Images issues de la série «Pulsions» (2019) de Paule Sardou. Photos Paule Sardou
Comment se lie-t-on à son ou sa partenaire ? Quel cocktail de molécules aboutit au coup de foudre ou d’un soir ? Au Palais de la découverte, une expo décortique l’alchimie du cœur et du cerveau.
On s’y est engouffrée à la poursuite de l’amour. Celui qui fait bondir le cœur, rougir ou pâlir, et rend parfois les mains moites. On s’est d’emblée retrouvée face à un cœur géant vibrant et palpitant (boum, boum), entourée de déclarations qui font frissonner. Marguerite Duras : «Et puis il n’avait plus su quoi lui dire. Et puis il le lui avait dit. Il lui avait dit que c’était comme avant, qu’il l’aimait encore, qu’il ne pourrait jamais cesser de l’aimer, qu’il l’aimerait jusqu’à la mort.» Kamel Daoud : «L’amour. Quelle sensation étrange, non ? Ça ressemble à de l’ébriété. On éprouve la perte de l’équilibre et des sens, mais qui s’accompagne d’une acuité étrangement précise et inutile.» Beau, engageant. Comme l’exposition que sert le Palais de la découverte à compter de ce mardi, intitulée «De l’amour».
Pari audacieux, tant il est plus aisé, comme le souligne d’un air amusé l’une des commissaires, Maud Gouy, «d’évoquer la vie de nos ancêtres les Gaulois ou Louis Pasteur» que de démonter ce moteur tout puissant de nos petites vies. Car oui, sacrebleu, c’est quoi l’amour ? Et de quel amour parle-t-on ? Nous n’avons qu’un petit mot fourre-tout, quand le grec ancien fut bien plus précis en distinguant le désir, la passion charnelle (éros), l’amour familial (storgê), l’amour désintéressé (agápê), l’amitié, le lien social (philía)… Forcément, on a plutôt coursé l’éros, au sein de ce foisonnant étalage d’amour dans tous ses ébats (théorie de l’attachement, définition de l’identité de genre…), avide de comprendre ce que la science avait à en dire. Au final, une sorte de Fragments d’un discours scientifique (1), hommage appuyé à ce pilier que reste Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes. Alors plongeons dans le cerveau, les molécules, la sociologie…
Qui se ressemble…
C’est bien beau de rêver d’éros, encore faut-il concrètement se trouver un partenaire. Les sites et applications de rencontres ont-ils facilité l’affaire ? Changé la donne ? Las, même si 16 à 18 % des 18-65 ans s’y sont déjà inscrits, la sociologie et les travaux de Marie Bergström (2), chercheuse à l’Institut national d’études démographiques (Ined), partenaire de l’expo, sont là pour démontrer que l’amour n’est pas à portée de ligne… sauf pour les personnes homosexuelles, qui utilisent principalement le numérique pour trouver leurs partenaires. Ce que la chercheuse explique aisément : ces plateformes «permettent de rencontrer des célibataires dont on connaît d’emblée l’orientation sexuelle, mais aussi des gens hors du cercle habituel de connaissances, et donc un plus grand vivier potentiel de célibataires».
Au fur et à mesure que la relation s’installe, le taux d’ocytocine augmente.
Et les autres ? Au palmarès des meilleurs plans, dans l’ordre : le lieu de travail, les soirées entre amis, les lieux publics ou «l’espace domestique». Chez soi ou chez les autres. Les sites et applis censés mettre en contact des individus éloignés spatialement et socialement ont-ils au moins bouleversé la géographie amoureuse ? Eh bien, pas vraiment. La tendance à former des couples au sein du même milieu social reste aussi bien ancrée qu’avec les autres modes de rencontres. Pfff. Dernière petite précision : on passe plus vite à la position horizontale avec un partenaire déniché en ligne qu’au boulot, car là, le regard des autres freine.
Attache-moi
Comment se lier à l’âme sœur, une fois qu’on l’a trouvée ? Une chose est sûre, nous ne sommes pas des campagnols, mais cette bestiole peut se vanter d’être à l’origine d’une belle découverte sur l’une des molécules clés de notre attachement à l’autre. Les campagnols des prairies sont monogames, avec des mâles et des femelles qui veillent sur leurs petits. Les campagnols des montagnes sont, eux, polygames et les femelles ne s’occupent de leurs rejetons que jusqu’au sevrage. Pourquoi une telle différence, se sont interrogés des chercheurs soucieux de comprendre les mécanismes biologiques de nos relations humaines ? Réponse : il se trouve que les campagnols des prairies produisent de l’ocytocine, et leur cerveau présente une grande quantité de récepteurs à cette molécule. Après avoir augmenté le nombre de récepteurs à l’ocytocine dans le cerveau d’un campagnol des montagnes mâle, les scientifiques ont placé le rongeur avec une femelle. Puis le couple a été séparé, le temps de coller cette femelle à une extrémité de la cage et une nouvelle «tentatrice» à l’autre bout, avant de replacer le mâle au milieu. L’expérience a été répétée plusieurs fois, précise bien l’exposition. Et voilà que les campagnols des montagnes modifiés se sont majoritairement blottis contre la femelle déjà fréquentée, comme les campagnols des prairies.
