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lundi 7 octobre 2019

Une Maison du répit pour «aider l’aidant à interrompre son rythme effréné»

Par Maïté Darnault, Correspondante à Lyon Photo Bruno Amsellem — 
Jean-Claude et Colette, atteinte de sclérose en plaques, dans leur commune de Cercié (Rhône), le 1er octobre.
Jean-Claude et Colette, atteinte de sclérose en plaques, dans leur commune de Cercié (Rhône), le 1er octobre. Photo Bruno Amsellem pour Libération 

A l’occasion de la journée des aidants, dimanche, «Libé» s’est rendu à Tassin-la-Demi-Lune, près de Lyon, où a été créé un lieu pour soulager un temps les proches accompagnant une personne dépendante. A l’instar de Jean-Claude Gondin, dont l’épouse est atteinte de sclérose en plaques depuis huit ans.

Le geste, assuré, reste doux. Jean-Claude soulève Colette pour l’installer dans son fauteuil. «Tu m’attrapes par le cou, voilà. N’en profite pas, hein !» plaisante l’homme en guidant son épouse. Mariés il y a trente-huit ans, les Gondin ont trois enfants et quatre petits-enfants. Depuis huit ans, leur vie de couple doit composer avec une intruse : la maladie. Colette est atteinte de sclérose en plaques, une dégénérescence du système nerveux. Elle s’est d’abord signalée par des chutes inexpliquées quand Colette approchait la soixantaine. En 2011, elle a été admise à l’hôpital pour une batterie d’examens. Durant son séjour, la sclérose a fait une poussée.

«Elle est ressortie dans un fauteuil roulant, retrace Jean-Claude. Je me suis retrouvé avec une personne qui ne pouvait plus se déplacer, ni parler, qui avait des troubles de l’équilibre et de la mémoire.» Colette, femme au foyer «très active», adorait la marche. Elle ne peut aujourd’hui qu’articuler quelques phrases. C’est Jean-Claude qui raconte leur histoire, guettant régulièrement l’approbation de sa femme.
Leurs vieux jours, ils les imaginaient autrement : «On avait envie de profiter de la vie, d’acheter un camping-car pour aller se promener», dit le mari devenu «aidant» à plein temps. Un mot qui désigne ces proches - famille, amis, voisins - qui accompagnent au quotidien une personne en situation de dépendance en raison de l’âge, d’une maladie ou d’un handicap. Il y a aujourd’hui quelque 11 millions d’aidants dans l’Hexagone, soit un Français sur six.

«Rompre l’isolement»

Dimanche, c’était leur journée nationale, dédiée cette année à la précarité (professionnelle, financière, sanitaire) qui découle de leur statut. Leur reconnaissance a franchi un cap le 13 septembre avec l’annonce par le ministère de la Santé de l’indemnisation du «congé de proche aidant», entré en vigueur en janvier 2017. A partir d’octobre 2020, une enveloppe figurera dans le budget de la Sécu pour expérimenter pendant deux ans une compensation pour les salariés, les travailleurs indépendants et les agents publics à hauteur de 43,52 euros par jour pour une personne en couple, et 52 euros pour une personne isolée, d’une durée pouvant aller jusqu’à trois mois pour l’ensemble de la carrière de l’aidant.
Selon le dernier baromètre de la fondation April-BVA, 12 % des aidants sont des conjoint(e)s (28 % chez les plus de 65 ans). A la Maison du répit de Lyon, lieu pionnier en France qui fête sa première année, une semaine thématique leur a été dédié en décembre. Ouvert sur un grand parc arboré, cet espace situé à Tassin-la-Demi-Lune (à dix minutes de Lyon) compte 21 chambres et un studio familial.
Les nécessités médicales y ont été estompées par un agencement et une décoration qui empruntent à l’hôtellerie de charme. Le séjour est gratuit pour les enfants et le reste à charge s’élève à 20 euros par jour pour les adultes, comme à l’hôpital. Durant cette semaine «couples», les conjoints pouvaient y rester ensemble ou séparément, assister à une conférence, une soirée cinéma, un apéro, des séances ludiques dans le parc ou un temps de parole collectif avec une psychologue.
«On s’est dit que cette population méritait un accueil particulier, explique Géraldine Pouly, l’une des deux médecins de la Maison du répit. Le premier objectif était de rompre l’isolement, on aide l’aidant à interrompre son rythme effréné, c’est un exercice très difficile de se décentrer de l’autre, d’identifier ses propres besoins en croisant d’autres situations, pour pouvoir reconsidérer son couple.»
Les échanges, «parfois tout simples, informels», ont d’abord permis à chacun de souffler. «Plus on va dans l’intimité, plus cela nécessite du temps, considère le docteur Pouly. Il est important pour nous, professionnels, de ne pas devancer les questionnements. Les aidants sont souvent concentrés sur les détails pratico-pratiques, il faut les laisser venir, les laisser formuler.» L’équipe de la Maison du répit envisage de pérenniser cet accueil spécifique, en proposant par exemple des soirées régulières.
La question du lien affectif, du sentiment amoureux et de ses aléas est plus présente dans les consultations de Léonor Fasse, psychologue clinicienne au centre de lutte contre le cancer Gustave-Roussy, à Villejuif (près de Paris) et maîtresse de conférences à l’université Paris-Descartes. Même s’il reste éminemment douloureux «de dire qu’on sent ce lien se transformer, surtout quand l’autre est plus fragile, de reconnaître qu’il a changé physiquement, qu’il ne tient plus le même rôle dans la famille», souligne-t-elle.

