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mercredi 12 février 2020

A l’hôpital Sainte-Anne, un climat «irrespirable» entre psychiatres

Par Eric Favereau — 
Dans l’enceinte de l’hôpital Sainte-Anne, à Paris, en septembre 2018.
Dans l’enceinte de l’hôpital Sainte-Anne, à Paris, en septembre 2018. Photo Cyril Zannettacci. VU


Dans ce temple parisien de la psychiatrie française, de virulents différends mettent l’équipe en souffrance, sur fond de domination des neurosciences.

«C’est une ambiance de terreur, lâche un historique de l’hôpital Sainte-Anne. Mais surtout vous ne me citez pas.» Que se passe-t-il dans cet éminent établissement de la psychiatrie française, qui depuis quelques années regroupe également d’autres hôpitaux de la région parisienne pour en faire ce que l’on appelle aujourd’hui un GHU (groupe hospitalier universitaire) ? Silence. Il n’y a rien à voir.

Guerres

Un lourd climat s’est installé dans le vaste périmètre de Sainte-Anne (XIVe arrondissement de Paris), entre les jardins, les pavillons historiques et le bâtiment des neurosciences. Dans ce lieu où la parole est censée être valorisée, pas une personne ne veut parler. Le directeur du centre hospitalier, Jean-Luc Chassaniol, pourtant présent depuis près de vingt ans, s’énerve : «Non, je n’en ai rien à foutre de Libération.» D’anciens membres éminents de la Commission médicale d’établissement (CME, la plus haute instance) confirment cet air du temps «irrespirable». Plus déroutant, les voilà comme des enfants perdant toute distance. Et ne voulant surtout pas que leur nom apparaisse. Un ancien chef de secteur, psychiatre de haut vol, a beau avoir été mis sur la touche, il se retranche : «Je ne peux pas participer à cet entretien, désolé.»

Le seul à ne pas s’être tu est le docteur Gérard Massé, ancien président de la CME. Il a adressé une lettre au directeur de Sainte-Anne dans laquelle il défend un confrère, le Dr Jean-Luc Marcel, contre qui le Pr Raphaël Gaillard mène un combat public pour son départ. «Je tiens à vous exprimer mon indignation, parce que cela me paraît injuste, parce que cela est inadmissible en soi, et parce que le Dr Marcel a toujours marqué un fort attachement au service public.»
De fait, les conflits à Sainte-Anne ne sont pas nouveaux. Ils étaient même la règle, mais d’ordinaire ils étaient ouverts et transparents. Menées par des personnalités fortes, ces guerres intestines reposaient souvent sur des bases théoriques, entre des tendances plus psychothérapeutiques, d’autres plus biologiques et médicamenteuses. Aujourd’hui, c’est le sentiment d’une glaciation. Le paysage est figé, avec la domination étouffante des neurosciences et l’indigence, en écho, de la réponse d’une psychiatrie plus humaniste.
Récemment, tout s’est emballé autour du service du Dr Marcel, qui a en charge le Ve arrondissement de Paris. Voilà un service qui marche bien. Le personnel soignant y est plutôt heureux, ce qui est assez rare dans le monde actuel la santé mentale, en tout cas il n’a aucun problème de recrutement. Et en ces temps d’hystérie sécuritaire, la philosophie du chef de service est plutôt à saluer : dans son secteur, aucune mesure de contention, ni d’isolement de patients.
Mais voilà que le Pr Raphaël Gaillard, qui dirige un des départements historiques, très marqué par la biologie et devenu la personnalité dominante de Sainte-Anne, est parti en guerre contre le Dr Marcel. La goutte d’eau ? Une histoire abracadabrantesque autour d’une patiente du service du Dr Marcel qui a inondé de mails à l’automne, pendant quelques jours, la femme du Pr Gaillard, elle-même médecin. Ce dernier l’a mal pris, exigeant qu’elle soit hospitalisée sous contrainte, essayant même d’avoir accès à son dossier médical. Au point que l’avocate de la patiente a engagé des poursuites judiciaires. Finalement, tout est rentré dans l’ordre, cette patiente n’a jamais constitué une menace à l’ordre public, mais depuis le Pr Gaillard répète que jamais le Dr Marcel ne sera nommé comme chef de pôle et le dénigre ouvertement.

Forteresse

D’où la lettre du Dr Massé qui dénonce «une situation quasi intenable». Peine perdue. «Et comme toujours, le Pr Gaillard a gagné, il impose tout, il fait régner la peur», lâche un ancien président de Sainte-Anne. Tous mettent en avant ses réseaux importants. Ne préside-t-il pas le Congrès de l’encéphale, grand-messe de la psychiatrie française, très largement financé par les laboratoires pharmaceutiques ? D’autres pointent ses entrées à l’Elysée. Un certain nombre de soignants concèdent qu’il est aussi «très brillant» et surtout «très actif». «Aujourd’hui, le pouvoir est à prendre. Et c’est lui qui l’a pris, à la hussarde», explique une jeune psychiatre qui a dû partir.

On aurait bien aimé avoir l’avis de l’intéressé et de ses proches. Mais en dépit de nombreuses sollicitations, aucune réponse. Sainte-Anne a beau avoir perdu les murs de pierre qui l’entouraient, la forteresse semble revenue. Et ce n’est peut-être pas sans risque. «Ce n’est pas mon habitude de m’immiscer d’ordinaire dans un conflit de médecins, dit la responsable des usagers, au titre de l’Unafam (Union nationale de familles et amis de personnes malades et /ou handicapées psychiques), Chantal Roussy. L’ambiance est aujourd’hui insupportable à Sainte-Anne. Tous ces médecins ont peur mais, j’allais dire, c’est leur problème… Surtout, de mon point de vue, la prise en charge des malades n’est pas satisfaisante.»

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