On savait depuis un bout de temps que chez les humains, l’ocytocine est l’hormone de la maternité par excellence. Mais à la suite de ces travaux, les scientifiques se sont demandé si cette molécule ne jouerait pas aussi un rôle dans l’attachement plus globalement. Bingo : chez l’humain, le spectre d’action de l’ocytocine concerne tous les types d’amour : amitié, amour de l’humanité et… amour passion. Et la voilà promue par beaucoup hormone de l’amour, du bonheur, de la confiance et du lien conjugal et social.
Ces coquines d’ocytocine, de dopamine…
Quels ingrédients (précisément quelles molécules) faudrait-il mélanger pour obtenir un infaillible philtre d’amour ? La recette n’est pas si simple, mais c’est peu dire que l’amour, c’est aussi de la chimie. Avec des molécules qui se libèrent, que l’on secrète, ou au contraire dont le taux chute. Comme l’explique fort bien l’exposition, au moment de la rencontre, l’engagement dans la relation est favorisé par la libération d’ocytocine (encore elle) «qui désactiverait la perception éventuelle de sentiments négatifs de l’autre» : youhou, formidable ce partenaire, pense-t-on alors, à tort ou à raison. Puis au fur et à mesure que la relation s’installe, le taux d’ocytocine augmente dans le sang et le cerveau. C’est ainsi que se maintiennent la chaleur et la bonne entente dans le couple. Mais une autre molécule est de la partie : les scientifiques ont pu mettre en évidence qu’au début d’une relation amoureuse, il suffit de penser à l’être aimé, de voir sa photo… pour déclencher la libération de dopamine, neurotransmetteur qui provoque une sensation de plaisir.
Le coup de foudre s’accompagne d’un stress et d’une sécrétion d’adrénaline.
A l’opposé, lors d’un coup de foudre ou d’une passion amoureuse, le taux de sérotonine diminue. Or cette molécule est chargée de modérer nos excès, de contrôler des comportements exagérés. Quand son taux baisse et qu’elle se met quelque peu en veilleuse, l’effet de la dopamine se voit renforcé. A l’arrivée, voilà notre désir qui devient parfois pulsionnel, voire obsessionnel. On notera également qu’un coup de foudre s’accompagne d’un coup de stress et d’une sécrétion d’adrénaline : c’est l’alerte. Enfin, cerise sur la chimie, il est désormais établi que chez les hommes, le taux de testostérone (hormone sécrétée par les testicules, et dans une moindre mesure par les glandes surrénales et les ovaires chez la femme) diminue au début d’une relation amoureuse, tandis que chez les femmes, c’est l’inverse.
Mais que fait l’amygdale ?
Respiration accélérée, transpiration, pupilles dilatées, bouches asséchées, voix transformée, le corps n’est pas en reste quand coup de foudre il y a. Et sous le crâne, «il y a un cerveau qui palpite, avec de nombreuses zones qui s’activent», explique une autre commissaire, Astrid Aron. «Y trouve-t-on du désir ? De l’amour ? Peut-être les deux ? Il n’est pas toujours facile de les distinguer», explique-t-on prudemment dans un super film (3).
Mais désir ou amour, même combat : c’est le circuit de la récompense qui entre en jeu, le même que celui qui nous pousse à boire et à manger. Il n’est pas le seul à se mettre en route, puisque des régions impliquées dans les émotions et dans nos souvenirs jouent également un rôle clé. Il existe cependant, entre le désir et l’amour, des différences observables au niveau du cerveau. «Lors de la rencontre amoureuse et du début du désir, on pourrait croire que tout le cerveau est en ébullition, eh bien non, certaines zones cérébrales se désactivent. Selon certaines études, c’est le cas de l’amygdale, une structure cérébrale qui joue un rôle important dans la peur. Craint-on ainsi moins de se rapprocher de l’autre ?» interroge l’expo.
La question se pose vraiment quand on apprend que si l’amygdale se met en sourdine, le cortex préfrontal, impliqué dans le jugement critique, est lui aussi désactivé… Tout est réuni pour fondre aveuglément. Que se passe-t-il ensuite quand, au lit (ou ailleurs), le désir devient très très intense ? «Dans le cerveau, c’est alors un grand nombre de régions qui s’activent de façon coordonnée» tandis que dans le corps, le périnée, cette structure neuromusculaire située entre les cuisses, se contracte, d’autres muscles se tendent, la pression artérielle augmente. Et voici un afflux sanguin vers les organes sexuels. La suite, on la devine.
De l’amour Jusqu’au 30 août 2020 au Palais de la découverte (75008), à partir de 15 ans. Rens. : www.palais-decouverte.fr
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