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mardi 3 septembre 2019

Scolariser son enfant handicapé, « une bataille permanente »

Les défis de l’école 2/5. Des parents d’élèves racontent les « années de galère » traversées pour permettre à leur enfant atteint de handicap d’aller à l’école. Un droit pourtant inscrit dans la loi depuis 2005.
Par   Publié le 3 septembre 2019
AGATHE DAHYOT
« On nous demande de remplir des dossiers ou de planifier les démarches importantes pour la scolarité de notre fille, trois mois, six mois, voire parfois trois ans à l’avance. Et il nous aura fallu attendre la fin du mois d’août pour être sûrs qu’elle pourra toujours bénéficier du taxi pour se rendre au lycée, qu’elle aura bien le même assistant de vie scolaire [AVS] afin de moins stresser en septembre, etc. » Ainsi va « le quotidien des parents d’élève en situation de handicap », raconte Didier de Abreu, parent d’une enfant atteinte d’une maladie orpheline qui entre en classe de 1re cette année.

Comme d’autres parents, il décrit le « parcours du combattant » et la « bataille permanente » des familles qui souhaitent scolariser un enfant « différent » en milieu ordinaire. Depuis la loi du 11 février 2005 qui a posé le principe du droit à la scolarité pour tout jeune en situation de handicap, et celle de 2013 qui a consacré le terme d’« école inclusive », leurs parcours, coups de gueule et petites victoires pour faire respecter ce droit, révèlent les difficultés à mettre en musique cet idéal d’inclusion scolaire pleine et entière.
Alors quand Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, évoque lors de sa conférence de presse de rentrée du 27 août un « changement paradigmatique » dans l’accueil des élèves en situation de handicap, quand certaines des mesures qui entrent en vigueur ces jours-ci – résultat de la grande concertation sur l’inclusion du début d’année – visent justement à faciliter la vie des familles, ces dernières ont envie d’y croire.
L’attente est en effet forte du côté des parents, échaudés par « des années et des années de galère » selon les mots de Delphine (qui a souhaité garder l’anonymat), mère d’un garçon autiste de 12 ans et enseignante dans la Drôme.

Apprendre à « avoir du culot »

En 2010, lorsqu’elle demande pour la première fois de scolariser son fils dans l’école près de chez elle, la directrice lui « a rapidement fait comprendre, sans même rencontrer [son] enfant, que ce ne serait pas possible sans AVS pour l’accompagner », se souvient-elle. Delphine a alors pris conscience qu’à chaque étape de la scolarité de son fils on poserait « des conditions » pour faire valoir son droit à l’école. Qu’elle ne serait « jamais tranquille ».
Cette impression « vous radicalise d’emblée », sourit-elle. Depuis, elle a appris à « avoir du culot et à se mettre en colère lorsqu’il le faut ». Son fils rentre cette semaine en 5e « sans avoir redoublé ». Il fait partie des plus de 361 000 enfants en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire en 2019 (+ 23 500 par rapport à la rentrée 2018), contre quelque 134 000 avant la loi de 2005.
Si l’école inclusive est une réalité, c’est donc aussi – et surtout ? – grâce à l’engagement des parents. « J’ai parfois dû appeler une cinquantaine de fois la maison départementale des personnes handicapées [MDPH – qui instruit pour les familles les demandes de projets personnalisés de scolarisation] pour avoir des explications. Je me suis parfois fâchée avec l’inspection d’académie, j’ai menacé de saisir le défenseur des droits… », énumère Ingrid Cerda, mère d’un enfant autiste aujourd’hui âgé de 20 ans, titulaire d’un bac pro. Avec le temps, elle a appris à défendre son enfant en rassurant les enseignants sur ses capacités, elle a appris à le « vendre » à l’école, à « placer [son] produit »
« On demande en permanence aux parents, à chaque palier scolaire, de légitimer la présence de leur enfant “différent” au sein de l’école, d’apporter des garanties », confirme Serge Ebersold, professeur de sociologie et titulaire de la chaire accessibilité au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM).

