Collectif Schizophrénies Publié le 8 octobre 2019
Tribune. A la suite de la publication, le 18 septembre, du rapport parlementaire « La santé mentale en France à l’horizon 2022 », le Collectif Schizophrénies, en tant que représentant des usagers et de leur entourage, salue le travail accompli par Mmes les députées Martine Wonner [LRM] et Caroline Fiat [France insoumise].
Nous les remercions pour leur engagement dans cette mission et pour la fermeté avec laquelle elles soulignent les défaillances choquantes de la prise en charge psychiatrique dans notre pays.
Nous retenons deux pistes d’actions en particulier.
D’abord, en finir avec l’argument selon lequel la psychiatrie serait une discipline d’exception et que la démarche d’évaluation des résultats, prévalant partout en médecine, ne pourrait s’y appliquer. Le constat n’est pas nouveau, l’hétérogénéité de l’offre de soins engendre de fortes inégalités au sein du service public et des pertes de chance pour les patients. La Haute Autorité de santé encourage les psychiatres à adopter les bonnes pratiques qui consistent à placer le patient au centre des soins et qui ont fait leurs preuves dans le monde. Cependant, il s’agit d’incitations et non d’obligations. Nombre d’indicateurs avaient été évoqués en 2017 par un groupe de travail comprenant des chercheurs. Le principe même de ces indicateurs avait alors été rejeté par le Conseil national de santé mentale.
« Virage ambulatoire »
Ensuite, accélérer ce fameux « virage ambulatoire » visé depuis des décennies, en redéployant 80 % du personnel sur l’ambulatoire à l’horizon 2030.
Cela passe par un effort de financement et par une réallocation vigoureuse des moyens. Le rapport souligne que c’est possible, comme à Lille, par exemple, avec des équipes pluridisciplinaires dont le travail en réseau permet de prendre en charge des urgences à domicile, d’obtenir en 48 heures un rendez-vous d’une heure et demie avec un infirmier en centre médico-psychologique, d’avoir seulement dix lits d’hospitalisation avec une durée moyenne de séjour de six jours…
Pourquoi, avec les mêmes moyens, la majorité des établissements hospitaliers continue-t-elle de privilégier le financement de l’hospitalisation au détriment de l’accompagnement vers le rétablissement ? Est-ce, comme le suggère l’Inspection générale des affaires sociales dans un rapport de novembre 2017, parce que la psychiatrie, toujours empreinte d’aliénisme, ne conçoit pas l’ambulatoire autrement qu’en dessinant une forme « d’asile dans la ville » où elle devrait gérer tous les besoins du patient ?
Le pouvoir à d’autres acteurs ?
Les psychiatres et infirmiers des pôles hospitaliers craignent-ils, dans la mise en œuvre des équipes pluridisciplinaires nécessaires aux soins ambulatoires, de laisser leur pouvoir à d’autres acteurs du social ou du médico-social ? Ces professionnels ne croient-ils pas au fond à la possibilité du rétablissement ? Sont-ils incités par une société en quête de sécurité à contribuer eux-mêmes à la stigmatisation de leurs patients ? Avec, pour conséquence, une politique de santé qui réserve la part du pauvre à la psychiatrie ?
Ce constat d’une psychiatrie à bout de souffle, le Collectif Schizophrénies l’avait dénoncé dans une tribune au Monde datée du 14 juin 2017 « La psychiatrie, une chose trop grave pour être confiée aux seuls psychiatres ».
Alors que, pour certains, le débat institutionnel sur la psychiatrie semble devoir rester une affaire à régler entre psychiatres, les patients, leur entourage et d’autres professionnels, de manière individuelle ou groupée, s’organisent progressivement en réseau.
Nous regrettons que la parole reste dans le cercle institutionnel en dépit de l’existence de nombreux mouvements et d’associations de patients et de proches qui se structurent depuis quelques années. Des mouvements qui naviguent de blog en réseau social pour puiser des informations, apprendre du vécu des autres.
Des connexions se créent où ceux qui ont participé à des groupes divers d’autosupport et/ou de psychoéducation, initié ou bénéficié d’innovations thérapeutiques croisent leurs expériences. Les pairs aidants commencent à se regrouper en associations et se retrouvent pour échanger sur leurs pratiques.
Parce que un Français sur cinq est touché par un problème de santé mentale, c’est une vaste communauté qui monte en puissance et compétence
Parce que un Français sur cinq est touché par un problème de santé mentale, c’est une vaste communauté qui monte en puissance et compétence. C’est l’avènement d’un savoir expérientiel qu’on ne peut plus négliger.
Une communauté qui a compris que l’autisme, les schizophrénies, les troubles bipolaires, les dépressions, les troubles alimentaires, les addictions ont beaucoup à partager.
Peu à peu se construit une cartographie des lieux existants, les noms des professionnels de santé s’échangent. Chacun des membres de cette communauté peut dénoncer des pratiques opaques et abusives, compter les morts, connaître leurs histoires et les nommer, avec 10 000 suicides annuels, 220 000 tentatives de suicide et bien des morts sociales non évaluées.
Aujourd’hui, ces dizaines ou centaines de milliers de morts, physiques ou sociales, sont visibles et la certitude que d’autres issues sont possibles les rend inacceptables.
Le Collectif Schizophrénies compte sur le courage politique de ce gouvernement pour ne pas enterrer ce rapport. Dans quelques années, il sera difficile de dire « on ne savait pas », « on ne pouvait pas faire autrement ».
Le Collectif Schizophrénies fédère les principales associations dédiées aux schizophrénies: Schizo Espoir, Schizo ?...Oui !, SCHIzo’ Jeun’S, Solidarité Réhabilitation, l’Association des journées de la schizophrénie et l’association suisse L’Ilot. Il est indépendant, apolitique et sans a priori idéologiques. collectif-schizophrenies.com
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