«Un malade peut devenir abusif, tyrannique»

Une corrélation a bien été établie entre la survenance d’une maladie chronique ou dégénérative et l’irruption de violences conjugales au sein d’un couple. Mais cette détérioration de l’état de santé de l’un des conjoints ne se traduit pas forcément par un taux de séparation plus élevé. «C’est un mythe, c’est faux sociologiquement, explique la psychologue. Il n’y a pas plus de ruptures que dans la population générale et les gens qui se séparent avaient déjà des difficultés avant.»
Les situations de maltraitance naissent surtout au sein des couples âgés, où «les aidants sont eux-mêmes fatigués : s’occuper de quelqu’un dans une situation de dépendance peut être très angoissant et susciter en réponse une violence psychique et physique», pointe Léonor Fasse. D’autant qu’il est aussi très difficile pour l’aidant parfois épuisé «d’avouer à quel point le malade peut devenir abusif, tyrannique, dans la vie quotidienne».
Dans de nombreux cas, la maladie suscite d’abord un «rapprochement émotionnel» et devient l’occasion «de partager des choses positives» : l’aidant se sent «utile»«fier de sa loyauté». Celle de Jean-Claude Rondin est indéfectible. Il ne se formalise pas quand on lui demande s’il a déjà pensé à rencontrer quelqu’un d’autre. «C’est exclu, tranche-t-il. On est ensemble, je ne vois pas pourquoi j’irai voir ailleurs. Colette est mon épouse, quand vous passez devant le maire, il vous prévient que c’est pour le meilleur et pour le pire.»
Responsable d’un service de magasinage et d’expéditions, il a pris sa retraite anticipée, épuisé quelques années après le diagnostic : «Je n’arrivais plus à jongler, à faire face.» Il lui a fallu apprendre son nouveau rôle auprès de son épouse : «C’est très dur pour Colette d’être prisonnière de son corps, quand elle n’arrive pas à dire, ça l’énerve, elle fond en larmes», dit son mari. Chaque jour, une aide-soignante ou une infirmière vient s’occuper de sa toilette. Jean-Claude gère le reste : le planning chargé des rendez-vous médicaux, le dédale administratif pour d’éventuelles aides.
Le couple touche 3 000 euros de retraite mensuelle. Pas suffisant pour s’offrir une voiture adaptée ou un logement aménagé. Colette ne peut plus monter à l’étage de leur maison, son lit médicalisé a été installé dans le salon, les époux sont forcés de faire chambre à part. Leurs moments à eux sont les repas. «Je lui fais des petits plats, des salades en été, un petit gâteau de temps en temps», sourit Jean-Claude. Pour le déjeuner du jour, ce sera bœuf-carottes. Et s’il fait bon cet après-midi, ils iront en balade. Jean-Claude : «Il y a toujours quelqu’un pour faire des réflexions qui ne se veulent pas méchantes.» Un jour, on lui a suggéré de «placer» Colette : «Je n’ai rien dit car je suis poli, mais non, il faut la protéger, la préserver, faire que tout aille gentiment, c’est ici qu’elle a ses repères.»

«Gestes tue-l’amour»

L’un des souvenirs les plus blessants de Jean-Claude, c’est ce médecin de la Sécu qui n’a pas bougé le petit doigt lors de la visite pour la reconnaissance du handicap de Colette : «Il m’a regardé me débrouiller tout seul pour l’installer sur la table d’examen qui ne se montait ou ne se descendait pas.» Plus un aidant est amené à accomplir des soins, plus l’intimité du couple en pâtit.
«Si on demande à une ou un aidant dans un couple s’il se voit d’abord comme un(e) aide-soignant(e), l’époux ou l’amoureux, c’est souvent dans cet ordre qu’il va vous répondre. C’est un rôle destructeur car un certain nombre de gestes sont très peu anticipés par le corps médical», souligne Pascal Jannot, vice-président du collectif à l’origine de la Journée nationale des aidants et président-fondateur de la Maison des aidants, une structure qui accompagne plus de 300 personnes par an. Certains gestes techniques, qui peuvent être tellement tue-l’amour, sont pratiqués en méconnaissance. Beaucoup d’aidants nous disent : "On ne m’a jamais dit que ce n’était pas à moi de le faire."» Quand, la seule fois en huit ans, un chirurgien a demandé à Jean-Claude Gondin comment lui se sentait, il a répondu du tac au tac, avec l’expression favorite de Colette lorsqu’on s’enquiert de son moral : «On fait aller.»
Maïté Darnault Correspondante à Lyon Photo Bruno Amsellem

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