quartier. Le premier était du 20e arrondissement voisin, et le second du sud du 10e.
Le neuvième mort depuis 2016
Wally est le premier mort d’une rixe dans les rues de Paris en 2020, le neuvième depuis 2016. Toutes les victimes sont des garçons, mineurs ou tout jeunes majeurs, souvent nés à Paris. « Neuf morts de trop », se désole Colombe Brossel, adjointe à la maire de Paris chargée de la sécurité, de la prévention, des quartiers populaires et de l’intégration.
Après un pic en 2018 – avec soixante-quatre rixes –, la municipalité et le ministère de l’intérieur avaient multiplié les initiatives pour lutter contre ce phénomène : formation de médiateurs, mise en place de circuits de signalement rapide, coordination avec les associations de parents…
L’année 2019 avait vu une légère diminution en la matière, avec cinquante-deux cas signalés et aucun mort sur la commune de Paris – trois adolescents ont cependant été tués lors de rixes dans le département voisin de Seine-Saint-Denis.
Pour les acteurs de la sécurité parisienne, une meilleure détection des bagarres en amont, qu’elle provienne des personnels éducatifs, des associations, des médiateurs ou des forces de l’ordre, incitées à repérer et à signaler les risques de bagarres avant que celles-ci ne surviennent, a permis ce léger progrès.
« La présence d’armes blanches est affolante », convient Colombe Brossel, adjointe à la maire de Paris
« Les signalements préventifs passent de vingt-cinq en 2018 à trente-six en 2019 », assure Colombe Brossel. La coordination accrue entre éducation, prévention, justice et police, mise en place dès 2016 dans le cadre d’un groupe local de traitement de la délinquance, est louée par les acteurs de la sécurité parisienne. Plus de 200 mineurs « à risques » ainsi que leurs familles sont ainsi suivis. Autre initiative de la Mairie de Paris, une équipe de médiateurs « volants », qui intervient partout où est signalée une tension qui pourrait dégénérer.
S’il ne peut se réduire au seul phénomène des « bandes », le phénomène des rixes collectives ne peut s’en abstraire totalement.
En octobre 2018, Henry, un lycéen de 17 ans, est mort boulevard Mortier, dans le 20e arrondissement, lui aussi à la suite de coups de couteau à l’artère fémorale, en marge d’une bagarre entre bandes rivales. En juillet de la même année, Loïc, 23 ans, est tué, toujours d’un coup de couteau, rue Saint-Maur, non loin du quartier de la Grange-aux-Belles. Il est victime d’un affrontement entre bandes, « un “match” retour entre les quartiers Chaufourniers et Grange-aux-Belles pour un drame survenu cinq ans auparavant », explique Mme Cordebard. Quelques mois plus tôt, un mineur, Hismaël, 15 ans, était tué à quelques kilomètres de là, rue de la Roquette, là encore dans le cadre d’un affrontement entre deux groupes d’adolescents, encore d’un coup de couteau. « La présence d’armes blanches est affolante », convient Mme Brossel.
Communautés les plus pauvres
Spécialiste de la délinquance et directeur de recherche au CNRS, le sociologue Laurent Mucchielli rappelle pour sa part que les groupes de jeunes violents sont tout sauf nouveaux, des « Apaches » aux « blousons noirs », et ont également toujours employé « des armes blanches ou des armes par destination », bâtons, barres de fer et autres instruments improvisés. « C’est un phénomène qui touche les communautés les plus pauvres, souvent les derniers arrivés, qui développent une culture de rue », explique-t-il.
Parmi les causes évidentes, « l’éloignement des parents » ou de l’école, qui renforce encore les « sociabilités juvéniles » et l’importance du groupe et de la réputation. Il évoque également la « dimension masculine » du phénomène : « Prouver qu’on est un homme, pas une lavette », en participant à ces bagarres collectives, qui parfois dérapent.
Pour autant, peut-on réduire la question à celle des « bandes » ? Colombe Brossel évite sciemment d’employer ce terme. « Je n’utilise pas le mot bande, car bien souvent on n’a pas de meneur, pas de structure pyramidale. Ce sont des regroupements collectifs spontanés. » Reste une forme d’instinct grégaire, de territorialité, qui joue un rôle reconnu par les acteurs de terrain.
Parmi les éléments nouveaux, les réseaux sociaux (Snapchat et Instagram, essentiellement), qui permettent de se donner rendez-vous, loin du regard des parents. Une « rue virtuelle » qu’éducateurs et policiers peinent à investir, même si la Mairie de Paris a récemment mis en place des formations pour aider les adultes à mieux occuper ces espaces.
« Le réseau reste un support qui accélère peut-être les choses, mais qui n’explique pas le fond », nuance M. Mucchielli. Pour sa part, le chercheur pointe plutôt la question de « l’échec scolaire » et de la désocialisation qu’il implique.
293 affrontements recensés en 2019
Le ministère de l’intérieur recensait, en 2019, 73 « bandes actives » en France métropolitaine, pour l’essentiel à Paris et en région parisienne (66 cas). Selon les statistiques du ministère, on comptabilisait 293 « affrontements » (rixes collectives) en métropole. Un chiffre en hausse (238 cas en 2018, 218 en 2017), mais qui reste plus bas que le pic de 2010 (391 affrontements recensés).
La rixe collective reste un phénomène francilien : un tiers (95) des cas de l’an dernier concernent Paris et la petite couronne, 140 la grande couronne. Hors de Paris, les départements les plus concernés en Ile-de-France sont l’Essonne (55 cas) et le Val-d’Oise (45 affrontements). Ces rixes ont donné lieux à 317 placements en garde à vue, dont les deux tiers concernaient des mineurs. A l’issue de ces gardes à vue, on comptait 11 incarcérations immédiates et 86 déférements.
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