Délégation de responsabilité

Parmi ces garanties figurent les AVS ou AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap). Face au manque de formation au handicap des enseignants français qui, admettent-ils parfois mezzo voce, n’accueillent pas toujours avec enthousiasme ces élèves « différents » dans leur classe, la présence d’un accompagnant « constitue autant une béquille pour l’enfant que pour l’enseignant et l’école qui sous-traitent ainsi la difficulté ». Un intérêt partagé qui explique la hausse spectaculaire des demandes d’accompagnants ces dernières années.
Cela explique aussi les tensions entre l’école et les familles sur le sujet, et les témoignages de parents fatigués de devoir renouveler ces demandes année après année, sans certitude de bénéficier d’un accompagnant dans le futur. Mais cela va changer avec les pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL), promet-on rue de Grenelle. « Avant, les enfants devaient attendre un AESH pour aller à l’école ; maintenant, ils vont à l’école, un AESH les attend », a résumé Jean-Michel Blanquer le 27 août.
Pour Serge Ebersold, l’école délègue aux parents « la responsabilité de la scolarisation de leur enfant » en les laissant aussi assumer le rôle de coordinateur des multiples intervenants aux cultures et aux temporalités spécifiques (enseignants, accompagnants, MDPH, etc.). Les enseignants référents présents dans les établissements ont souvent bien trop de dossiers à suivre.
Ces différentes charges obligent les parents à jongler dans leur emploi du temps pour assister aux réunions, récupérer l’enfant, monter des dossiers… Selon une étude du service statistique du ministère de l’éducation nationale de 2015, 40 % des mères et 6 % des pères ont réduit leur activité ou cessé de travailler pour accompagner leur enfant handicapé.

Difficulté croissante

La revendication du droit à la scolarisation dépend également de la classe sociale à laquelle appartiennent les parents « en termes d’accès aux informations sur les démarches administratives à faire, et de liens avec les associations de parents à même d’accompagner et de défendre la scolarisation », explique Hélène Buisson-Fenet, sociologue de l’éducation et directrice de recherche au CNRS.
Si pour les parents, la difficulté tient surtout au fait de devoir, à échéance régulière montrer que leur enfant « mérite » cette scolarisation et les aménagements qui vont avec, elle ne fait qu’augmenter avec le niveau scolaire. « En France l’école est conçue avant tout comme un lieu d’instruction plutôt que comme un lieu de socialisation éducative », commente la chercheuse. Les familles en témoignent souvent : la « différence » est acceptée plus facilement à l’école primaire « à laquelle on donne un rôle socialisateur », qu’au collège et au lycée où les questions de diplôme et d’orientation deviennent prégnantes.
C’est à partir du collège que « les interlocuteurs [enseignants entre autres] se multiplient et sont dans un turnover permanent », ajoute Nicolas Eglin, lui aussi parent d’une jeune fille handicapée et président de la Fédération nationale des associations au service des élèves présentant une situation de handicap (Fnaseph). Cette multiplication des intervenants « oblige les parents, qui eux sont dans la continuité de la scolarisation de leur enfant, à répéter et répéter encore le “fonctionnement” de celui-ci » afin de faciliter son inclusion.
La Fnaseph réclame depuis des années une meilleure prise en compte de « l’expertise d’usage » acquise par les familles. Cette reconnaissance d’un savoir qui ne « concurrence pas l’expertise professionnelle de l’enseignant mais en est complémentaire », explique Nicolas Eglin, constitue l’une des propositions d’un récent rapport de la commission d’enquête parlementaire sur l’inclusion des élèves handicapés. Celle-ci va jusqu’à proposer que les parents soient associés à la formation des enseignants sur le handicap.
Aux parlementaires, l’actuelle secrétaire d’état chargée des personnes handicapées, Sophie Cluzel, qui fut présidente de la Fnaseph, a expliqué avoir le projet de monter « un réseau de groupes de parents experts ». Les familles étant les principales vigies des marges d’amélioration d’une inclusion qui a su entrer, depuis 2005, dans les établissements, mais peut-être pas encore assez naturellement dans leur fonctionnement quotidien et dans les têtes de ses principaux acteurs.
Cet article est paru dans « Le Monde de l’éducation ». Si vous êtes abonné au « Monde », vous pouvez vous inscrire à cette nouvelle newsletter hebdomadaire en suivant ce lien.
Des mesures pour favoriser l’inclusion
Les mesures qui entrent en vigueur à la rentrée ont été dans leur majorité formalisées dans la loi « Pour une école de la confiance » promulguée fin juillet. Sont mis en place 3 000 pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL) mettant en réseau les écoles et les accompagnants afin d’aider les élèves plus rapidement. Les accompagnants voient leur statut renforcé, avec des contrats à durée déterminée de trois ans, renouvelables une fois. Dans chaque département, un service « école inclusive » est créé afin de coordonner la politique d’inclusion. Des cellules départementales d’écoute et de réponse aux familles en 24 heures sont par ailleurs mises en place.

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